Rêveurs à gages

Session de clôture des Étonnants Voyageurs de Saint Malo 2012

13 juillet 2012.
 

Nous en rêvions depuis Port-au-Prince. L’idée était de rassembler dans une session de clôture cette bande de romanciers, poètes, slameurs et musiciens qui s’était naturellement assemblée dans l’euphorie des quelques jours passés en Haïti, en février dernier. C’était sans compter le pouvoir fédérateur de Saint-Malo : rencontrés la veille, le musicien Jacques Schwartz-Bart et son complice Erol Josué se sont enrôlés d’instinct dans l’aventure.

Menés par James Noël notre maître de cérémonie, et emportés par les accords improvisés de Nicolas Repac, ils nous livrèrent, dans le chapiteau de L’Escale, des extraits de leurs œuvres, de celles de leurs amis. Pris par la musique et les mots, nous ne savions plus trop si nous étions encore à Saint-Malo, ou déjà envolés vers quelqu’île rêvée.

Un beau cadeau que nous livre James Noël, et ses rêveurs à gages, Emmelie Prophète, Arthur H, Dany Laferrière, Nicolas Repac, Julien Delmaire, Rouda, Makenzy Orcel, Yahia Belaskri, Jacques Schwarz-Bart, Erol Josué et Paul Wamo, pour clore le festival en beauté ! Encore merci à eux tous.


Voici le texte de James Noël, que chacun avait reçu, quelques jours avant le festival :

"Rêveurs à gages"

Il ne s’agit pas d’une rencontre entre des simples syndiqués du sommeil pour définir, dans une perspective économique, des royalties pour nos rêves divers. Ce qui pourrait d’ailleurs faire l’objet d’un beau compte à dormir debout.

James Noël © Clara Giboin / Étonnants Voyageurs

La démarche de ces rêveurs se traduit ici par leurs engagements à réveiller, à secouer, avec le pouvoir des mots, la conscience d’un monde en passe d’être décapité de tous ses rêves. À travers des mots gueulés, chuchotés, des mots clamés, proclamés, des mots slamés, psalmodiés, dix rêveurs puissants répondront présents pour entrer en vibration avec le public de l’escale le 28 mai à l’occasion de la clôture du festival. Sous la houlette du poète James Noël, un rêveur confirmé, s’engageront les voix d’Arthur H, Dany Laferrièfre, Nicolas Repac, Julien Delmaire...

James Noël

Puis James d’écrire, une semaine après le festival :

Comment allez-vous depuis ce festival chauffé à blanc sous le soleil rieur de Saint-Malo ?
Je reviens vers vous, d’abord pour vous remercier de la propagation de mondes
éblouissants, dont vous avez fait montre, au-delà des tics tac des minutes et de la tactique
conditionnée en nous pour le train à prendre, le train du livre rebaptisé train du vivre

je reviens vers vous, pour vous demander d’écrire en un seul geste, une phrase, ou un paragraphe,
pour garder trace de cette clôture feu d’artifices dans le ciel du chapiteau. Si cela vous dit, vous pouvez exploser le cadre
en parlant d’un fait divers dans le cadre du festival. L’idée me prend ce matin, après avoir lu le texte du dieu Wamo.
J’ai recu aussi une belle photo de Francesco, rassemblant l’essaim qui a bourdonné de ma manière féconde...
James Noël


Julien Delmaire nous livre ces quelques vers, incandescents comme toujours :

Wanted

Julien Delmaire © Francesco Gattoni

Le rapport est accablant
Douze rêveurs à gage ont fait mains basses sur le silence
Ont fait les poches à la pudeur
Douze voix pour un hold-up sans faille
Douze voix ont dévalé les sierras verticales
Les bayous sonores, les marigots d’ombres vives
Le shérif est à bout de nerf
Il n’a rien vu venir
Il ne peut que constater


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Répondant à l’appel de James Noël, le romancier algérien Yahia Belaskri, nous a lu La Fenêtre Bleue accompagné à la guitare par Nicolas Repac.

Une fenêtre. Bleue, elle est bleue. Ses volets sont bleus. Elle surplombe la falaise qui s’échoue dans la mer. Bleue aussi. La fenêtre est aussi bleue que la mer. Et la mer se jette à ses pieds. Aux pieds de la falaise. Une falaise abrupte. Il n’y a personne à la fenêtre. Les volets bleus sont fermés.

