dimanche 15:45 (Tunis)/16:45 (Paris)

Penser dans une langue, écrire dans une autre

Avec Meryem ALAOUI, Abigail ASSOR, Beata UMUBYEYI MAIRESSE, Kim THUY

14 octobre 2021.
 

On ne se libère jamais de l’oralité et de sa langue maternelle. « Voyez-vous, je parle toutes les langues, mais en yiddish », disait Kafka. On parle de « souffle », de « voix » : le poème, le roman, sont toujours l’irruption de l’oralité dans la langue écrite, qui en bouscule les codes, lui donne vie. Sans eux la langue serait vite langue morte. Ce rapport complexe entre la parole (d’un sujet vivant) et la langue (le système) est intensément vécu par tous les écrivains, particulièrement ceux qui se trouvent entre deux langues, particulièrement si l’une (par exemple le créole) est essentiellement orale. Comment dès lors tracer sa voie ?

 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

Aussi riche que le roi

Gallimard - 2021

« Il y avait l’odeur des brochettes, les gars des tables Coca-Cola qui la sifflaient : t’es belle petite, le bruit sur le terrain d’en face avec les chants du Raja, l’équipe de foot de Casa ; il y avait le vent frais de janvier, le tintement des canettes qui s’entrechoquaient, les insultes, les crachats ; et il y avait Driss, là, sur le côté. Elle le voyait, géant sur ses jambes courtes, une main tranquille sur l’épaule du flic, et l’autre fouillant sa poche pour lui glisser un petit billet de cent, sa bouche lançant quelques blagues entendues, un clin d’œil de temps en temps ; et le flic en face souriait, attrapait le billet, donnait à Driss une tape dans le dos, allez, prends une merguez, Sidi, ça me fait plaisir. Driss, le géant au milieu des pauvres, Driss le géant qu’elle venait d’embrasser, pensait Sarah ; avec son fric, il n’y aurait plus jamais de flic, plus jamais de lois — ce serait eux deux, la loi. »

Années 1990, Casablanca. Sarah n’a rien et à la sortie du lycée, elle rencontre Driss, qui a tout ; elle décide de le séduire, elle veut l’épouser. Sa course vers lui, c’est un chemin à travers Casa et ses tensions : les riches qui prennent toute la place, les joints fumés au bord de leurs piscines, les prostituées qui avortent dans des arrière-boutiques, les murmures faussement scandalisés, les petites bonnes harcelées, et l’envie d’aller ailleurs. Mais ailleurs, c’est loin.

 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

La vérité sort de la bouche du cheval

Gallimard - 2018

Jmiaa, prostituée de Casablanca, vit seule avec sa fille. Femme au fort caractère et à l’esprit vif, elle n’a pas la langue dans sa poche pour décrire le monde qui l’entoure : son amoureux Chaïba, brute épaisse et sans parole, ou Halima, sa comparse dépressive qui lit le Coran entre deux clients, ou encore Mouy, sa mère à la moralité implacable qui semble tout ignorer de l’activité de sa fille. Mais voici qu’arrive une jeune femme, Chadlia, dite « Bouche de cheval », qui veut réaliser son premier film sur la vie de ce quartier de Casa. Elle cherche une actrice...

Meryem Alaoui nous offre une peinture haute en couleur de la vie quotidienne dans un Maroc populaire où chacun fait face aux difficultés à force de vitalité et de débrouillardise.

 

DERNIER OUVRAGE

 
Récit

Le convoi

Flammarion - 2024

"Il aura fallu quinze ans de cheminement incertain, une enquête menée aux confins de mémoires étiolées, pour retrouver une image sur laquelle j’espérais figurer, puis pour chercher mes compagnons de fuite. Quinze ans pour m’autoriser enfin à écrire cette histoire. La mienne et à travers elle, car il s’agit bien de me réinscrire dans un collectif, la nôtre, l’histoire des enfants des convois."

Le 18 juin 1994, quelques semaines avant la fin du génocide des Tutsi au Rwanda, Beata Umubyeyi Mairesse, alors adolescente, a eu la vie sauve grâce à un convoi humanitaire suisse. Treize ans après les faits, elle entre en contact avec l’équipe de la BBC qui a filmé et photographié ce convoi. Commence alors une enquête acharnée (entre le Rwanda, le Royaume-Uni, la Suisse, la France, l’Italie et l’Afrique du Sud) pour recomposer les événements auprès des témoins encore vivants : rescapés, humanitaires, journalistes. Le génocide des Tutsi, comme d’autres faits historiques africains, a été principalement raconté au monde à travers des images et des interprétations occidentales, faisant parfois des victimes les figurants de leur propre histoire. Nourri de réflexions sur l’acte de témoigner et la valeur des traces, entre recherche d’archives et écriture de soi, Le convoi est un livre sobre et bouleversant : il offre une contribution essentielle à la réappropriation et à la transmission de cette mémoire collective.


 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

Em

Liana Levi - 2021

Au Vietnam, le mot em sert à dire sa tendresse, sa délicate attention pour l’autre, plus jeune ou plus âgé. Dans un square de Saigon, sous un banc, un bébé a été abandonné. Louis, orphelin métis, de quelques années son aîné, le couche dans une grande boîte en carton. Il l’appelle Em Hong, « petite sœur » Hong. Louis prendra soin d’elle jusqu’à ce qu’ils soient séparés, lors de l’opération Babylift, au printemps 1975, qui évacue peu avant la chute de la ville les orphelins de guerre et enfants nés de GI’s. Sans le savoir, ils auront des vies parallèles, celles d’enfants américains adoptés. Ils ignorent ce que leur existence doit à la multitude de destins brutalisés avant eux dans le long conflit vietnamien. Em, c’est le fil qui relie les ouvriers des plantations de caoutchouc en Indochine aux femmes des premiers salons de manucure en Amérique du Nord. Ce sont les liens d’amour et de haine entre les vies brisées de la « guerre américaine ».

Dans ce roman, Kim Thúy noue des histoires vraies, pleines d’images fortes, méconnues ou aussi célèbres que la photo prise à My Lai. Sa prose lyrique et sobre nous embarque dans une traversée bouleversante de l’Histoire.