Romancière et journaliste, Aslı Erdoğan est engagée sur tous les fronts. Farouche défenseuse de la liberté d’expression et des droits humains, en particulier des droits des femmes et de la minorité kurde, elle a notamment représenté la Turquie au PEN Club International dans le Comité des écrivains emprisonnés de 1998 à 2000. Cet engagement, récompensé par de nombreux prix (Prix Tucholsky, Prix Simone de Beauvoir…), lui a valu d’être victime de répression de la part du régime de Recep Tayyip Erdogan. En août 2016, suite au coup d’État manqué, elle est arrêtée avec d’autres journalistes du quotidien d’opposition Özgür Gündem pour « appartenance à une organisation terroriste. » Malgré son état de santé et une forte mobilisation internationale, elle n’est relâchée qu’en décembre 2016, en attente de son procès. Désormais exilée, en attente du verdict, elle écrit, ne reste pas silencieuse : « ma foi dans les mots est inébranlable. » (La Grande Librairie). Elle soutient notamment ses compatriotes Mehmet et Ahmet Altan, condamné à la réclusion à perpétuité.
Aslı Erdoğan est une « virtuose des mots », comme l’a rappelé son ancienne éditrice française Françoise Nyssen en la décorant des insignes de Chevalier des Arts et des Lettres. Ses romans se distinguent par un style mordant et poétique, à fleur de peau. L’écriture lui apporte une sensation de plénitude fantastique : l’écriture de son recueil de nouvelles Le Mandarin miraculeux l’a ainsi soutenue lorsqu’elle travaillait au CERN de Genève, tout comme La Ville dont la cape est rouge lui permit de faire sens de son séjour à Rio. C’est aussi une autre façon de s’engager : « Il faut trouver les mots et les procédés littéraires les plus à même de toucher les lecteurs qui n’ont pas envie d’être confrontés au drame ou à la violence. […] Le recours à l’art et à la littérature est indispensable », explique-t-elle ainsi à Annick Cojean (Le Monde).
Après Le bâtiment de pierre, qui dénonçait le système carcéral turc dès 2009, et Le silence même n’est plus à toi, un recueil des textes qui lui ont valu la prison, c’est son tout premier roman qui est publié en français : L’Homme coquillage. Une chercheuse en physique nucléaire, invitée dans le cadre d’un séminaire sur l’île de Sainte-Croix, aux Caraïbes, s’échappe d’un groupe étouffant pour explorer l’île. Elle y rencontre un vendeur de coquillages au visage lacéré par la police, et découvre la culture caraïbe, « immensément riche, originale et métissée, fruit de siècles de haines et de douleur. » Un roman qui annonce déjà les grand thèmes de son œuvre : sa solitude, ses combats politiques, sa fascination pour les marges et la force de ses personnages. Un roman fondateur, qui est aussi un hymne à la sensualité et à la violence des tropiques.
Bibliographie
- L’homme coquillage (Actes Sud, 2018)
- Le silence même n’est plus à toi (Actes Sud, 2017)
- Le bâtiment de pierre (Actes Sud, 2013)
- Les oiseaux de bois (Actes Sud, 2009)
- Je t’interpelle dans la nuit (MEET, 2009)
- Le mandarin miraculeux (Actes Sud, 2006)
- La ville dont la cape est rouge (Actes Sud, 2003)