"Dîtes, qu’avez-vous vu ?" par Yves Pinguilly

13 décembre 2010.
 

Entre Saint Malo beau port de mer et Bamako marigot du caïman, la différence est grande ! On peut sérieusement rêver à Saint-Malo d’apercevoir une baleine blanche dans les vagues alors qu’à Bamako on cherchera au milieu du Djoliba ou sur ses berges une famille d’hippopotames. Mais, avec mille différences on peut faire une harmonie nous a appris Sony Labou Tansi l’écrivain congolais et c’est peut être ce que tentent un peu les écrivains voyageurs qui une fois de plus sont allés des portes océanes du bord de la Manche aux portes du désert de l’ancien empire Mandé.

Dîtes, qu’avez-vous vu ?
Après Baudelaire on est en droit de poser la question à chacun tant il est vrai que celui qui revient doit raconter, donner des nouvelles de l’ailleurs c’est une politesse, une obligation quelquefois.
Il faudrait beaucoup de mots pour raconter les rencontres et débats publiques, les petites palabres improvisées et le voyage que quelques uns de nous firent vers Mopti, Ségou, Koulikoro, Kayes, Sikasso ou Kita.

Pour ma part, outre Bamako, c’est à Kita que je suis allé à la rencontre des lecteurs. Quelle chance ! Le vieil africain que je suis, qui a un peu oublié le bambara du Mali pour parler le sango de Centrafrique, ne connaissait pas encore cette ville des chasseurs et des griots.
J’étais donc heureux d’aller vers Kita, pour y découvrir la gare de chemin de fer de la ligne Dakar-Niger que connut si bien dans son enfance l’écrivain Moussa Konaté qui aujourd’hui est co-directeur avec Michel Le Bris du salon Etonnants Voyageurs de Bamako ; heureux d’aller dans la ville de l’écrivain Massa Makan Diabaté qui fut un des écrivains majeurs du lendemain des indépendances. Quelle chance, à peine avais-je dans la ville évoqué son nom, que l’on m’emmena là, à l’ombre de l’arbre où tenait salon Le coiffeur de Kita, là où vendait sa viande Le boucher de Kita et aussi dans la rue où chacun se souvient encore du Lieutenant de Kita. Dans cette ville presque chaque habitant a assez de mémoire pour chanter :
J’appelle ici Soundiata
Le fils de Sogolon la femme-buffle
J’appelle le fondateur de l’empire du Mali
Je chante celui qui a réuni dix royaumes
Depuis le fond du Soudan jusqu’à l’océan
……………………………………………
j’évoque l’histoire du valeureux guerrier
qui sut combattre, vaincre, puis pacifier
le plus vaste empire d’Afrique

Dans cette ville la mémoire est grande et les paroles du lointain passé sont toujours là, à portée d’oreilles comme les écrits des écrivains d’aujourd’hui qui sont nés là vivent sous les yeux des jeunes et des moins jeunes.

Le dernier jour passé à Kita, alors que j’allais parler devant une grande assemblée de professeurs et d’étudiants, de l’histoire de l’écriture et de mon propre travail d’écrivain blanc d’Afrique subsaharienne, j’eus la surprise et la joie de voir arriver dans la salle Fodé Diabaté le chef des griots. J’étais ému et intimidé !
Mais, le barde que je suis par héritage et le griot que je suis devenu par métissage était là en famille. Et, quand après la conférence nous partîmes ensemble main dans la main, je compris que certainement quelque part au fin fond de nos généalogies nous avions des ancêtres communs. Le soir, les deux doyens que nous étions se retrouvèrent avec d’autres autour d’un plat de chevreau grillé et c’est en même temps que nous mîmes les premiers notre main dans le plat.

Et puis et puis encore ?
Encore beaucoup, beaucoup de pages à noircir dans un prochain livre sans doute. Et puis partir, aller vers ce bout du monde qui on le sait n’existe pas !

_ Yves Pinguilly,
en Bretagne, à Coadout par 48° 31’ 5’’ de latitude N et 3° 11’ 13’’ de longitude W.