MORIN Edgar

France

7 mai 2020.

À presque 100 ans, ce philosophe et sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS et ancien résistant ne cesse de produire une réflexion prolifique et vivifiante. Ses ouvrages abordent des questions aussi vastes et variées que la mort, l’ethnologie, la télévision, la physique, la biologie, la philosophie des sciences… Conscient de l’époque, lanceur d’alerte planétaire, il n’a de cesse d’attirer l’attention du siècle sur les dérives de la mondialisation et les perversions d’un système soumis au diktat de la croissance. En 2019, il écrit « selon l’inspiration, les circonstances », Les Souvenirs viennent à ma rencontre, dressant une toile de sa vie, dans laquelle, selon ses mots, « la grande histoire se mêle en permanence à l’histoire d’une vie riche de voyages, de rencontres où l’amitié et l’amour occupent une place centrale ». Cette année, il revient avec un essai limpide et inspirant sur l’idée de crise - Écologique, économique, politique, etc. – qui hante le monde actuel afin de nous faire prendre de la hauteur face à cette notion galvaudée. Salvateur.

 

"J’ai renoncé depuis longtemps à l’idée d’un soi disant meilleur des mondes, mais je ne renonce pas à l’idée d’un monde meilleur", déclare Edgard Morin. A 99 ans, ce philosophe et sociologue ne cesse de produire une réflexion prolifique et vivifiante qui interroge le monde et le devenir de l’humanité.

Fort de tout le bagage intellectuel qu’il a érigé au fil des années, il tire la sonnette d’alarme pour les générations futures. Dans son ouvrage La Voie, il pointe du doigt la crise d’ordre écologique, sociale et économique qui menace la planète. Pour autant, Edgar Morin refuse la qualification de "pessimiste". Car si la catastrophe est plus que probable, l’emballement désastreux qui a pris d’assaut le monde, sous l’impulsion de la science, du concept de développement et de l’omnipotence du capitalisme génère également une prise de conscience qui ouvre la voie à de nombreuses initiatives porteuses de vitalité. On peut donc encore y croire : "l’expérience de l’histoire nous montre que l’improbable bénéfique arrive".

La vie de ce résistant de la première heure est aussi riche que sa pensée qu’il développe tout au long de la cinquantaine d’ouvrages qui composent sa bibliographie. Edgar Nahoum, né à Paris en 1921, s’engage très tôt en politique, au coté du parti frontiste (parti de gauche pacifiste et antifasciste). Après avoir obtenu une licence en histoire et en géographie, ainsi qu’en droit, il rejoint le mouvement de la résistance en 1942, et devient lieutenant des Forces françaises combattantes. En souvenir de cette expérience, il conserve son pseudonyme de militant : Morin.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, il publie l’An zéro de l’Allemagne, un livre sur la situation du peuple allemand à cette époque. En 1950, il entre en tant que chercheur au CNRS. Il conduit notamment en 1965 l’une des premières études ethnologiques sur la société française contemporaine, à propos d’une petite commune de Bretagne, Plovezet. Il est aussi l’un des premiers chercheurs à s’intéresser aux pratiques culturelles : il fonde notamment le centre d’Etudes des Communications de Masse, qui mène des recherches sur la télévision, la chanson,... Dans les années 1960, il part enseigner deux années en Amérique latine, à la faculté de sciences sociales. Il est aujourd’hui directeur de recherche émérite au CNRS, et docteur honoris causa de nombreuses universités à travers le monde.

Son esprit résistant l’a conduit tout au long de sa vie à prendre des positions fortes contre toutes les situations d’oppression ou d’injustice. Radié du parti communiste pour ses idées antistaliniennes, il anime en 1955 un comité contre la guerre d’Algérie, tout en dénonçant également les dérives du FLN. Il est très tôt l’un des fervents défenseurs de l’écologie, et prône une "politique de la civilisation", un concept qui "vise à remettre l’homme au centre le politique, en tant que fin et moyen, et à promouvoir le bien vivre au lieu du bien être." Edgar Morin énonce un diagnostic et une éthique pour les problèmes fondamentaux de notre temps, et appelle les hommes à réanimer les solidarités qui se perdent au sein de notre société occidentale.

La pensée d’Edgar Morin a considérablement influencé la philosophie contemporaine. Son oeuvre majeure, La Méthode, est constituée de six volumes parus entre 1977 et 2004 : La Nature de la nature, La Vie de la vie, La Connaissance de la connaissance, Les Idées, L’Humanité de l’humanité - L’identité humaine, Éthique. Il s’y emploie à donner corps à l’une des questions fondamentales qui mènent sa réflexion : le décloisonnement des frontières entre les disciplines afin d’opérer une synthèse des connaissances. Une invitation à penser de manière complexe, refusant les oppositions binaires et simplistes. "La pensée complexe, explique-t-il, c’est unir des notions qui se repoussent". Une attitude intellectuelle qui renvoie à la complexité même du monde. A l’image de sa philosophie, les ouvrages d’Edgar Morin se sont nourris de pluridisciplinarité, abordant des questions aussi vastes et variées que la mort, l’ethnologie, l’histoire, la télévision, la physique, la biologie, la philosophie des sciences,... Il a créé, et préside encore aujourd’hui, l’Association pour la Pensée Complexe (APC).

