ČOLIĆ Velibor

Bosnie

7 mars 2024.

Né en 1964 dans une petite ville de Bosnie où il perdra sa maison et ses manuscrits réduits en cendres pendant la guerre, Vélibor Čolić est enrôlé dans l’armée bosniaque en 1992 après des études de littérature et un passage à la radio régionale comme journaliste rock et jazz. Avec Guerre et pluie (Gallimard, 2024), roman sélectionné pour le Prix Ouest-France, il écrit enfin son récit de l’invasion de la Bosnie par l’armée fédérale ex-yougoslave, jusqu’à sa désertion, qui a marqué le début de sa vie en exil. Un livre de révolte mais aussi plein de tendresse, d’autant plus puissant qu’il résonne terriblement avec ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine.

 

« Entre mon pays, la Bosnie et la France, j’ai traversé les frontières croate, slovène, autrichienne, allemande et française, mais la pire frontière pour moi, c’était la langue. » (SGDL)

Après un ouvrage foudroyant sur la folie des années 1990 (Jésus et Tito), ce fan de rock et de jazz continue d’explorer les Balkans avec Sarajevo Omnibus . En 2014 paraît Edelerzi, comédie dite pessimiste où la réincarnation au fil du siècle d’un fameux orchestre tsigane composé de musiciens virtuose. Son Manuel d’Exil, publié en 2016 a été traduit dans de nombreuses langues à travers l’Europe. En 2018 il publie un texte dans l’ouvrage collectif Osons la fraternité (Phiippe Rey, 2018) et participe aux journées scolaires du festival.

C’est sans doute la guerre qui a fait de Velibor Čolić, né en 1964 en Bosnie, dans une ville qui aujourd’hui n’existe plus, un écrivain à part entière. Jeune chroniqueur radiophonique, il déserte l’armée croato-bosniaque en 1992, puis est fait prisonnier avant de réussir à s’enfuir. Réfugié en France, il vit longtemps à Strasbourg, où il travaille dans une bibliothèque et collabore aux Dernières nouvelles d’Alsace.

D’abord auteur de plusieurs ouvrages en serbo-croate, traduits en français par Mireille Robin, Archanges (roman a capella) est le premier ouvrage de Velibor Čolić écrit directement en français. Installé désormais à Douarnenez, en Bretagne, ce passionné de rock et de jazz (comme en atteste Perdido, biographie imaginée de Ben Webster, saxophoniste ténor de Duke Ellington), organise régulièrement des lectures publiques avec des amis musiciens. Le sous-titre « roman a capella » vient démarquer Archanges de ses autres romans : il est le seul à ce jour qu’il ait écrit sans musique.

Inspiré par sa propre histoire, Velibor Čolić revient sur les années de guerre qui ensanglantèrent les Balkans. Dans Jésus et Tito, ouvrage foudroyant sur la folie des années 1990 il égrène les souvenirs de son pays natal comme on feuillette un album-photo. Avec Sarajevo Omnibus, il remonte plus loin dans l’histoire de son pays, véritable poudrière qui enflamma l’Europe en 1914. Autour de la figure de Gavrilo Princip, le jeune serbe qui assassina l’archiduc François-Ferdinand, se déploie une riche constellation de personnages. Curés, rabbins et imams, officiers russes et prix Nobel se côtoient dans un roman à l’image des Balkans : infiniment complexe, mais irrésistiblement vivant.

En mai 2014 paraît un "roman tsigane", comédie dite pessimiste, l’histoire, à travers le XXe siècle, d’un fameux orchestre tzigane composé de musiciens virtuoses, buveurs, conteurs invétérés, séducteurs et bagarreurs incorrigibles… qui ne cesse de se réincarner, des camps de la mort en 1943, au drame de l’ex-Yougoslavie et jusque dans la "jungle" de Calais en ce début de XXIe siècle. Le roman de Velibor Čolić restitue merveilleusement la folie de la musique tzigane, nourrie de mélopées yiddish, de « sevdah » bosniaque, de fanfares serbes ou autrichiennes, une musique et une écriture pleines d’insolence, au charme sinueux et imprévisible. Les réincarnations successives d’Azlan font vivre avec bonheur la figure du Rom errant éternellement, porté par un vent de musique et d’alcool, chargé des douleurs et des joies d’un peuple comparable à nul autre.

