dimanche 14:30 (Heure de Tunis)/15:30 (Heure de Paris)

L’Europe et la place des langues

Avec Velibor ČOLIĆ, BESSORA, Laurent GAUDÉ, Grégoire POLET

21 septembre 2021.
 

L’Europe ne se résume pas à des institutions : elle est d’abord une histoire, faite d’affrontements épouvantables et de flamboiements extraordinaires, de créativité artistique et de spiritualité, à travers lesquelles se sont inventées des valeurs, une certaine idée de l’homme et de l’art, qui sont notre bien le plus précieux : notre patrie commune. Nous sommes, tous, les héritiers de Rabelais, Dante, Cervantès, Shakespeare, Goethe ou Hugo. Quel rôle la littérature joue-t-elle dans la construction de cette patrie commune ? Penser un « être ensemble » européen, c’est penser nécessairement à une « maison commune », une manière singulière à inventer, de concevoir une appartenance vécue et assumée par chacun à une communauté de destin qui se tisserait d’une pluralité de cultures vécue comme richesse et non problème – bref, de concevoir une manière nouvelle de conjuguer l’un et le multiple. La langue de l’Europe : non pas une novlangue commune, mais la traduction ? La maison commune européenne : une maison des identités plurielles, des appartenances multiples, hybrides, dont les fondations seraient aussi la perception des valeurs communes de ce qui a été l’Europe de la culture ? Rencontre avec trois écrivains-monde, résolument européens.

Une rencontre en partenariat avec Le 1 Hebdo

 

DERNIER OUVRAGE

 
Récit

Guerre et pluie

Gallimard - 2024

Velibor Colic a en n écrit le récit de sa guerre, celle qu’il a vécue en 1992, depuis son enrôlement dans l’armée croato-bosniaque lors de l’invasion de la Bosnie par l’armée fédérale ex-yougoslave tenue par les Serbes, jusqu’à sa désertion, qui a marqué le début de sa vie en exil. Il l’avait évoqué dans son tout premier livre, Les Bosniaques, série de brefs récits de guerre, écrit en serbo-croate. C’est ici un projet d’une toute autre ampleur. La première partie raconte l’apparition, vers 2020, alors que l’auteur vit à Bruxelles, d’une maladie rare, provoquant l’éclosion de cloques douloureuses sur le corps et dans la bouche, qui fait revenir à sa mémoire les images des corps en déchéance. Il comprend aussi que si sa langue est attaquée par des aphtes purulents, c’est qu’il a dû s’arracher à sa langue maternelle pour venir habiter le français : le corps dit toutes ces déchirures. La deuxième partie évoque de façon saisissante la vie du jeune soldat de 28 ans jeté dans un univers d’épouvante : la guerre détruit les hommes, mais aussi les animaux, les arbres, tout ce monde de beauté paisible qui avait été le sien. La troisième partie raconte comment, ayant décidé de déserter, l’auteur a réussi à échapper à la guerre, au prix du deuil de tout ce qui avait fait sa vie jusqu’alors.« La mémoire parle une langue étrangère dont nous ne maîtrisons pas tous les signes », écrit Colic. C’est ce qui donne à ce récit son caractère à la fois halluciné et drolatique. L’horreur des tranchées, la déréliction des soldats, les souffrances, tout cet univers d’e4roi où aucune loi n’existe, est contrebalancé par la douceur merveilleuse des souvenirs d’avant – en particulier des souvenirs amoureux, évoqués avec une délicatesse et une poésie qui subjuguent. L’auteur se décrit avec une autodérision parfois enfiévrée de colère, comme un colosse branlant. C’est un livre de révolte mais aussi, paradoxalement, un livre plein de tendresse et de drôlerie, car l’auteur ne se départit jamais de son penchant pour les aphorismes sarcastiques ou absurdes. Ce grand livre est d’autant plus puissant qu’il résonne terriblement avec ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine.


 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé

Actes Sud - 2024

Vendredi 13 novembre 2015, il fait exceptionnellement doux à Paris – on rêve alors à cette soirée qui pourrait avoir des airs de fête. Deux amoureuses savourent l’impatience de se retrouver ; des jumelles s’apprêtent à célébrer leur anniversaire ; une mère s’autorise à sortir sans sa fille ni son mari pour quelques heures de musique. Partout on va bavarder, rire, boire, danser, laisser le temps au temps. Rien n’annonce encore l’horreur imminente.

Laurent Gaudé signe, avec “Terrasses”, un chant polyphonique qui réinvente les gestes, restitue les regards échangés, les quelques mots partagés, essentiels – écrit l’humanité qui éclot au cœur d’une nuit déchirée par l’impensable. Et offre à tous un refuge, face à un impossible oubli.

 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

Vous les ancêtres

JC Lattès - 2023

Née en Cornouailles, Jane est accusée de vol et déportée aux Amériques en 1684. Cette boiteuse sert durant 7 ans dans une plantation où elle se lie d’amitié avec Sarah, une esclave. Elle apprend à lire dans la bible durant sa captivité, et découvre un verset qui promet une descendance puissante à une boiteuse affligée. Elle ? Libérée, elle acquiert une ferme et un esclave dont elle devient l’épouse en dépit de la loi. Seront-ils à l’origine du peuple prophétisé dans l’ancien testament ? Deux siècles plus tard, au pays des hommes fiers, un homme, Johann, qui veut être explorateur, aventurier, découvre le secret de ses ancêtres : un secret qui gêne ses rêves de gloire, qui le rattache au clan des boiteux.

Tous les personnages de ce roman doivent se libérer : de chaines, visibles ou invisibles, des enfants qu’ils portent, des parents qui les dévorent, d’un asservissement. Ils traversent des mondes, se perdent, s’interrogent sur leur corps, leur identité, leur puissance secrète. Une narcisse s’attache à leur cœur et ne meurt jamais.

 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

Pax

Gallimard - 2024

"Ça commence avec un bateau, le paquebot George Washington, qui emmène le président Wilson en Europe, et ça finira avec le même bateau ramenant le président Wilson aux États-Unis. Entre les deux, je noue des boucles de temps avec passages réguliers au point de Paris 1919, dans l’espoir par-ci par-là de faire apparaître des dieux le long du chemin." Dans ce voyage littéraire, Grégoire Polet traite la matière historique comme du souvenir personnel, vivant, où tout est intimement lié, tressé, aussi éloignés que les événements ou les personnages puissent paraître. L’écriture circule dans le temps comme le sang dans un corps, descendant dans le dix-huitième siècle, remontant vers aujourd’hui, retournant à 1919... Ainsi chemine-t-on en compagnie de Wilson, qui vient en Europe pour la paix de 1919, mais aussi de Da Ponte, le librettiste de Mozart, qui fait la traversée inverse un siècle plus tôt et s’installe à New York, ou de Goya, de Victor Hugo, de Marcel Proust, qui reçoit le Goncourt justement en 1919 et à qui le narrateur rend une visite importante pour sa compréhension du temps. Ce roman d’une grande virtuosité déborde d’un plaisir d’écriture communicatif. On en sort secoué, avec le sentiment d’avoir vécu une véritable aventure littéraire.