James Noël, Nouméa, le 30 juin 2010

30 juin 2010.
 

La fête était belle à Saint-Malo. Malheureusement, je n’ai pas eu le temps de discuter avec tout le monde. C’est mon seul regret. Je sais tout de même que « MA THÉ MA TI QUE MENT » , il est impossible de discuter avec des centaines d’invités, impossible d’échanger en vis-à-vis avec plusieurs milliers de visiteurs. Mathématiquement impossible, mais pour les maths j’ai toujours manifesté depuis l’enfance le plus loyal des mépris Fort de ce mépris calculé, je peux maintenant savourer délicieusement mon regret de n’avoir pas eu le temps d’échanger avec tout le monde. Je caresse mon regret à côté d’une femme, dans le sens du poil.

Mon corps comme tout sublime animal ayant vécu le séisme du 12 janvier en Haïti, oui mon corps comme tout sublime autre animal, qu’il soit Georges Anglade ou bien Gary Victor, qu’il soit ma fille ou bien Maurine, oui le corps de Saint-Eloi ou de Michel et Mélani Lebris, le corps de Mackenzy Orcel ou de Natalie Castera, le corps de Dany Laferrière ou de Frankétienne , le corps des filles de Flore ou de Mura Milor, le corps de Sergine André ou de Syto Cavé, le corps de Délano Morel ou de Solange Lafontant, le corps de Thomas Spear ou de Dominique Batraville, le corps de Maette Chantrel et de Coutchevre Lavoie Aupont, le Corps de Claude Pierre ou de Kettly Pierre Mars, le corps d’Evelyne Trouillot ou d’Antoine Hubert-Louis, le corps de Faubert Bolivar ou de Kerline Devise, mon corps, comme les boîtes de conserve, mon corps sait aussi beaucoup de choses, mais beaucoup trop de choses sur les regrets.

Pour l’instant mon corps se trouve à Nouméa en résidence d’écriture, où il est invité avec ma compagne et ma fille par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Nous avons choisi de squatter durant notre séjour la magnifique maison d’Imasango, une amie qui mène double vie à Nouméa : Elle est enseignante de jour, et la nuit, elle commet des poèmes.
J’écris ces mots en toute hâte, devant une petite table sur laquelle se tient en toute transparence un verre à pied qui ne garde aucune mémoire de la couleur des Bordeaux picolés la veille. On a bien bu. On a ri pas mal, la gorge déployée dans la nuit qui se ferme.
Mon corps se met en position de tir, en position d’auteur pour parler du dernier « Kana sutra », le livre que je suis en train d’écrire, entre la brousse et Nouméa, en terre kanak plus largement. Hier, je pouvais lire un regret profond dans les yeux d’une amie excitée, à qui j’ai confié que mon livre ne sera pas un manuel sur l’érotisme. « Tu ne seras jamais un best-seller » me lança-t’elle de but en blanc, espérant qu’au terme de ma résidence d’écriture, elle me ferait changer d’avis, d’une manière ou d’une autre. Il faudrait pour cela, pensé-je, que je commence par cesser d’être poète. J’encaisse au fond cette tentation qui fait remonter en moi, comme un précipité chimique, la drogue douce d’un enviable regret.

James Noël

 

DERNIER OUVRAGE

 

Belle Merveille

Zulma - 2017

12 janvier 2010, jour fatidique du séisme ravageur. Un survivant ténu – autoproclamé Bernard – rencontre Amore, Napolitaine œuvrant comme bénévole dans une ONG. Le coup de foudre sonne comme un regain. Pour sortir du grand chaos de la ville soliloque et disloquée, et aider Bernard à se délivrer de son effondrement, Amore, belle tigresse de Frangipane, lui propose un voyage à Rome.
À bord d’Ici-Bas Airlines, Bernard décolle, les yeux fermés. Une étrange mappemonde, entre autres belles merveilles – comme on dit l’extraordinaire dans le parler en Haïti –, se dessine dans la pensée de celui qui rêve de retourner au pays en héros…
Belle merveille est un roman flash. Qui nous dit, avec un humour et une causticité débridés, l’amour, le sexe salutaire, la confusion, la folie, et puis l’absurdité de l’aide internationale quand elle tire à elle la couverture des désastres. Écrit dans une langue syncopée, magnifiquement inventive, Belle merveille est un premier roman qui porte si bien son nom.

Revue de presse