Velibor Čolić revient en 2016 pour nous raconter ses premières années d’exil, de 1992 à 2000. Il aborde ce sujet d’une grande actualité avec une écriture poétique, pleine de fantaisie et d’humour absurde, de fulgurances, de faux proverbes, de paradoxes, d’aphorismes comiques (« L’an dernier j’étais encore un peu prétentieux, mais cette année je suis parfait »). On y croise quelques femmes (rencontres sans avenir, souvent amères) et des personnages hauts en couleurs, notamment des Roms qui, à Rennes comme à Budapest, s’inventent un art de vivre à base de système D et de fatalisme roublard. Velibor Čolić décrit sans apitoiement la condition des réfugiés, avec une ironie féroce et tendre. En 2018 il publie un texte dans l’ouvrage collectif Osons la fraternité (Phiippe Rey, 2018).

Dans Le livre des départs (Gallimard, 2020), il partage le terrible sentiment de déréliction et l’errance sans espoir des migrants, à travers le récit de son propre exil. Texte à la fois déchirant et plein de fantaisie, Velibor Čolić nous plonge dans les désirs et les peurs de ceux qui n’ont pu rester chez eux.


Bibliographie

 

DERNIER OUVRAGE

 
Récit

Guerre et pluie

Gallimard - 2024

Velibor Colic a en n écrit le récit de sa guerre, celle qu’il a vécue en 1992, depuis son enrôlement dans l’armée croato-bosniaque lors de l’invasion de la Bosnie par l’armée fédérale ex-yougoslave tenue par les Serbes, jusqu’à sa désertion, qui a marqué le début de sa vie en exil. Il l’avait évoqué dans son tout premier livre, Les Bosniaques, série de brefs récits de guerre, écrit en serbo-croate. C’est ici un projet d’une toute autre ampleur. La première partie raconte l’apparition, vers 2020, alors que l’auteur vit à Bruxelles, d’une maladie rare, provoquant l’éclosion de cloques douloureuses sur le corps et dans la bouche, qui fait revenir à sa mémoire les images des corps en déchéance. Il comprend aussi que si sa langue est attaquée par des aphtes purulents, c’est qu’il a dû s’arracher à sa langue maternelle pour venir habiter le français : le corps dit toutes ces déchirures. La deuxième partie évoque de façon saisissante la vie du jeune soldat de 28 ans jeté dans un univers d’épouvante : la guerre détruit les hommes, mais aussi les animaux, les arbres, tout ce monde de beauté paisible qui avait été le sien. La troisième partie raconte comment, ayant décidé de déserter, l’auteur a réussi à échapper à la guerre, au prix du deuil de tout ce qui avait fait sa vie jusqu’alors.« La mémoire parle une langue étrangère dont nous ne maîtrisons pas tous les signes », écrit Colic. C’est ce qui donne à ce récit son caractère à la fois halluciné et drolatique. L’horreur des tranchées, la déréliction des soldats, les souffrances, tout cet univers d’e4roi où aucune loi n’existe, est contrebalancé par la douceur merveilleuse des souvenirs d’avant – en particulier des souvenirs amoureux, évoqués avec une délicatesse et une poésie qui subjuguent. L’auteur se décrit avec une autodérision parfois enfiévrée de colère, comme un colosse branlant. C’est un livre de révolte mais aussi, paradoxalement, un livre plein de tendresse et de drôlerie, car l’auteur ne se départit jamais de son penchant pour les aphorismes sarcastiques ou absurdes. Ce grand livre est d’autant plus puissant qu’il résonne terriblement avec ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine.