GRAS Cédric

France

28 avril 2023.

Écrivain géographe, ou plutôt écrivain de la géographie, ce baroudeur érudit a choisi de voyager pour connaître le monde. Le terrain de jeu favori de Cédric Gras ? La Russie. Amoureux des confins, il a exploré cet extrême orient avec passion jusque dans les endroits les plus reculés, avalant les kilomètres à pied, en stop ou en train. Après avoir enquêté sur l’instrumentalisation de l’alpinisme par l’URSS dans Alpinistes de Staline (prix Albert Londres 2020), il retrace cette année l’histoire méconnue de la conquête de l’Everest par deux prolétaires chinois pour légitimer le règne de Mao et son autorité sur le Tibet. Une ascension nimbée de mystères et de mensonges reconstituée avec justesse par l’auteur.

 

Géographe et fou de voyages, Cédric Gras est un amoureux des confins russes qu’il explore avec passion jusque dans les endroits les plus reculés, avalant les kilomètres à pied, en stop ou en train.

Encore étudiant à Paris, Cédric Gras se prend de passion pour la géographie. Mais il délaisse rapidement cartes et livres, préférant parcourir les réalités du monde lors de voyages et expéditions au long cours. Il visite une quarantaine de pays, de Montréal à Pondichéry, avant qu’un accident d’alpinisme ne le contraigne à choisir une vie plus "rangée" - selon l’aventurier qu’il est… Après une année à Omsk en Sibérie, il s’installe dans l’atmosphère cosmopolite de Vladivostok pour prendre la direction de l’Alliance française nouvellement créée. Il apprend le russe et entreprend une thèse de doctorat intitulée L’Extrême-Orient russe et les Russes d’Extrême-Orient : les conditions d’un établissement durable.

En 2012, toujours avide d’aventures inédites, il accompagne Sylvain Tesson sur les traces de la retraite de Russie, 200 ans après la Bérézina des grognards de Bonaparte. Une épopée rocambolesque avec un ami de 10 ans, lui aussi écrivain, grand voyageur et russophile, pour laquelle ils ont parcouru 3500 kilomètres sur un side-car de fabrication soviétique entre Moscou et Paris : Cedric Gras dans le panier au ras du sol, avec Sylvain Tesson au volant de la moto, traversant les steppes gelées sur leur monture brinquebalante !

L’année suivante paraît Au Nord, c’est l’Est, récit fascinant dans lequel il invite le lecteur à envisager que le Nord russe se situe en réalité… à l’Est ! Pour écrire cet ouvrage, Cédric Gras a une nouvelle fois parcouru des milliers de kilomètres, redécouvrant ces territoires austères et reculés que peuplent encore quelques habitants isolés. De la Carélie au fleuve Amour, de la Crimée à la mer du Japon, des immenses steppes de Mongolie à Magadan, Cédric Gras nous entraîne à la rencontre de ces archipels humains de la Sibérie Orientale que le pouvoir exploite à coups de décrets depuis l’époque soviétique… Un recueil de douze nouvelles à peine publié, Le Cœur et les Confins, nourri par ses aventures à travers le globe, le revoilà en 2015 avec un nouveau récit de ses voyages en Russie, L’hiver aux trousses. Voyage en Russie d’Extrême-Orient. D’une plume précise et traversée de fulgurances poétiques, l’écrivain-voyageur-diplomate y multiplie les considérations sur cette énigmatique Russie qui le fascine tant, tout à la fois patrie de Poutine et de Tchékhov.

Terminant ces périples russes à l’automne 2013, Cédric Gras quitte alors cet extrême orient qu’il a arpenté avec passion pour passer à l’Ouest, comme tant de Russes avant lui. Il s’établit en Ukraine où il dirige l’Alliance française de Donetsk, contraint de la fermer en catastrophe quelques mois plus tard… Les révoltes éclatent dans les grandes villes, Maidan se soulève à Kiev, la guerre fait bientôt rage dans le Donbass. Alors qu’il finit tout juste de publier ses deux précédents ouvrages, le voilà déjà aux prises avec la matière d’un nouveau livre ! Ainsi né quelques années plus tard le premier roman de Cédric Gras Anthracite (2016), une épopée contemporaine entre guerre civile et mines d’anthracite dans l’Ukraine survoltée de l’hiver 2014.

En 2017, le géographe globe-trotter venait nous rendre visite pour La mer des cosmonautes, récit de son expédition de trois mois à bord du brise-glace russe qui ravitaille les polyarniks : des hommes qui consacrent leurs vies à l’étude des pôles, dont la renommée était comparable à celle des cosmonautes pendant la guerre froide. Rare observateur étranger à avoir pu embarquer à bord de l’Akademik Fedorov, La mer des cosmonautes est un document précieux, dans lequel l’auteur nous laisse entrevoir les vestiges d’un mythe russe fondateur.

Dans son livre Saisons du voyage, Cédric Gras revient avec gourmandise sur quelques-unes de ses tribulations, du Tibet à l’Albanie en passant par toute l’Eurasie. Surtout, il s’interroge sur la notion de voyage dans le monde contemporain : « Je voulais voir le monde autant que m’en échapper. Je suis parti, moi aussi, aiguillonné par l’esprit d’aventure – on n’était déjà plus explorateur. (…) Mais à quoi bon poursuivre désormais des fantômes, dans les confettis de forêts vierges pixellisées par Google Earth ? » Qu’est-ce qui fait le départ ? Qu’est devenu le voyage au 21e siècle, à l’heure d’une planète métamorphosée par le progrès et rétrécie par les communications ?


Bibliographie :

 

DERNIER OUVRAGE

 
Récit

Alpinistes de Mao

Stock - 2023

Ils s’appelaient Xu Djin et Liu Lianman, n’avaient jamais vu de montagnes auparavant et encore moins pratiqué l’alpinisme de quelque façon que ce soit. En 1960, le Parti communiste chinois les élève au grade de « désignés volontaires » et leur commande ainsi qu’aux camarades qui les accompagnent de conquérir le Qomolangma, tel que les gens du cru désignent l’Everest depuis toujours. Mission supplémentaire, ils sont tenus de déposer sur le toit du monde (8 849 mètres) un buste de Mao Zedong en un geste symbolique supposé souligner la conquête définitive du Tibet. Le climat de propagande est tel que l’opinion du pays tout entier néglige que la plus haute montagne de la planète a été vaincue une première fois sept ans plus tôt depuis le versant népalais par Edmund Hillary et Tensing Norgay.

Au terme d’une enquête approfondie, Cédric Gras qui a fréquenté ces confins à plusieurs reprises, restitue, sur fond de famine paysanne et de répression à grande échelle, cette ascension nimbée de mystère et de mensonges. Ces spécialistes improvisés côtoient la mort qui sans cesse menace, et les corps bien réels de Sandy Irvine et George Mallory, disparus en 1924. Malgré leur dévouement et leur obstination, Xu Djin et Liu Lianman n’en finiront pas moins dans un camp de rééducation de la Révolution culturelle avant d’emporter dans leurs tombes les secrets himalayens du régime chinois.

Avec le savoir-faire qu’on lui connaît, grâce à toute une série de documents inédits, en mandarin en en russe, Cédric Gras a reconstitué le destin hors-norme de ces prolétaires que rien ne prédestinait au vertige des cimes.