- ©C. Hélie Gallimard
Morcelé par plusieurs appartenances culturelles, nationales ou linguistiques, Kebir Ammi se joue des frontières et ne se reconnaît qu’une seule patrie : "celle des mots et de la littérature". Les mots sont pour lui des "alliés" pour dénoncer les injustices nées de l’exclusion, décrire les sensations de l’exil et réfléchir sur les questionnements identitaires. À travers une écriture fluide, paisible et mélodieuse, les livres, romans, essais et pièces de théâtre d’Ammi Kebir donnent à voir le corps du monde dans sa cruauté toute simple….
Fils d’un père algérien immigré et d’une mère marocaine, et rapidement orphelin, Ammi Kebir a grandi au Maroc, entre les menaces d’expulsion et les sommations de devoir choisir, “tu es marocain ou algérien ?”. À dix-huit ans, le bac en poche, il a soif d’ailleurs, file en France, visite l’Angleterre puis séjourne trois ans dans le Colorado. De retour en France, il devient professeur d’anglais et écrit son premier roman, Le Partage du Monde (1999), qui raconte l’histoire d’un enfant candidat à l’émigration. Il enseigne un temps dans un lycée des Hauts-de-Seine et reste très sensible à la problématique de l’intégration des jeunes des cités et de leur difficulté à se constituer une identité syncrétique. Écrivain métis, transfrontière, libéré des chaînes de l’enracinement à une terre ou à une communauté, il avoue craindre la tendance de ces jeunes à dériver vers le particularisme ou le communautarisme, mais son œuvre pointe sévèrement du doigt le regard discriminant et condescendant porté par notre société sur ces Français venus d’ailleurs, mais Français à part entière.
L’œuvre de Kebir Ammi confronte l’Histoire avec les problématiques des sociétés actuelles à travers le portrait de personnages historiques qui furent eux aussi exclus de leur société comme Saint Augustin dans Sur les pas de Saint Augustin, (2001), Hallaj dans Hallaj, (2003), (la religion constituant un axe important de son travail), mais aussi Hania la prostituée de Meknès dans La Fille du vent (2002). Dans Les vertus immorales, (2010), Kebir Ammi retrace les aventures d’un Marocain nourrit des écrits de Marco Polo, qui, au XVIe siècle, part à la découverte du Nouveau Monde rendu accessible par Christophe Colomb, incarnation du triomphe de l’Occident face à la décadence de la civilisation islamique sur ces terres d’Espagne où elle a pourtant prospéré. Occasion d’une méditation sur le monde actuel et sur ses enjeux les plus brûlants. Dans Mardochée, véritable récit d’aventures, il revient au Maroc sur les traces de l’ambigu Charles de Foucauld, déguisé en rabbin juif pour explorer le Maroc de la fin du 19ème siècle, alors interdit aux Chrétiens. Au cœur de cette fresque, le personnage de Mardochée, guide juif, qui, ouvrant les voies secrètes du Sud marocain à son maître, se découvre peu à peu complice de l’entreprise coloniale française.
Dans son dernier roman Un génial imposteur, Kebir M. Ammi nous fait découvrir l’incroyable destin de Shar, antihéros opportuniste et voyageur. Après avoir fui l’Algérie, son pays natal, il parcourt le monde et s’engage comme mercenaire… De retour en Algérie en 1954, il va combattre tantôt aux côtés des Algériens, tantôt des Français, avant de se rallier à sa patrie. Toute sa vie, il ne cesse de retourner sa veste pour se faire une place dans le monde. Fort de son charisme, il obtient d’importantes responsabilités au sein du nouveau gouvernement algérien, mais c’est compter sans l’Histoire qui va finir par le rattraper.
Bibliographie :
Romans
- Un génial imposteur (Mercure de France, 2014)
- Mardochée (Gallimard, 2011)
- Les vertus immorales (Gallimard, 2010)
- Le ciel sans détours (Gallimard, 2007)
- Feuille de verre (Gallimard Jeunesse, 2004)
- La Fille du vent (éditions de l’Aube, 2002)
- Le Partage du Monde (Gallimard, 1999)
- Thagaste (éditions de l’Aube, 1999)
Essais
- Hallaj, (Presses de la Renaissance, 2003)
- Sur les pas de Saint Augustin, (Presses de la Renaissance, 2001)
Théâtre
- Alger la blanche et Les Terres contrariées, (Lansman, 2003)