Larme du monde

Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière
empoisonnée, le dernier poisson capturé, alors seulement
vous vous apercevrez que l’argent ne se mange pas. »
Prophétie d’un Amérindien Cree

Il se met à courir, à courir comme il n’a jamais couru de sa vie. En suivant les traces des animaux, il longe la corniche ou les vagues déchainées se butaient la veille encore. Il passe à coté du village désert et silencieux, qui parait n’avoir jamais été habité. Junid a peur. Il a peur de ne jamais plus revoir personne, il a peur de ne plus jamais entendre le bruit de la mer, le souffle du vent dans les cocotiers, les pépiements des oiseaux et les aboiements des chiens errants.
Le jeune garçon s’arrête quelques secondes pour reprendre son souffle. Les possibilités défilent à 200 à l’heure dans son cerveau. Pourquoi la mer s’est-elle soudain retirée, sans crier gare ? Pourquoi n’y a-t-il plus rien ni personne ? Il était sûrement seul à des lieux à la ronde.
Ce ne pouvait être la marée basse, il y aurait encore les gens, les animaux, les sons… C’était peut-être un tsunami, mais pourquoi sa famille serait-elle partie sans lui ? Il n’en savait rien, et c’était bien ça qui l’inquiétait.
Après plusieurs heures de marche harassante, une ombre se profila au loin. Il se mit à courir vers la silhouette. Quand il fut assez près, il vit que cette silhouette… était celle d’une jeune fille !
Effaré, le jeune garçon ralentit. Qui était-ce donc ? C’est alors que la jeune fille, comme si elle avait lu dans ses pensées, lui répondit :
 « -Bonjour, Junid. Je suis Surya, je viens du futur pour te faire passer un message. Tu as été choisi pour faire prendre conscience à votre génération de l’urgence de la situation. Comme tu le vois, la terre est dévastée, et la mer a disparu. La cause de tout ceci est la négligence des hommes pour notre planète. Toi et tes semblables devez réparer vos erreurs. 

  • Mais je n’ai rien fait de mal qui puisse nuire au vivant. Je ne comprends pas pourquoi tu m’as choisi pour réparer les erreurs des autres ?
  • Prends-moi la main. Répondit calmement la jeune fille. Je vais te montrer ce que vous risquez, vous les Hommes, si vous ne changez pas au plus vite. »
    Junid obéit silencieusement, et à la seconde ou sa main toucha celle de Surya, il fut transporté dans une autre dimension, hors de son corps.
    « -Viens, suis moi. »
    La voix, qui n’était autre que celle de Surya, guida l’esprit de Junid jusqu’à une immense plaine, s’étendant jusqu’à l’horizon, qui paraissait calcinée. Pas un arbre, pas un oiseau, pas une maison.
    « - Où sommes nous ?dit le jeune garçon.
  • Nous sommes dans le futur, à quelques kilomètres de chez toi.
  • C’est impossible ! Où est la mer ? Où sont les animaux, les arbres et les habitants ? Et pourquoi tout est-il brulé ?
  • C’est pourtant mon futur, ce qui attend la Terre si les humains se bornent à se voiler les yeux pour ne rien voir. Ils préfèrent continuer à vivre sur les faibles réserves de la planète jusqu’à ce qu’elles s’épuisent. Ce jour là, les hommes regretteront leur inaction, leur aveuglement volontaire. Ils essaieront de changer le cours des choses, mais il sera trop tard. Les regrets ne serviront plus à rien. La nature périra, emportant avec elle les animaux, la mer, les hommes…
  • Je ne comprends pas.
  • Alors suis-moi. »
    Junid se fit guider par la voix de Surya, et arriva dans un immense bidonville qui paraissait s’étendre à l’infini.
    « - Et maintenant, où sommes-nous ?
  • Nous survolons l’ancienne capitale de la Chine, Pékin. Victime de sa trop brutale évolution économique mal gérée écologiquement, la Chine a été un des pays les plus touchés par la crise écologique. »
    Plus bas, Junid voyait des enfants faméliques se trainer en gémissant vers leurs mères, encore plus maigres. La plupart des habitants du bidonville étaient cloitrés dans leurs cabanes misérables, se mourant de faim, de soif ou de maladie. A quoi bon sortir, puisqu’ils étaient destinés à périr de faim ?
    « - Que leur arrive-t-il ?
  • Ils n’ont plus d’eau potable ni de nourriture, et ils meurent à petit feu. Ils n’ont plus aucun moyen de s’en sortir, et ils attendent la mort patiemment.
  • Mais c’est horrible !
  • Oui, soupira la jeune fille, mais c’est le prix à payer de votre insouciance. »
    Les yeux de Junid se mouillèrent de larmes, et une tristesse indescriptible s’empara de son cœur. Il venait de se rendre compte des appels de détresse de sa planète mourante. Les poissons malades et peu nombreux, les coraux dévastés et les deux marées noires qui avaient atteint la plage cette année prenaient un tout autre sens et une importance primordiale. Il se rendit compte du rôle qu’il avait à jouer : il devait tout arranger avant qu’il ne soit trop tard…
    « - C’est bon, tu as compris ? »
    Ils étaient revenus dans le désert aride. Surya regardait le jeune garçon d’un air compatissant de ses grands yeux tristes.
    « Je vais devoir y aller ! J’espère que vous nous sauverez. » dit-elle, puis elle disparut.
    Junid resta seul, assis, pendant plusieurs heures. Tout à coup, il entendit un grondement sourd qui semblait se rapprocher. Quand il leva la tête, il vit au loin une immense masse noire qui se précipitait vers lui. C’était l’eau qui revenait.
    Son cœur sauta quelques battements, le temps qu’il réalise ce qu’il se passait, puis il se mit à courir, la vague démesurée à ses trousses.
    Junid se mit à courir aussi vite que le lui permettaient ses jambes, si vite qu’il avait l’impression qu’il allait s’envoler. Il entendait nettement le râle de la masse d’eau qui se rapprochait indéniablement à une vitesse effrayante. Quand il se retourna, il constata avec effroi que ce n’était pas un tsunami normal qui arrivait : l’immense vague n’était pas composée d’eau, mais de déchets. De milliers, de millions de déchets. Epuisé, les cotes rompues, Junid s’assit. Il se résolut à mourir ici et maintenant. Surya était arrivée trop tard. Il ne pouvait plus rien changer. La vague l’emporta.
    « Junid, réveille-toi ! Il est tard. Tu dois réparer les filets, et les poules ont faim. »
    Junid se leva d’un bond. Ce n’était qu’un rêve ! La vie était belle ! Une joie immense gonfla son cœur : Ils pouvaient encore changer, réparer les erreurs. Il serra sa mère interloquée dans ses bras, et sortit en courant se baigner avec des cris de joie dans la mer bleu azur.