Un saut dans le temps

13 mai 2022.
 

Avec un mélange d’appréhension et de curiosité, Lise marcha vers cette troublante épave. La lumière, encore faible, ne lui permettait pas de voir précisément ce que recouvrait l’amas de varechs. Et si cette masse sombre et lugubre était réellement un corps humain ? Le doute s’empara aussitôt de son esprit et, quasi instinctivement, Lise saisit à pleine main une grosse poignée d’algues brillantes pour vérifier si un cœur palpitait encore sur cette grande plage de débris. Au fur et à mesure, elle sentait sa poitrine se serrer et l’angoisse lui coupait le souffle. Soudain, un visage apparut, mais les traits ne semblaient pas tout à fait humains. La tête était volumineuse avec une longue chevelure noire, les pommettes saillantes et la mâchoire très large était recouverte d’une épaisse barbe. De petits yeux enfoncés surmontés de sourcils touffus contrastaient avec la largeur de son nez. Le corps était grand et trapu et, le plus surprenant, était ses pieds hors du commun. Ils étaient longs et larges recouverts de poils noirs comme le charbon.

Au même moment, une vive lumière l’éblouit. Elle leva les yeux et vit avec stupéfaction que le ciel était devenu d’un bleu intense et pur, sans la moindre trace d’un nuage. Le cri d’un oiseau transperça le silence et elle vit passer au-dessus d’elle une immense bête, qu’elle prit d’abord pour un rapace, mais sa crête allongée faisait plutôt penser à un grand reptile volant. Elle se redressa et observa choquée ce qui l’entourait. Le paysage avait totalement changé. L’instant d’avant, la plage était recouverte de débris emportés par la tempête, et l’instant d’après, cette même plage était intacte et magnifique, et l’on voyait au loin une forêt tropicale.

Tout était à la fois semblable et complètement différent. Un sentiment étrange la prit à la gorge et au ventre. Où était-elle donc ? Au loin, cette forêt luxuriante ressemblait plus à la forêt amazonienne avec ses immenses arbres et ses larges feuilles d’un vert intense. Des cris d’oiseaux et d’animaux sauvages résonnaient dans cette jungle. Lise avait l’impression de vivre un rêve étrange : une plage magnifique, une forêt tropicale habitée d’animaux sauvages et la chaleur humide commençait à l’empêcher à respirer.

Soudain, une masse sortit de la mer à pas lent et lourd. Lise vit une espèce de tortue géante se diriger dans sa direction. Elle semblait inoffensive mais sa taille démesurée la rendait quand même monstrueuse. Une grosse tête sortait de sa robuste carapace brillante. Lise courut aussi vite qu’elle put en direction de la forêt ne sachant pas vraiment ce qu’elle fuyait. C’était son instinct de survie qui la poussait à courir dans un monde qui n’était pas le sien. Dans sa course folle, elle trébucha sur une petite pierre qui la fit tomber net dans le sable humide.

Lise leva la tête et remarqua aussitôt le changement de luminosité. Le ciel était à nouveau devenu d’un blanc opaque et un coup de vent la fit frissonner. Elle revit la même plage recouverte par les débris de la mer. Elle reprit ses esprits quelques secondes, se souvint du corps immense aux traits préhistoriques, et rechercha activement le lieu où tout avait commencé. Elle reconnut le gros tas de varechs dessinant vaguement l’allure d’un corps échoué. Sans hésitations, elle marcha d’un pas déterminé vers l’inquiétante épave. Lise prit une poignée de varechs et vit avec stupeur un tronc d’arbre apparaître dans la masse verte et visqueuse. En l’espace d’un instant, Lise avait traversé les lignes inimaginables du temps, se déplaçant, on ne se sait comment, aux temps des premiers hommes.