Invoquant Averroès ou Avicenne, ce philosophe sénégalais souhaite s’inscrire dans la tradition de la « falsafa » : un mot grec arabisé désignant la philosophie en islam ; qui prit son essor au IXème siècle avec la traduction dans le monde arabe des œuvres majeures de la pensée grecque.
Formé à l’ENS de la rue d’Ulm, Souleymane Bachir Diagne se veut un héritier musulman des Lumières : à l’instar de l’indien Mohammed Iqbal (1877-1938), grand penseur moderniste qui travaillait à une « reconstruction » de la pensée religieuse de l’islam, il invite à un constant effort d’interprétation créatrice des textes.
Spécialiste des traditions philosophiques de l’Afrique et du monde islamique, ce normalien a été longtemps professeur à l’université à Dakar, tout en étant conseiller pour l’éducation et la culture du président Abdou Diouf de 1993 à 1999. Co-directeur du journal sénégalais Éthiopiques, membre du comité de publication de Présence africaine et du comité scientifique de la revue internationale Diogène, il enseigne aujourd’hui à l’université de Columbia (New York).
Dans Bergson postcolonial (CNRS, 2011) , il explore les affinités entre la pensée du philosophe français Henri Bergson (1859-1941) et celles de deux de ses admirateurs issus des colonies : le musulman indien Mohamed Iqbal et le sénégalais catholique Léopold Sédar Senghor, tous les deux politiciens, tous les deux poètes, tous les deux philosophes. La confrontation de trois maîtres avec lesquels il partage un même souci : résister à la pétrification de la pensée.
Il publie en 2013 un essai, L’encre des savants (Présence africaine), dans lequel Diagne pose la question : qu’est-ce que philosopher en Afrique ? L’auteur y revient sur les thèmes de réflexion privilégiés des penseurs du continent, tout en développant son approche personnelle de ces thèmes. Il publie notamment en 2014, Comment philosopher en islam chez Philippe Rey.
En 2017, il est fait chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres pour ses importants travaux liés à l’éducation et à la philosophie contemporaine, qu’il enrichit l’année suivante avec la parution de En quête d’Afrique(s). Universalisme et pensée décoloniale. Dans cet ouvrage, il s’interroge, conjointement avec l’anthropologue Jean-Loup Amselle sur les causes et les effets de l’émergence du paradigme postcolonial, la domination sociale et économique occidentale et inventorie les enjeux sociaux, culturels, politiques et économiques majeurs des rapports entre l’Afrique et l’Occident.
Il revient en 2021 sur ses rencontres avec Louis Althusser et Jacques Derrida, ses maîtres rue d’Ulm, Jean-Toussaint Desanti, Léopold Sédar Senghor, Paulin Hountondji, Ngugi wa Thiong’o et d’autres philosophes qui l’ont fortement influencé. Le « fagot de mémoire » de cet homme qui vit entre différentes langues et cultures, chantre d’un universel de traduction, partisan d’un islam des Lumières, nous propose ici une stimulante réflexion sur notre monde qui offre tant de passerelles.
Bibliographie
- De langue à langue : l’hospitalité de la traduction (Albin Michel, 2022)
- Le fagot de ma mémoire (Philippe Rey, 2021)
- En quête d’Afrique(s). Universalisme et pensée décoloniale en collaboration avec Jean-Loup Anselle (Albin Michel, 2018)
- Philosopher en islam et en christianisme avec Damien Le Guay, Philippe Capelle-Dumont et Souleymane Bachir Diagne (Editions du cerf, 2016)
- Ma vie en islam, Éditions Philippe Rey, 2016
- Comment philosopher en islam (Philippe Rey, 2014)
- L’encre des savants (Présence africaine, 2013)
- Bergson postcolonial. L’élan vital dans la pensée de Léopold Sédar Senghor et de Mohamed Iqbal (CNRS Éditions, 2011)
- Comment philosopher en islam ? (Éditions du Panama, 2008 ; réédition aux éditions Philippe Rey, 2014)
- Léopold Sédar Senghor : L’art africain comme philosophie (Riveneuve Éditions, 2007)
- 100 mots pour dire l’Islam (Éditions Maisonneuve et Larose, 2002)
- Reconstruire le sens. Textes et enjeux de prospectives africaines (Éditions Codesria, 2001)
- Islam et société ouverte : la fidélité et le mouvement dans la philosophie d’Iqbal (Éditions Maisonneuve et Larose, 2001)