Lun. 14h, Salle Maupertuis

Le poème au cœur du roman

23 mai 2022.
 

Quand on demande à Mariana Enriquez ce qui lui importe le plus, elle répond «  le poème  » et c’est précisément cela qui émerge de son monstrueux roman. Et ils sont de plus en plus nombreux, les romanciers, à invoquer la puissance du poème à travers leurs œuvres. Jérôme Leroy dans Vivonne, narre la mystérieuse disparition d’un poète dans un univers pré-apocalyptique et il semblerait bien qu’il ait trouvé un passage vers un monde plus apaisé, et que la solution soit au cœur de ses poèmes. Auteur de plusieurs recueils de poésie, Conor O’Callaghan diffuse dans ses romans cette langue unique qui lui est propre. Preuve que le poème n’est pas réductible à une forme, qu’il traduit une façon d’être au monde. 2 rencontres autour du poème.

 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

Notre part de nuit

Éditions du Sous-Sol - 2021

Un père et son fils traversent l’Argentine par la route, comme en fuite. Où vont-ils ? À qui cherchent-ils à échapper ? Le petit garçon s’appelle Gaspar. Sa mère a disparu dans des circonstances étranges. Comme son père, Gaspar a hérité d’un terrible don : il est destiné à devenir médium pour le compte d’une mystérieuse société secrète qui entre en contact avec les Ténèbres pour percer les mystères de la vie éternelle.

Alternant les points de vue, les lieux et les époques, leur périple nous conduit de la dictature militaire argentine des années 1980 au Londres psychédélique des années 1970, d’une évocation du sida à David Bowie, de monstres effrayants en sacrifices humains. Authentique épopée à travers le temps et le monde, où l’Histoire et le fantastique se conjuguent dans une même poésie de l’horreur et du gothique, Notre part de nuit est un grand livre, d’une puissance, d’un souffle et d’une originalité renversants. Mariana Enriquez repousse les limites du roman et impose sa voix magistrale, quelque part entre Silvina Ocampo, Cormac McCarthy et Stephen King.

Traduit de l’espagnol (Argentine) par Anne Plantagenet.

 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

Les derniers jours des fauves

La Manufacture de livres - 2022

Nathalie Séchard, celle qui incarna l’espoir de renouveau à la tête de l’État, a décidé de jeter l’éponge et de ne pas briguer un second mandat. La succession présidentielle est ouverte. Au sein du gouvernement commence alors un jeu sans pitié. Dans une France épuisée par deux ans de combats contre la pandémie, les antivaxs manifestent, les forces de police font appliquer un confinement drastique, les émeutes se multiplient. Le chaos s’installe. Et Clio, vingt ans, normalienne d’ultragauche, fille d’un prétendant à la présidence, devient une cible...

Maître incontesté du genre, Jérôme Leroy nous offre avec ce roman noir la plus brillante et la plus percutante des fictions politiques. De secrets en assassinats, il nous raconte les rouages de l’implacable machine du pouvoir.

 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

Personne ne nous verra

Sabine Wespieser - 2022

Au sujet de Rien d’autre sur terre (2018), le premier roman de Conor O’Callaghan, Barbara Cassin écrivait dans Le Monde des Livres : « On lit d’une traite à la fois un polar et un poème, en une langue étrange et familière que personne ne pratique vraiment. »

Il en va de même pour ce nouveau livre, aussi puissant que mystérieux : le cœur brisé par une histoire d’amour malheureuse, le narrateur, Paddy, a accepté au pied levé de convoyer un gros camion vers le Sud de la France. Le premier chapitre s’ouvre dans la cale du ferry, au moment où s’abat la porte de déchargement. L’homme est intranquille… Est-ce parce qu’il a embarqué une passagère clandestine ? La jeune femme, la vingtaine, l’aspect rebelle et négligé, est sa fille.

Pendant la semaine que durera leur voyage, ces deux-là vont tenter de reprendre un dialogue apparemment suspendu. À la faveur du huis clos de la cabine, ils évoquent les années écoulées, dans une conversation hachée, souvent interrompue : l’enfance heureuse de Kitty aux États-Unis à l’époque où ses parents vivaient encore ensemble, la période pendant laquelle Paddy s’est retrouvé solitaire dans le Nord de l’Angleterre, mais aussi « la chose, sa chose, dont nous ne parlons jamais », épisode douloureux survenu dans la vie de la jeune fille et qui se révélera être le nœud de l’intrigue.

Le monde extérieur s’invite pourtant dans cette traversée qui commence dans la jungle de Calais, notamment lors des haltes inévitables au fil de leur descente vers le Sud : Paddy, autant que faire se peut, tente d’éviter les grandes tablées autour desquelles se retrouvent le soir les autres routiers, et notamment Carl, le chef d’équipe à qui il doit rendre des comptes. Kitty, elle, reste à l’abri et, lors de ces étapes, se glisse furtivement hors du camion, étrangement vêtue – on est en plein mois d’août 2015 – du manteau de vison de sa grand-mère. L’ombre de cette femme, une Irlandaise lectrice de Proust qui a appris le français en Camargue, s’invite souvent avec eux, et notamment quand son fils, le narrateur, apprend par un texto de son frère que leur maison d’enfance est à vendre.

Dans ce livre hypnotisant, la dérive de ces deux personnages hantés, perdus entre passé et présent, est ponctuée par d’incessants messages apparaissant sur l’écran du téléphone de Paddy : ceux de son frère, mais aussi ceux d’un interlocuteur impliqué dans la violente rupture amoureuse qu’il vient de vivre, comme des rappels de la réalité.

Poète, Conor O’Callaghan use en effet d’une langue bien à lui pour nous entraîner, en un magnifique lamento, dans les abîmes d’un chagrin qui ne dit pas son nom.

traduit de l’anglais (Irlande) par Mona de Pracontal