ORCEL Makenzy

Haïti

17 avril 2024.

Ce « poète solitaire » haïtien a fait de sa poésie un cri, une manière de donner une force littéraire et une voix à cette rage qui l’habite. Il a publié des recueils de poèmes et des romans douloureux et rageurs, dont le très remarqué Les Immortelles (Zulma, 2012), qui faisait entendre la voix des prostituées de Port-au-Prince après le tremblement de terre qui a secoué l’île en 2010. Chevalier des arts et des lettres depuis 2017, Makenzy Orcel est finaliste du prix Goncourt pour son dernier roman, Une somme humaine (Rivages, 2022). Il revient cette année à Saint-Malo avec un recueil de trois nouvelles poétiques et introspectives. La Nuit des terrasses est une plongée dans la vie des bars et une véritable célébration de l’instant, de la rencontre des corps et de l’amitié. Caverne est un hommage aux morts - parents, amis ou inconnus -, une manière de leur donner vie afin de panser ses propres plaies. Cadavres est également un poème intime, un retour sur les lieux de l’enfance, de l’intérieur.

 

Makenzy Orcel est né en 1983 à Port-au-Prince. Après des études de linguistique, il abandonne l’université pour se consacrer à la littérature. "Je suis né fâché, j’ai été fâché toute ma vie. C’est cette colère qui m’a donné envie d’écrire." De la colère, mais pas seulement. Car la poésie de Makenzy Orcel, héritière de la tradition littéraire haïtienne, transforme la vie en musique et dévoile la beauté des choses en quelques phrases épurées. "Il y a aussi de la magie, dans ce qu’on voit, ce qu’on entend et surtout ce qu’on lit."

Il publie deux recueils de poèmes, La Douleur de l’étreinte en 2007 et Sans Ailleurs en 2009. Un recueil traversé par les thèmes de la nuit, de l’enfermement, et de l’ailleurs.

Aux lendemains du tremblement de terre qui a secoué Port-au-Prince avec la même force destructrice que la bombe d’Hiroshima, Makenzy Orcel a écrit Les Immortelles pour dire la folie de vivre malgré l’épouvante autant que pour livrer le plus insolent témoignage face à l’apocalypse. C’est aux prostituées de Port-au-Prince, à ces "immortelles" qu’il a voulu rendre hommage, celles dont la voix ne s’est pas faite entendre à l’heure de la médiatisation de la catastrophe. "Je ne veux pas écrire sur ce que tout le monde voit, et ce que tout le monde aime, ça ne m’intéresse pas. Je veux être dans le sous-bassement des choses. Des lettres, de la société, de tout. Haïti, c’est un pays d’ombre, et je puise dans l’ombre. » Les Immortelles, qui lui vaut le Prix Thyde Monnier de la SGDL, est son premier roman, brodé comme un recueil de prose. Les paragraphes épurés qui se découpent sur la page blanche recèlent toute l’intensité et la violence de la douleur. (Lire la revue de presse des Immortelles)

Avec Les Latrines, publié en 2011 chez Mémoires d’encrier, Mackenzy Orcel poursuit son exploration des bas-fonds, offrant au lecteur médusé une véritable fête du langage dans le dédale des bidonvilles de Port-au-Prince.

L’enfant terrible des lettres haïtiennes publie L’Ombre animale en 2016, roman qui remporte -entre autres- le Prix Littérature-Monde et le Prix Louis Guilloux. Le titre retranscrit parfaitement l’esprit d’un roman en clair-obscur où le corps s’expose, se décompose, se renouvelle. Difficile de résumer l’incroyable profusion d’un texte qui brouille les cartes, échappe aux étiquetages et choisit l’éclat du verbe comme unique boussole. Makenzy Orcel est un archéologue du sens, un écrivain sensoriel qui puise dans la marginalité une puissance d’évocation rare. Roman ambitieux et exigeant, l’Ombre animale n’a pas fini de nous fasciner.

En 2018, il signe Maître-Minuit, roman avec lequel il revisite un mythe légendaire haïtien par l’intermédiaire de Poto, dessinateur dans les années 50, qui traverse l’Histoire de son pays. L’écrivain joue habilement sur les contrastes et la musicalité de la langue pour dresser un portrait d’Haïti à une période trouble où la folie semble s’emparer de l’île.

Chevalier des arts et des lettres depuis 2017, Makenzy Orcel, pour son dernier
roman, Une somme humaine (Rivages, 2022), a été finaliste du prix Goncourt.

En 2023, il obtient également le prix de la fondation Anna Seghers.


Bibliographie

 

DERNIER OUVRAGE

 
Poésie

La nuit des terrasses & caverne suivi de cadavres

La Contre Allée - 2023

« J’ai commencé à fréquenter les bars, donc boire, très tard dans ma vie. Pour une raison très simple, il faut payer après avoir consommé… Aujourd’hui, dès que j’arrive dans une ville, la première chose qui me vient à l’esprit, c’est d’aller faire la tournée des bars. Tous les poèmes de La nuit des terrasses forment ensemble une seule plongée à travers ces espaces réels ou imaginaires, pour combiner non seulement ces instantanés, ces souvenirs disparates, mais aussi inviter l’autre à sortir sa tête de son verre, à la convivialité. Le verbe "boire » ne se conjuguet- il pas mieux ensemble ? La nuit des terrasses célèbre l’instant, la rencontre des corps et l’amitié. »

d’autres limites
que rien ne franchit
sinon l’heure ivre de tes lieux offerts
jetés dans la nuit des terrasses

le miroir épouse la forme de sa réflexion
ne reste que la houle
pour bercer l’enfance
la mémoire désormais
sera faite d’eau
un peuple s’est mis à danser sur la mer
inlassable soif
ou vaste étendue de whisky