Bleu

3 mai 2022.
 

Avec un mélange d’appréhension et de curiosité, Lise marcha vers cette troublante épave…
Elle eut un frisson en s’approchant de la carcasse à l’odeur pestilentielle. Elle remarqua qu’elle était faite de vieux bois craquelé et ensevelie sous les algues. Soudain, une vieille épave sortit de la carcasse. Il sentait le rhum et la cave. Il leva une bouteille cassée et la lui jeta dessus en criant d’une voix rauque « va-t’en de mon île sale vermine ».

Alors que le vieil homme lui jetait cette bouteille, elle fût étrangement submergée par une joie bouillonnante. Un humain, un vrai ! cela faisait si longtemps qu’elle n’en avait pas vu un. Depuis la vague dévastatrice et les cyclones qui avaient décimés la moitié de la planète, elle n’avait croisé que des automates municipaux, comme ceux qui nettoyaient les dégâts avec leurs tronçonneuses quelques mètres plus loin. Mais cet humain-là n’était pas en bon état… En remarquant qu’elle ne bougeait pas face à son attaque, l’homme brandit un vieux sabre rouillé. Elle prit peur et porta ses mains à son visage pour se protéger d’une éventuelle attaque. L’épave s’arrêta en plein mouvement et se mit à contempler les mains de la jeune fille : ses doigts palmés semblaient l’intéresser. Il changea d’attitude et devint calme et bienveillant. D’une voix douce il lui dit alors « et si je te proposais un marché ? » Lise était prête à tout accepter pour avoir un peu de compagnie. Depuis la catastrophe, elle n’avait pas eu la chance d’avoir un dialogue avec une personne. Le marché du vieux pirate était simple : elle l’aidait à trouver une cité perdue avec un supposé trésor dedans, et en échange, elle aurait droit a la moitié du butin. Malgré le manque d’organisation et le manque d’information, elle accepta sans hésiter. Au moins elle aurait un peu de compagnie.

C’est ainsi qu’elle devint l’associée du très grand et brave Cap’ Cyilur, qui malgré son apparence sale et ses mauvaises manières était plutôt gentil. Ils poussèrent le bateau dans l’eau et partirent pour leur étrange périple.
Le bateau était spacieux de l’intérieur, il était grand et accueillant. Le capitaine amena Lise dans sa nouvelle chambre. Les rideaux et les draps étaient faits d’un satin rouge doux et brillant, les finitions de la chambre étaient en or et le sol fait de chêne noir. Le petit voilier devait sûrement avoir été enchanté pour qu’il apparaisse si petit à l’extérieur mais si grand de l’intérieur.

Lors du voyage, la mer fut plutôt calme jusqu’à la troisième semaine. Elle se teinta alors de noir et commença à dégager une atmosphère angoissante. Le capitaine ne semblait étrangement pas inquiet. Mais, lorsqu’il détourna le regard, deux grosses pinces sortirent de l’eau et agrippèrent violement l’avant du bateau et une brume épaisse les enroba brusquement. Les deux pinces les tirèrent rapidement vers le fond de l’eau, mais apparemment capitaine Cyilur avait plus d’un tour dans son sac. Il sortit deux cornes de narvals d’un coffre de sa cabine et les confia à Lise avant de remonter vers la surface. Ses branchies lui permettaient de rester sous l’eau, à l’inverse du capitaine. Ce fut donc à elle et elle seule de s’occuper du propriétaire de ces deux grosses pinces. Elle s’en approcha furtivement, repéra un manque d’écailles sur son dos et y planta la première corne, la bête se tordit de douleur et se retourna vers elle en lâchant le bateau. Elle n’eu pas le temps de réfléchir et planta la seconde dans son œil gauche puis remonta à toute vitesse à la surface. Le bateau était remonté comme un ballon et le capitaine s’était empressé de s’y hisser. Pour lui, la situation était normale, il était détendu. Alors que Lise le regardait, haletante et vaguement choquée de la couardise du capitaine, il lui expliqua que ces « monstres » -là étaient tout à fait inoffensifs, contrairement à ce que l’on peut penser et que les cornes qu’il lui avait données servaient à le faire jouer et le faire lâcher prise ! elle fut gênée en entendant les explications du capitaine. En fait cette chose s’appelait un klhorpus, c’est une sorte de gros crabe avec des écailles.
Plus de peur que de mal, le périple continue.