Yahia Belaskri © Clara Giboin / Étonnants Voyageurs

Pourtant de la fenêtre, on pourrait voir l’immensité de la mer, une mer blanche au milieu, bleue sur ses rives. Une mer à l’intérieur. A l’intérieur de la terre bien sûr. Une mer de terre envahie par les eaux ; des eaux chaudes, douces qui caressent les deux rives. Des rives proches, très proches. D’un côté, les numéros pairs, de l’autre les numéros impairs. Comme une avenue. Oui, une avenue, une seule. Le bleu de la mer serait la chaussée commune : pour y circuler, se voir, se rencontrer, s’y arrêter.

Là, au milieu des flots, il y aurait des arbres - un peu - des fleurs - quelques-unes. Des voix se mêleraient, d’autres voies se croiseraient. Là, au milieu du gué, on se reconnaîtrait, se hélerait, s’apostropherait. Oui, une grande et belle avenue, blanche bien sûr, et bleue aussi. Couleurs de mer chauffée par le soleil. De part et d’autre, des guirlandes et des calicots. De partout, des chants et des rires.
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Yahia Belaskri


Quelques jours après le festival, Dany Laferrière revient sur cette édition d’Étonnants Voyageurs, sur ses émotions et sur le spectacle de l’Escale.

Dany Laferrière © Clara Giboin / Étonnants Voyageurs

Cela fait un moment que je viens à ce festival qui finit par coïncider avec mon parcours intellectuel en France, et j’ai toujours le coeur serré vers la fin.

Dernière heure triste malgré tout le déploiement de couleurs des idées,
de saveurs des gens croisés ici et là, et même cette forte odeur de l’esprit en activité.

Cette fois, grâce à ce spectacle à l’Escale, j’ai eu l’impression de mourir de bonheur,
et comme on le sait les morts ne souffrent pas de nostalgie.

Dany Laferrière


Bouleversé par ses rencontres pendant le festival, et incapable de se défaire de l’euphorie malouine, le très spontané Paul Wamo nous livrait plusieurs poèmes.

Ma nuit ne me suffit plus
ma nuit ne me suffit plus

Aux vagues malouines qui me firent pleurer de claires vérités
A tout mes frères et mes sœurs d’encre de souffle et de corps
A toute ma tribu de fous cymbales et tambours

je vous ai retrouvé... ENFIN

je vous ai retrouvé là où je devais être
je vous ai retrouvé comme un souffle qui renaissait au monde sur le sable

Paul Wamo © Clara Giboin / Étonnants Voyageurs

Bande de Fous !
Vous m’avez touché comme une grâce revenue de l’amnésie
Vous m’avez rassasié

Mes frères et mes sœurs, vous mes ainés, mes bâtisseurs

Je vous ai reconnu et vous m’avez retrouvé
Depuis l’oubli de mes nuits loin de vous
Je vous ai retrouvé
armés de rires et de songes enflammés

Étonnants voyageurs !
C’est ainsi que vous vous êtes présentés et que vous m’avez accueillis
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Paul Wamo


Rencontre inattendue : le saxophoniste Jacques Schwarz-Bart et son acolyte, le chanteur et prêtre vaudou Erol Josué, se mêlent tout naturellement, en musique et en chanson, aux mots des nos rêveurs à gages. Quelques mots envoyés par Jacques :

La rencontre avec James Noël m’a tout de suite fait oublier pourquoi j’étais venu à étonnants voyageurs. Je nourrissais déjà une réelle admiration pour son travail, et après s’être parlé sur la terrasse du Chateaubriand le soir de mon arrivée, je savais que j’avais rencontré un frère d’âme.

Jacques Schwarz-Bart © Clara Giboin / Étonnants Voyageurs

Ce que je ne savais pas, c’est que cette fraternité engloberait tous les participants de sa Jam Session poétique. On était assis au bord des planches de la scène à se soutenir les uns les autres, à partager nos univers les uns avec les autres, à voyager de volcans Kanaks, à la Tibonite, de l’échine nue d’une parisienne aux sens exacerbés, aux ébats sonores d’une prostituée dominicaine qui a perdu toute sensation, du souffle lumineux de Legba, aux résonances lunaires d’une mélopée Ganoua : c’était vraiment un magnifique bordel, comme on ne peut en faire qu’avec des frères d’âme !

