La forêt submergée

29 avril 2022.
 

Avec un mélange d’appréhension et de curiosité, Lise marcha vers cette troublante épave. C’était un cerf. Ou plus précisément, son squelette recouvert d’algues et de coquillages. Il était sans doute très ancien car les os s’effritaient par endroits. Lise regarda attentivement ce témoin d’un temps révolu. Ne prêtant pas attention aux rafales de vent qui lui griffaient le visage, Lise ne pouvait détacher son regard de ce paysage d’une autre époque, que les caprices de la nature avait révélé à ses yeux…

Elle parvint enfin à s’arracher à l’étrange attraction qu’exerçait le squelette et s’engagea dans une rangée de souches d’arbres… Tout était silencieux...
Lise faisait attention, à chaque pas qu’elle faisait, à ne pas briser l’apaisant silence de cette forêt d’arbres morts.

Cela faisait plusieurs heures que Lise marchait dans le labyrinthe. La terrible tempête avait laissé place à un soleil éclatant et Lise se demandait s’il n’était pas maintenant temps de rentrer. Elle reprit sa marche, mais étant fatiguée, elle s’assit sur une souche à côté d’un énorme rocher couvert d’algues. Après quelques minutes de repos, elle repartit en marchant d’un pas rapide. Une heure après, elle vit droit devant elle, un énorme rocher. Prise d’un mauvais pressentiment, elle le contourna et remarqua derrière la même souche que celle sur laquelle elle s’était assise. Elle était perdue.
Heureusement pour elle, l’eau tombée pendant l’orage avait, par endroits, été contenue dans des fossés, formant des petits ruisseaux, dont l’eau, quoique sale, était tout de même potable. Lise, bien que fatiguée, ne risquaient pas de mourir déshydratée !
Son ventre gargouillant lui rappela un autre besoin primordial. Elle regarda l’heure qui s’affichait sur le cadran de sa montre, vingt et une heure trente quatre. Lise s’allongea sur une petite couchette de mousse de son invention et observa la voûte étoilée. Elle pensa à Albert, feu son père, qui de son vivant, aimait à disparaître pendant plusieurs jours dans la forêt bordant leur maison. Il partait sans aucun matériel et revenait sans dire ce qu’il avait fait. Un jour, il avait emmené Lise avec lui. La jeune fille n’en avait que de très vagues souvenirs mais elle se souvenait avoir dormi, comme maintenant, à la belle étoile.
Apaisée par le souvenir de son père, elle s’endormit d’un sommeil sans rêve mais serein.


Lise fut réveillée par les gazouillements de petits oiseaux. Un instant, elle se demanda où elle était, et puis les événements de la veille lui revinrent en mémoire. Pleine de courbatures, elle se leva et s’étira. C’est à ce moment là qu’elle se rendit compte que les souches d’arbres étaient devenues de majestueux chênes. Intriguée, Lise regarda autour d’elle. Le paysage était complètement métamorphosé. Une petite rivière coulait près d’elle. Lise était émerveillée par ce paysage qui se découvrait devant ses yeux.
Des plantes vertes poussaient un peu partout, égayant ce paysage hier encore gris et triste, désolé. Quelques papillons voletaient entre des fleurs de couleurs variées et Lise aperçut un écureuil grimpant à une branche.
Un craquement retentit et Lise s’approcha de l’endroit d’où venait le bruit. La jeune fille eut à peine le temps d’apercevoir le museau effilé et les bois majestueux d’un jeune cerf que déjà la bête s’enfuyait.

Apaisée par le calme et l’air pur de la forêt, elle ne pensait déjà plus à rentrer chez elle. Elle était comme envoûtée. Continuant son exploration, Lise marcha droit devant elle jusqu’à arriver au rocher hier encore couvert d’algues, aujourd’hui brillant des cristaux qui s’incrustaient dans la roche.
La jeune fille grimpa dessus et admira ce qui s’offrait à elle.
A quelques mètres coulait un petit ruisseau qui se déversait plus loin dans un étang d’un bleu cristallin. Des cygnes nageaient, révélant un paysage enchanteur qui aurait pu être tiré d’un conte tant il était féerique. Au loin l’on apercevait une vallée où poussaient quelques arbres fruitiers. Tout était si beau que Lise se surprit à envisager de déménager pour aller habiter ici, dans cet endroit où tout semblait possible.
Qu’ils étaient loin ses problèmes de vie moderne et ce vacarme continu de voitures et d’appareils électroniques ! Lise était bien ici. Pour une fois, elle se sentait à sa place, comme cette nuit qu’elle avait passée dans la forêt avec son père. Cette sensation de familiarité était si apaisante que Lise ne put résister à l’envie qui la prenait de s’allonger à même le sol, maintenant, et de faire une petite sieste.
Avant de s’endormir, elle prit dans un arbre une feuille et la glissa dans sa poche. Par instinct.
Elle s’endormit vite, bercée par le silence de la nature désormais familier…


_Mademoiselle ! Dépêchez-vous !
Lise ouvrit les yeux.
_Que… Que se passe-t-il ?
_La mer va bientôt revenir recouvrir le terrain. Il faut s’en aller !
_Mais…

Interloquée, Lise regarda autour d’elle. Les grands arbres étaient redevenus de vieilles souches.
Désorientée, sans dire un mot, Lise se leva et regagna la route côtière. Le vent était tombé et le soleil brillait à nouveau.
Lise se retourna vers la mer, surprise et pensive à la fois. Elle la regarda recouvrir entièrement l’ancienne forêt, puis se souvint de la feuille qu’elle avait ramassée. Avec un mélange d’incertitude et de curiosité, elle tendit la main vers sa poche. Elle allait savoir si tout cela n’avait été qu’un rêve. Elle retira la main de sa poche. De vieilles particules de poussière s’échappèrent de son poing fermé.
Lise ferma les yeux et jeta le tout à la mer.

La poussière retomba lentement dans l’océan où, tout au fond, gisait une forêt submergée.

FIN