L’étrange voyage de Lise

6 mai 2022.
 

Avec un mélange d’appréhension et de curiosité, Lise marcha vers cette troublante épave. Elle avança doucement, à contre sens du vent. Plus elle se rapprochait, plus la forme d’un corps se dessinait. Un frisson lui parcourut le dos : si c’était le corps d’une personne humaine, il devait être récent puisqu’un mort se décompose au fil du temps. Elle l’examina minutieusement : c’était un homme, de grande taille. Il ne ressemblait en rien à un homme préhistorique, mais son aspect n’était pas non plus celui d’un homme du XXIeme siècle. Il était chauve mais avait une longue barbe rousse. Il avait un œil fermé et l’autre recouvert d’un cache œil. Il était vêtu d’un uniforme de capitaine de marine à rayures bleues et blanches. Il portait une jambe de bois. Un béret trainait à côté de lui. Lise lui donnait la quarantaine. Elle remarqua que le cœur de cette mystérieuse personne battait très légèrement. Il fallait qu’elle le sauve et au plus vite ! Elle vérifia s’il était encore conscient. Elle n’obtint aucune réponse. Elle lui mit la tête en arrière et commença un massage cardiaque. Il ne montra aucun signe de vie. Elle reprit de plus belle. Tout d’un coup, l’homme se mit à tousser brusquement. Il recracha toute l’eau qu’il avait avalé. Il ouvrit son œil encore visible. Lise fut soulagée que cet homme aille bien. Il la dévisagea avant de lui demander vulgairement qui elle était et pourquoi il était enseveli sous du sable et non sous des pièces d’or. La jeune femme fut d’abord outrée qu’il ose lui parler comme ça après qu’elle lui ait sauvé la vie puis elle lui demanda à son tour qui il était et comment il était arrivé là.

Il lui raconta qu’il s’appelait Luc Flinn. En réalité il était pirate mais s’était déguisé en officier de marine car il avait lu quelque part que les pirates n’étaient pas autorisés dans la région où il comptait se rendre. Il avait fait ce long voyage, plein de péripéties, de Florence à ici, pour retrouver les bateaux, et l’or de Magellan. Mais il n’était jamais arrivé au trésor, car son navire et ses hommes avaient coulés, lors d’une très violente tempête qui avait tout décimé sur son passage. C’était le seul survivant. Lise eût l’impression soudaine qu’elle se trouvait sur un lieu où des phénomènes inexplicables se passaient, mais elle chassa cette idée de sa tête car cela semblait trop improbable. Elle dit au naufragé qu’elle pourrait l’aider à reconstruire un bateau et qu’en attendant que ce soit fait elle pouvait l’héberger chez elle. Mais le pirate n’était pas dupe et il savait très bien qu’elle allait essayer de le faire prisonnier. Il regarda autour de lui. Il aperçut ce qu’il restait de son bateau et y alla du plus vite qu’il pût. Pleine de curiosité la villageoise le suivit. Tous deux pénétrèrent à l’intérieur. Des tonneaux d’épices étaient renversés, des sabres éparpillés partout par terre, quelques tableaux de personnages connus étaient décrochés et déchirés. Le gouvernail de cet ancien bateau était encore en bon état et pendouillait sur un socle. Il y avait beaucoup de débris de verre, de vins renversés et même des toiles d’araignées mais aucune trace d’or. Le naufragé commençait à s’énerver quand il entendit tousser au loin. Il se précipita dehors pour voir qui était là. Un homme, aux belles bouclettes brunes et avec un crochet en guise de main, était là, enseveli sous le sable. Lise alla l’aider. Une fois dégagé il regarda Flinn d’un air étonné. Le capitaine lui fit un geste de la main et lui fit signe de venir voir. La jeune femme comprit qu’il s’agissait d’un compagnon du pirate.