Un décloisonnement qui devrait aussi s’appliquer aux initiatives porteuses de vie à travers le monde. "Aujourd’hui, quel est le nouvel improbable ? La vitalité de ce l’on appelle la société civile, une créativité porteuse d’avenir (...) Beaucoup de choses se créent. Le monde grouille d’initiatives de vouloir vivre. Faisons en sorte que ces initiatives se connaissent et se croisent !" Tout cela pour réfléchir ensemble au devenir de l’humanité : "La visée, c’est la symbiose du meilleur de chaque culture et de chaque civilisation : il faut changer de voie. C’est possible, mais cela ne peut commencer que par des déviances, des transgressions." Une réflexion qui est le coeur même de son livre, paru en 2011 : La Voie, pour le devenir de l’humanité, et qu’il prolonge avec son ami Stephane Hessel dans l’un de ses derniers ouvrages, Le chemin de l’espérance.

Edgar Morin nous a déjà fait le plaisir de se joindre à nous en 2017 pour nous présenter deux essais. D’abord, Sur l’esthétique, publié chez Robert Laffont : à travers les œuvres qui l’ont personnellement marquées, il y livre une réflexion profonde sur ce qui fait la beauté du sentiment esthétique et de sa complexité, sur ce qu’il a d’insaisissable et de nécessaire et sur ce que la création artistique nous apporte en compréhension et en perspectives. Ensuite, Connaissance, ignorance, mystère, avec lequel il entreprend de parcourir les nouveaux territoires de la connaissance où se révèle un trio inséparable : connaissance ignorance mystère.

L’année suivant, il publie un roman vieux de 70ans, qui garde pourtant toute sa fraîcheur ! La seule forme romanesque dans son œuvre à ce jour… Largement autobiographique, L’île de Luna relate sa première rencontre avec la mort, celle de sa mère, le deuil et l’insupportable non-dit qui l’entoure. Ecrit de jeunesse jusqu’ici inédit d’Edgar Morin, L’île de Luna irrigue ainsi de façon nouvelle l’œuvre du philosophe.

En 2019, il écrit « selon l’inspiration, les circonstances » Mes Souvenirs viennent à ma rencontre, dressant une toile de sa vie, dans laquelle « La grande histoire se mêle en permanence à l’histoire d’une vie riche de voyages, de rencontres où l’amitié et l’amour occupent une place centrale ». Cette année, le maître de la pensée complexe revient au festival avec un essai limpide et inspirant sur l’idée de crise - Écologique, économique, politique, etc. – qui hante le monde actuel afin de nous faire prendre de la hauteur face à cette notion galvaudée.


Bibliographie :


Bibliographie traduite en anglais :

 

DERNIER OUVRAGE

 
Essais

Les souvenirs viennent à ma rencontre

Fayard - 2019

Dans ce livre, Edgar Morin, né en 1921, a choisi de réunir tous les souvenirs qui sont remontés à sa mémoire. A 97 ans, celle-ci est intacte et lui permet de dérouler devant nous l’épopée vivante d’un homme qui a traversé les grands événements du XXe siècle. La grande histoire se mêle en permanence à l’histoire d’une vie riche de voyages, de rencontres où l’amitié et l’amour occupent une place centrale. 

Ces souvenirs ne sont pas venus selon un ordre chronologique comme le sont habituellement les Mémoires. Ils sont venus à ma rencontre selon l’inspiration, les circonstances. S’interpellant les uns les autres, certains en ont fait émerger d’autres de l’oubli.
Ils témoignent que j’ai pu admirer inconditionnellement des hommes ou femmes qui furent à la fois mes héros et mes amis.
Ils témoignent des dérives et des dégradations, mais aussi des grandeurs et des noblesses que les violents remous de l’Histoire ont entraînées chez tant de proches.
Ils témoignent des illuminations qui m’ont révélé mes vérités  ; de mes émotions, de mes ferveurs, de mes douleurs, de mes bonheurs.
Ils témoignent que je suis devenu tout ce que j’ai rencontré.
Ils témoignent que le fils unique, orphelin de mère que j’étais, a trouvé dans sa vie des frères et des sœurs.
Ils témoignent de mes résistances : sous l’Occupation, puis au cours des guerres d’Algérie, de Yougoslavie, du Moyen-Orient, et contre la montée de deux barbaries, l’une venue du fond des âges, de la haine, du mépris, du fanatisme, l’autre froide, voire glacée, du calcul et du profit, toutes deux désormais sans freins.
Ces souvenirs témoignent enfin d’une extrême diversité de curiosités et d’intérêts, mais aussi d’une obsession essentielle, celle qu’exprimait Kant et qui n’a cessé de m’animer : Que puis-je savoir ? Que puis-je croire ? Que puis-je espérer ? Inséparable de la triple question : qu’est-ce que l’homme, la vie, l’univers ?
Cette interrogation, je me suis donné le droit de la poursuivre toute ma vie.
Edgar Morin

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Revue de presse :