Contrairement à ce qu’elle aurait pu penser au début du voyage, Lise commença à se lasser de cette aventure. Cela faisait maintenant un mois et demi qu’ils étaient partis à la recherche de la cité perdue et le capitaine restait fermé sur le sujet. Elle avait un peu l’impression qu’ils tournaient en rond. Et puis tous les jours avaient fini par se ressembler. Les seuls moyens d’échapper à la routine étaient ceux passés à jeter une corne ou deux à un klhorpus ou à chasser les poissons volants de la vue du capitaine pour qu’il puisse garder son cap. Après une journée particulièrement pénible, faite de disputes avec le capitaine, elle décida de faire une plongée à quelques mètres du bateau pour se calmer. Le paysage marin était magnifique, elle ondula entre les coraux et anémones avec un groupe de tortues à six nageoires lorsqu’elle aperçut un navire échoué sur du sable fin. Elle jeta un coup d’œil au bateau du capitaine qui flottait à 50 mètres environ puis elle s’engouffra dans la carcasse échouée. Dans le navire, elle découvrit des sièges en velours recouverts d’algues et quelques pièces d’or étalées sur le sol. Près de ces pièces d’or se trouvait une grosse trappe scellée, qui attisa sa curiosité. Elle s’en rapprocha et commença à gratter les bords pour l’ouvrir. Mais plus elle grattait, plus elle se sentait faible et fatiguée. Elle finit par y voir trouble, avant de s’évanouir.

Lorsqu’elle se réveilla, elle était dans une cellule aquatique accompagnée de son très cher capitaine. Devant eux se tenaient deux gardes armés de lances. Le capitaine avait une bulle d’air autour de la tête, il avait l’air heureux de la voir se réveiller. Quant à elle, elle ne comprit pas ce qu’il se passait. Mais bien vite un soldat avec une armure dorée et cyan s’approcha de leur cellule et parla en ce qui paraissait être du vieil elfique marin. Puis les deux soldats qui se tenaient devant la cellule ouvrirent la porte et tirèrent violement Lise et le capitaine hors de la petite pièce. Tout en les tirant, ils continuèrent à dialoguer dans leur langue incompréhensible. Ils arrivèrent dans une grande salle faite de marbre et dont les murs étaient recouverts de détails dorés, ressemblant à une fresque qui raconterait l’histoire de cette civilisation. Devant eux, apparut un homme qui semblait être le chef. Il avait une peau blanche avec des reflets bleutés et quelques petites taches vertes sur les avants bras et le nez. Il prit la parole et dit quelques phrases puis une femme lui ressemblant traduit : le roi décide de laisser partir la jeune fille mais pour l’homme cela sera plus compliqué, nous le soupçonnons d’être un espion. Il y a une possibilité pour qu’il soit un changelin. Dans ce cas, nous devrions le garder et le soumettre à plusieurs tests.

Lise ne comprit pas ce qu’il se passait. Qu’est-ce qu’un changelin ? Où se trouvaient-ils ? Elle jeta un regard apeuré au capitaine, qui lui, avait l’air stressé. Les gardes jetèrent Lise hors du royaume. Mais elle décida d’observer ce qu’ils allaient faire au capitaine. Il fut placé sur un siège et menotté dessus. Puis les gardes l’obligèrent à boire un liquide jaunâtre. Pendant trois longues minutes rien ne se passa mais petit a petit le vieux capitaine commença à perdre ses rides et à se redresser. A la grande surprise de Lise, le capitaine n’était plus vieux et miteux mais maintenant grand, jeune et surtout bleu !

Après de longues heures de négociations, le capitaine convainquit le roi de le laisser partir. Il retrouva Lise qui n’était pas contente du tout : pendant cinq mois de voyage ensemble, il lui avait menti et n’était pas ce qu’il prétendait être. Il s’avérait qu’il s’appelait Roylaan et qu’il venait d’un royaume lointain. Il expliqua à Lise qu’il cherchait les elfes bleus depuis longtemps pour lui faire retrouver sa forme normale. Il avait juste besoin d’un compagnon de voyage pour ça. Lise était furieuse d’avoir cru tout ce que cet étranger lui avait raconté. Roylaan lui proposa de l’accompagner dans le royaume dont il était le prince. Mais, Lise refusa, ce manipulateur égoïste ne l’intéressait plus. Ainsi, il repartit seul vers son royaume. Ce n’était pas une grande perte pour Lise. De toute façon elle n’aimait pas le bleu.