Coup de cœur Télérama : Abdourahman A. Waberi (Djibouti)

Des "historiettes" politico-poétiques

11 juin 2006.
 
Abdourahman Waberi © Mélani Le Bris

« Je suis écrivain. Nègre accessoirement. » Abdourahman A. Waberi carbure à l’ironie. Timbre clair et rieur, il nous interroge :« Demanderait-on à un écrivain français ou américain de justifier sa nationalité, d’expliquer comment il vit ce paradoxe, être écrivain et être américain ? » Toujours plus fort : « J’ai même envie de vous dire que la littérature africaine n’existe pas. La littérature tout court, elle oui. Peut-être peut-on juste regrouper des individus écrivant dans une même langue, et encore… » Né en 1965 à Djibouti, alors territoire français, Abdourahman A. Waberi sitôt le bac en poche, échoue à Caen (où il vit toujours) rêve d’étudier la géopolitique, se voit « journaliste regardant l’Afrique marcher ». Et se retrouve sur les bancs du département d’anglais, et plus tard prof. Quand il se met à écrire, il va naturellement vers la chose courte, la nouvelle. Lui dit des "historiettes". C’est une question de tempérament. « Le bon gros roman post-balzacien me gonfle. Le court me va. J’y combine le poétique à la politique. »
Ses "récits" racontent son pays, Djibouti, terre à guerres et à famines, racontent des moments d’enfance, de tiraillements, de ciel toujours bleu au-dessus de la désespérance, mais aussi l’horreur absolue, le génocide rwandais : « on dit que les génocides tuent deux fois. Une fois avec la machette. Une fois avec l’oubli. » Son ouvrage Moisson de crânes, textes pour le Rwanda (Ed. Serpent à Plumes, 2000) n’est pas qu’un livre-dénonciation, c’est aussi une tentative de percer le mystère de la cruauté humaine…
Waberi imagine que s’il était resté à Djibouti, il serait sans doute aussi devenu écrivain. Son exil en France lui a servi « d’accélérateur de particules » : « Aurais-je pu lire là-bas les français Eric Holder, Pierre Autin-Grenier, l’américain Raymond Carver ? » Tous des nouvellistes qui lui ont inoculé le virus du poétiquement virulent.
Martine Laval

 

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Romans

Dis-moi pour qui j’existe ?

JC Lattès - 2022

Lorsque sa fille de 6 ans tombe malade, Aden doit faire face à cette douleur inexpliquée et aux blessures anciennes qu’il croyait oubliées. Il lui faut affronter son passé, se souvenir et enquêter : est-ce que la maladie de Béa est la sienne ? Peuvent-ils se sauver ensemble ?

Aden est un professeur épanoui et un père heureux.
Mais la maladie subite de sa fille réveille des souffrances anciennes. Lui aussi, enfant, est tombé malade et soudain, son corps se souvient de tout : de la vie à Djibouti, du garçon solitaire qu’il était, de la seule douceur d’une grand-mère, du réconfort des livres.
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Un roman bouleversant qui sonde l’enfance, sa part heureuse et sa part d’épouvante, le dialogue lumineux d’un père et d’une fille qui triomphent en s’appuyant sur la mémoire et la poésie.