En tant que musicien, je suis souvent seul, face à la musique, à mon instrument, aux files de gens dans les aéroports, ou même au public. Mais chaque fois que je repense à cette expérience à Étonnants Voyageurs, ce sentiment de solitude disparaît immédiatement !

Un grand merci à tous !

Jacques Schwarz-Bart

© Francesco Gattoni
 

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Témoignage

Autobiographie américaine

Bouquins - 2024

L’œuvre autobiographique de Dany Laferrière, rassemblée dans ce volume, montre qu’il personnifie une démarche singulière, qu’a déterminé son attitude envers la vie. Et c’est cette attitude qui fait que tant de lecteurs aiment mettre leurs pas dans les siens.
"Un matin de février 1984, il y a quarante ans de cela, je me suis réveillé dans le grand froid montréalais, avec cette idée étrange qu’on ne devrait pas écrire plus d’un livre. Le manuscrit que j’avais fatigué toute la nuit dernière s’était assoupi près de la fenêtre de ma modeste chambre, au milieu des restes du repas de la veille. De mon lit, je l’observais avec un mélange de suspicion et de tendresse. J’attendais trop peut-être de ce premier roman écrit pourtant dans la misère et la liberté. D’abord qu’il me sorte de l’usine, ensuite qu’il me rende célèbre.
Venant d’un pays qui a connu l’esclavage et la dictature, et ayant longuement vécu dans des villes comme Montréal, Miami ou New York, avant de parcourir São Paulo, Mexico, San Juan ou Buenos Aires, je me sentais comme un arbre qui marche dans sa forêt. J’ai fouillé dans l’histoire pour découvrir que cette Amérique continentale était le rêve de Bolívar dont la devise se résumait à « Un continent, un pays ». Tant de cultures diverses que les écrivains de ce continent ou de ce pays allaient m’apprendre. J’ai donc décidé d’entreprendre une longue balade littéraire, en commençant par cette Caraïbe où j’ai pris naissance, et où je suis tombé, un jour de pluie, sur le recueil du poète haïtien René Philoctète Ces îles qui marchent. Je note dans mon calepin noir ce vers rimbaldien : « Je suis venu vers toi, nu, et sans bagages ». C’est donc les mains libres et la tête légère que j’ai entrepris cet interminable voyage dans cette Amérique bigarrée et survoltée."
D. L.

 

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Autres

L’atelier Slam. Écrire et dire des mots qui claquent

Éditions First - 2023

Slamer, c’est mettre sa parole à nu, scander son texte, le partager.
Tu as toujours eu envie de tester l’écriture poétique et les scènes oratoires, mais tu n’as jamais osé te lancer ? Ce cahier est fait pour toi !

Initie-toi au slam avec des conseils pratiques et des exercices guidés :
Jeux d’écriture pour trouver l’inspiration
Jeux de mise en forme pour exercer ta plume
Jeux d’oralité pour t’entraîner à slamer
Pratique seul.e ou à plusieurs, inscris-toi à une scène slam et deviens un slameur ou une slameuse d’exception !

 

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Romans

Les villages de Dieu

Mémoire d’encrier - 2021

Retranchées dans des cités qui tirent leur nom de la légende biblique – Puissance Divine, Bethléem – des gangs de bandits pillent, violent et assassinent, en toute impunité. Celia, adolescente, cherche à survivre, tantôt en se prostituant, tantôt en faisant la chronique des femmes de la cité sur les réseaux sociaux, où elle devient influenceuse. Les villages de Dieu dit l’effondrement et la banalité du mal dans cette ville de Port-au-Prince livrée à ses démons.

 

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Belle Merveille

Zulma - 2017

12 janvier 2010, jour fatidique du séisme ravageur. Un survivant ténu – autoproclamé Bernard – rencontre Amore, Napolitaine œuvrant comme bénévole dans une ONG. Le coup de foudre sonne comme un regain. Pour sortir du grand chaos de la ville soliloque et disloquée, et aider Bernard à se délivrer de son effondrement, Amore, belle tigresse de Frangipane, lui propose un voyage à Rome.
À bord d’Ici-Bas Airlines, Bernard décolle, les yeux fermés. Une étrange mappemonde, entre autres belles merveilles – comme on dit l’extraordinaire dans le parler en Haïti –, se dessine dans la pensée de celui qui rêve de retourner au pays en héros…
Belle merveille est un roman flash. Qui nous dit, avec un humour et une causticité débridés, l’amour, le sexe salutaire, la confusion, la folie, et puis l’absurdité de l’aide internationale quand elle tire à elle la couverture des désastres. Écrit dans une langue syncopée, magnifiquement inventive, Belle merveille est un premier roman qui porte si bien son nom.

