Gary Victor depuis le quartier de Carrefour-Feuilles

2 février 2010.
 

Un article publié dans Libération du 25 janvier.

Place Cadet-Jérémie. Quartier de Carrefour-Feuilles au sud de Port-au-Prince. Dans des conditions d’hygiène plus que précaires, plus de 1 000 familles s’entassent sous des tentes de fortune pouvant à peine supporter une pluie qui, heureusement, se fait plus que discrète une semaine après le séisme qui a ravagé la capitale haïtienne. Carrefour-Feuilles est un quartier adossé au Morne-L’Hôpital, colonisé par des bidonvilles qui peu à peu s’étendent vers le sommet de la montagne.

Ceux qui ont trouvé asile sur la place Cadet-Jérémie sont quelques-uns de ceux qui ont tout perdu au cours du séisme. Leurs maisons, leurs cahutes ont été pratiquement réduites en poussière par la violence du tremblement de terre. Une grande partie de la population a déserté la capitale. L’autre dort dans les rues, dans les cours des maisons, dans la crainte des répliques, souvent dans des conditions d’hygiène atroces. Le jour, la vie petitement essaie de reprendre son cours dans l’attente d’une aide dont on entend parler dans les bulletins de nouvelles ou qu’on voie tournoyer dans le ciel sous la forme des militaires américains.

Puis les pompiers, les médecins de tous les pays ont commencé à sillonner la capitale à partir du quatrième jour après le séisme. La population reste encore sceptique quant à la distribution de l’aide. La distribution de cette aide va certainement privilégier Cité Soleil et les quartiers environnants, fiefs du pouvoir en place et emblèmes de l’aide internationale pour présenter le désastre haïtien. Les autres bidonvilles qui ceinturent Port-au-Prince sont pratiquement oubliés.

Les Dominicains se sont fait remarquer avec plusieurs camions containers bourrés de vêtements, de médicaments, de marchandises. Mais déjà les bouteilles d’eau en plastique distribuées par les donateurs sont vendues au marché noir à 20 gourdes ou 25 gourdes soit environ 50 centimes d’euro.

La mairie de Port-au-Prince fait ce qu’elle peut. Elle a distribué quelques tentes. Les jours qui suivent le tremblement de terre montrent l’attitude courageuse de la population. Avec les mains nues, des milliers de personnes, une fois revenues de la stupeur du séisme, ont tout fait pour venir en aide aux gens encore vivants sous les décombres. Durant quatre jours, alors que l’aide internationale tardait, avec toute la rage d’hommes et de femmes, ne voulant pas se déclarer vaincus par le destin, ils ont lutté, pierre après pierre, poutre après poutre, pour sauver des vies, pour dégager des cadavres. Le choc le plus terrible pour la population était les centaines d’étudiants et d’écoliers qui ont péri dans l’effondrement d’écoles construites, pour la plupart, sans aucun respect des normes de sécurité. La tâche était immense.

Il aurait fallu une intervention plus rapide des secours venus de l’étranger. Haïti n’est pas gouverné. La population, comme on le sait, est livrée à elle-même. Les rares interventions du chef de l’Etat n’ont fait que permettre à la population de se rendre compte, une fois de plus, qu’elle était « entre les mains de Dieu ».

Le petit commerce, les marchés publics en haut de la ville en allant vers Pétionville recommencent peu à peu à fonctionner. A Carrefour-Feuilles, hier matin, les équipes tentaient de nettoyer les rues. Il faut des bulldozers pour enlever les décombres. Les gens n’ont pas de cash pour acheter, c’est la solidarité qui permet à chacun de tenir. Les banques durement touchées par le séisme n’ont pas encore ouvert leurs portes et une queue d’environ huit cents personnes se forme en face d’un bureau de la Cash Transfert à Pétionville (le bureau de transfert le plus important en Haïti).

Des familles qui ont les moyens tentent de gagner la République dominicaine, puis les Etats-Unis et le Canada, en attendant peut-être des jours meilleurs pour revenir. Mais qui croit encore en Haïti à des jours meilleurs ?

Transcrit au téléphone par Jutta Hepke qui dirige les éditions Vents d’ailleurs où Gary Victor a publié l’ensemble de son œuvre.

 

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