Flinn le nommait : Mouche. Le nouveau personnage fit connaissance avec Lise et fit discrètement remarquer à son capitaine qu’elle devait être emmenée, prisonnière, pour ne pas qu’elle les dénonce. Ce dernier acquiesça à l’idée et se mit en quête d’un canot de sauvetage ou d’un radeau qui serait encore entier dans l’épave. Pendant qu’ils cherchaient Lise, ne se doutant de rien, explorait tranquillement chaque recoin de l’épave. Une heure plus tard, le capitaine et son moussaillon avaient terminé de reconstruire le canot de sauvetage du bateau qui était à moitié détruit. Ils se préparèrent pour le voyage, ligotèrent la jeune femme et partirent pour la mer. Lise qui s’était endormie un quart d’heure auparavant, ne pensait absolument pas qu’en ce moment elle était en train de flotter au beau milieu de l’océan. La jeune femme se réveilla après avoir fait le drôle de rêve qu’elle avait été capturée par des pirates. Quand elle ouvrit les yeux et qu’elle comprit que ce n’était pas un rêve, elle fut extrêmement effrayée et faillit tomber du canot. Elle entendit des gargouillements. Les pirates devaient avoir faim, et elle aussi… Elle leur demanda la position où ils se trouvaient et leur indiqua une île pas loin où ils trouveraient de quoi manger un peu. Au début, ils étaient plutôt méfiants mais ils avaient tellement faim qu’ils cédèrent et mirent le cap pour cette « île nourrissante ». Ils accostèrent peu après, et mangèrent tout ce qu’ils purent. Comme la nuit commençait à tomber et qu’il fallait qu’ils se trouvent un endroit où dormir, ils s’installèrent, attachèrent la jeune femme à un arbre et allèrent chercher des fruits pour se nourrir. Quand ils revinrent, Lise n’était plus là et la corde avec laquelle elle avait été attachée était en mille morceaux étendue sur le sol. Les deux pirates se précipitèrent au rivage pour vérifier que leur canot était toujours là : il n’avait pas bougé. La nuit tombait de plus en plus et on commençait à n’y rien voir du tout.

Les compagnons firent un feu pour se réchauffer un peu et faire de la lumière car il fallait qu’ils retrouvent leur prisonnière. De son côté, Lise avait fait la visite de l’île, mais pas comme elle l’avait imaginé… Elle avait été poursuivie par un énorme sanglier et avait réussi à le semer en lui tendant un piège. Elle était très épuisée et avait peur toute seule, dehors dans la nuit. Elle avait essayé de faire un feu pour se réchauffer mais avait échoué. Elle était en train de se lamenter sur son sort quand elle aperçut une faible lumière rouge dans la roche. Elle s’en approcha. Elle l’examina avec beaucoup d’attention. Elle entrevit des centaines de rubis par la petite ouverture qui dominait dans la roche. C’était un énorme trésor et si elle l’obtenait, elle serait sûrement la personne la plus riche du monde. Attirée par cette idée, elle commença à taper la roche avec un rondin pour pouvoir atteindre les pierres précieuses quand elle entendit des voix qui lui étaient familières : c’était celle de ses ravisseurs. Elle se cacha dans un buisson pour pouvoir les observer. Mouche aperçut la lueur rouge et l’indiqua à son capitaine. L’espace étriqué qui avait était légèrement agrandi par Lise attira leur attention. Ils tombèrent tout deux fous amoureux de ce qu’ils virent. S’ils arrivaient à se le procurer, ce serait sûrement leur plus grand trésor et ils pourraient devenir les maitres du monde. Grâce à leurs outils, ils dégagèrent la roche très facilement. Luc Flinn allait poser sa main sur un rubis quand quelqu’un sortit du buisson près d’eux. Lise n’allait pas les laisser s’emparer du trésor qu’elle avait découvert aussi facilement.