Revue de presse

 

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Poésie

La nuit des terrasses & caverne suivi de cadavres

La Contre Allée - 2023

« J’ai commencé à fréquenter les bars, donc boire, très tard dans ma vie. Pour une raison très simple, il faut payer après avoir consommé… Aujourd’hui, dès que j’arrive dans une ville, la première chose qui me vient à l’esprit, c’est d’aller faire la tournée des bars. Tous les poèmes de La nuit des terrasses forment ensemble une seule plongée à travers ces espaces réels ou imaginaires, pour combiner non seulement ces instantanés, ces souvenirs disparates, mais aussi inviter l’autre à sortir sa tête de son verre, à la convivialité. Le verbe "boire » ne se conjuguet- il pas mieux ensemble ? La nuit des terrasses célèbre l’instant, la rencontre des corps et l’amitié. »

d’autres limites
que rien ne franchit
sinon l’heure ivre de tes lieux offerts
jetés dans la nuit des terrasses

le miroir épouse la forme de sa réflexion
ne reste que la houle
pour bercer l’enfance
la mémoire désormais
sera faite d’eau
un peuple s’est mis à danser sur la mer
inlassable soif
ou vaste étendue de whisky


 

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Revue

Apulée n° 9 - Art et politique

Zulma - 2024

L’art n’a-t-il pas toujours été politique en soi, qu’il l’affiche ou s’en défende ? Telle est la ligne de front d’Apulée #9, qui s’engage depuis le premier numéro dans les brèches et par-delà toutes les frontières de ce début de XXIe siècle.

De l’architecture comme métaphore du pouvoir à la reconnaissance poli- tique des peuples sans État via leur culture et patrimoine artistiques (les Inuit, les Tsiganes, les Berbères et autres nomades du sens), du pillage ou de la destruction en temps de guerre et de colonisation (de l’Acropole d’Athènes à Palmyre, en passant par l’Afrique) à l’universalisme de l’altérité, ce nouvel opus d’Apulée assume toutes les fulgurations et parie sur la voix et les gestes éminemment engagés d’artistes, écrivains, poètes et intellectuels qui portent, encore et toujours, l’idée de liberté, par-delà les identités fracassées sous les chocs de l’Histoire…

Chaudron des allégories et des résistances, critique inventive des mœurs, lien social, pratiques et voix émancipatrices et subversives, utopie en actes : ce nouvel opus s’attache cette fois encore à l’Humain – sans œuvres ni parole confisquées, à l’opposé de la « société du spectacle » – contre la pulsion de mort commune à toutes les politiques du pire. Et comme Apulée l’a toujours défendu !

 

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Biographie

Fugues

Mercure de France - 2019

C’est en racontant trois fugues insolites qu’Arthur H., chanteur, compositeur et poète, construit ici son autoportrait et son premier livre.

En forme de prologue, son amour inconditionnel pour les fugues de Bach qui, à 15 ans, est parti sur les routes.

Au centre du récit, une deuxième fugue, celle de sa mère, Nicole Courtois, née en 1940 dans une famille ouvrière d’Argenteuil. Vive, sensible, rêveuse, elle prend un jour la décision avec ses amis de s’évader de cette petite société de banlieue ouvrière, décide de construire un radeau et de naviguer jusqu’à Tahiti. Arthur H. évoque l’adolescence et les rêves de liberté de sa mère et nous raconte, avec une écriture lyrique et troublante son extraordinaire voyage-conte de fées commencé en Corse…

La troisième fugue sera celle d’Arthur H. lui-même, à l’âge de 15 ans, lors de vacances en Guadeloupe, avec son père Jacques Higelin et Coluche. Le déclic de cette fugue : son père et ses amis lui font manger une omelette fourrée aux champignons hallucinogènes…

Un récit bouleversant, ponctué de paysages de Corse en noir et blanc, de photos de famille et de lettres inédites…