Toujours avec son rondin, elle leur donna un coup violemment pour les faire reculer. Le moussaillon riposta d’un coup de sabre pour protéger son capitaine. Il écorcha gravement Lise au poignet. Mais ce que Mouche ignorait c’était que quand on la mettait en colère, la jeune femme devenait très agressive. Elle lui retourna le poignet, s’empara de son sabre, fit voltiger celui du capitaine et les pointa violemment afin de les empêcher de bouger. Elle les menaça de les tuer s’ils ne s’écartaient pas de son trésor rapidement. Les deux pirates reculèrent de quelques pas. L’aube commençait à pointer et l’on commençait à y voir plus clair. La jeune femme rusée, leur proposa un accord : s’ils la ramenaient saine et sauve dans son village, elle leur donnerait la moitié du trésor. Flinn discuta avec son compagnon et finit par accepter la proposition. Tous les trois, grâce aux outils des pirates décrochèrent tous les rubis soigneusement pour n’en casser aucun. Cette tâche, une fois terminée, leur avait creusé l’appétit. Ils mangèrent quelques fruits et se mirent en route pour le canot. Les rubis, malgré les sacs des pirates, les poches de Lise et les mains de chacun, étaient trop nombreux et tombaient au fur et à mesure qu’ils avançaient. Les pirates eurent l’idée de faire des allers - retours pour ne pas en laisser tomber d’autres. Le capitaine restait avec sa prisonnière tandis que le moussaillon faisait les trajets.

Au bout du septième trajet, le moussaillon revint tout abimé. Ses habits lui couvraient à peine le corps tellement ils étaient déchirés et des traces de dents étaient visibles partout sur son corps. Il leur conta qu’il s’était fait courser par un sanglier sur toute la surface de l’île et que celui-ci avait été arrêté par un piège. Lise marqua un sourire sur son visage. Vint le moment du dernier trajet. Quand les ravisseurs et leur prisonnière furent arrivés au canot, ils furent éblouis par la montagne rouge qui se dressait dans leur embarcation. Le trésor était si lourd que le radeau ne supporterait le poids que d’un seul passager pour ne pas couler. Tous trois se ruèrent sur le canot pour le mettre à l’eau. Pendant qu’ils s’affairaient à la tâche, chacun réfléchissait à une façon d’embarquer seul. Tout d’un coup, ils entendirent un bruit sourd qui se rapprochait. Ils aperçurent une forme ronde qui se dessinait au loin. Un sanglier qui était familier à deux des trois adversaires, fonçait sur eux. Ils se mirent à cavaler sur toute la côte. Mouche portait son capitaine qui ne pouvait pas courir. Lise courut du plus vite qu’elle put. Elle entama le tour de l’île et fit un violent demi-tour. Le sanglier continua sa course et fonça tout droit en direction des deux amis. Tout en observant cette course poursuite, Lise se dépêcha de monter à bord du canot et de partir très loin d’ici. Quand elle fut assez loin de la rive, elle regarda le spectacle qui s’offrait à elle. Le moussaillon portait son capitaine sur son dos. Ils étaient suivis de très près par leur prédateur. La jeune femme observa la scène jusqu’à ce que son spectacle disparaisse derrière un rideau de feuilles.

Elle rentra chez elle. Quand elle arriva, son village qui s’inquiétait de ne plus la voir, l’acclama de toute ses forces. Le trésor dont elle comptait profiter revint aux autorités et fût placé dans un musée. Elle réussit cependant à subtiliser un des rubis et à le garder sa vie durant. Elle ne raconta son histoire avec les pirates à personne pour se donner tout le mérite de la découverte de ce trésor perdu. Un soir d’été, alors que son village donnait une fête, elle se mit à l’écart car elle eut un soudain mal de tête. Elle décida d’aller marcher sur le sentier des douaniers pour être un peu au calme. Alors qu’elle descendait sur la plage où elle avait rencontré ces deux pirates il y a des années de cela, elle sentit soudain une bourrasque plus forte lui fouetter le visage. L’eau calme devint plus agitée, et de grandes vagues commencèrent à se former. Lise ressentit une peur étrange et voulut quitter la plage mais elle fut brusquement happée par une vague et perdit connaissance. Quelques heures plus tard, elle se réveilla sur la plage et regarda autour d’elle. Elle vit alors un homme vêtu d’une toge romaine, penché sur elle…