Retour en Haïti 2012 / Passion Caraïbes #4

11 mars 2020.
 

Le pouvoir magique des mots

Nous nous étions juré de revenir à Port-au-Prince : nous l’avons fait. Retardés par les troubles politiques, le choléra, mais nous l’avons fait. Dans dix villes d’Haïti, du 1er au 4 février 2012. Lyonel Trouillot rêvait cette édition comme un « pari à la fois contre la caricature qu’on pourrait dessiner d’un pays mal connu, et contre la fermeture sur soi de toute parole, de tout lieu, et l’illustration du pari d’un dialogue possible, déjà par les arts, du “tout monde”, c’est-à-dire de tous ces mondes qui font le monde ». Pari tenu : ce fut magique, tout simplement magique.

Partout, une foule dense et passionnée. La presse, haïtienne comme française, enthousiaste. Et les auteurs présents, pareillement : « Magique », nous écrit Blas de Roblès, au retour. « On ne revient pas indemne de certains lieux », renchérit Kebir Ammi. « Ce soir-là, écrit Julien Delmaire à propos du spectacle donné par Arthur H, deux hommes ont accepté de brûler pour nous. Le chien jaune ne me démentira pas, ce fut un sacrifice auquel nous avons assisté. » « J’ai ramené dans un sac un tas d’images en forme de graffiti / Je les ai brandies contre mon spleen dans les couloirs d’Orly/Je les ai posées sur les clichés d’une cité engloutie », slamme Rouda sur le chemin du retour. « J’y suis, j’y suis toujours », confie Hubert Haddad. « Magique », répètent tour à tour les journalistes présents, haïtiens comme français.

Lectures, débats, films, rencontres, dont une, exceptionnelle d’intensité, sur le « pouvoir magique des mots ». Et, en point d’orgue, le moment rare que fut L’Or noir dit par Arthur H et Nicolas Repac, devant une foule bouleversée.
Et maintenant ? La volonté toujours aussi forte de poursuivre, de ne pas laisser s’éteindre le feu qui brûlait en ces journées. Malgré la surdité des institutions françaises. Que nous finirons bien par convaincre…

Carrefour des imaginaires Makenzy Orce

Quelque part en 2007

À la fois distante et indiscrète, la ville persiste dans ses fluctuations. Avec ses bruits, ses odeurs, ses horreurs. De gros nuages se forment à l’horizon. Une averse de mots va tomber sur la ville. À la radio, à la télé, dans les lieux fréquentés par les artistes, écrivains, ou ceux qui s’intéressent plus ou moins à la chose écrite, c’est la même chanson : ils arrivent, ils seront nombreux ! Mais qui sont ces « ils » ? Mis à part le fait que dans cette ville les nouvelles vont plus vite que la lumière, de bouche à oreille en confettis de prospectus, les mordus de la littérature se rendent compte qu’il va se passer quelque chose qu’on avait jamais vu auparavant. Je suis de ceux qui assisteront à la majorité des rencontres, en tant que spectateur, bien entendu. J’ai 24 ans, je viens de publier La douleur de l’étreinte, mon premier recueil de poèmes.

J’en suis fier, mais ce n’est qu’un début. Une goutte d’eau dans l’océan. Il y a encore beaucoup de choses à apprendre, tant de routes à parcourir… Il est temps qu’ils arrivent. Qu’ils livrent leur secret… C’est le monde qui va venir à moi, à nous, pas parce qu’il s’agit d’une catastrophe naturelle ni d’un coup d’État politique… Pour une fois, ce ne sont pas des casques bleus, des forces étrangères qui viennent nous donner des ordres, voler nos chèvres, nous passer des maladies, mettre fin à une guerre qui n’existe pas. Pour une fois, ce ne sont pas des ONG qui viennent nous ONGisés, nous apporter des aides dont on n’a pas besoin, d’hypothétiques solutions. Mais des écrivains. Des voleurs de feu. Des rêveurs de confins. Des étonnants voyageurs. On pensera toujours à Aimé Césaire, André Breton, Wifredo Lam, Malraux, etc., tous ces artistes, écrivains ayant visité Haïti dans le passé, un temps que la majorité d’entre nous n’ont pas connu. Mais là on est dans le présent. Nous – étudiants, élèves, journalistes ou simples curieux –, on a envie de les écouter, de les matérialiser, ces étonnants voyageurs, de leur poser toutes sortes de questions.

Une belle première édition, à peine terminée, ces étonnants voyageurs nous manquent déjà. On veut qu’ils reviennent. Ils ont dit 2010 et ont tenu parole. Mais la nature en a décidé autrement, la rabat-joie. Port-au-Prince s’est vidé de son sang. Port-au-Prince a pleuré toutes les larmes de son corps.
Passons.

Quelque part en 2012

Les étonnants voyageurs sont encore plus nombreux. Plusieurs d’entre eux sont des amis maintenant, je dirais même des proches. Je fais partie des invités cette fois-ci. Ça s’annonce chaud. Il fait beau.

L’idée d’éclater le festival sur plusieurs espaces a permis aux invités de rencontrer une autre Haïti. Il y en a au moins deux : celle de nous et celle des autres. Celle dont on dit dans la presse internationale que c’est le pays le plus pauvre de l’hémisphère et celle d’Île-à-Vache, d’Anse-d’Azur, de la côte des Arcadins, de Moulin-sur-Mer, de Port-Salut, celle qui danse au Champ-de-Mars et sur l’avenue Magloire Ambroise. Les véritables voyageurs font confiance au réel, se reconnaissent de l’intérieur. Appartenir au monde de l’autre. Car la rencontre de soi passe par la rencontre avec l’autre. Chaque homme, quels que soient son origine et son statut social, porte en lui une pensée universelle. Si tel est le pari que les organisateurs de ce festival ont tenté en venant à Port-au-Prince, ils ont réussi…

Puisse Port-au-Prince continuer d’être le carrefour des imaginaires, la baie dans laquelle viennent s’échouer tous les rêves du monde !


Rêveurs à Saint-Malo

Et comme à chaque fois, le festival d’Haïti imprégna l’édition de Saint-Malo. Nous en rêvions depuis Port-au-Prince. L’idée était de rassembler dans une session de clôture cette bande de romanciers, poètes, slameurs et musiciens qui s’était naturellement assemblée dans l’euphorie des quelques jours passés en Haïti. C’était sans compter le pouvoir fédérateur de Saint-Malo : rencontrés la veille, le musicien Jacques Schwarz-Bart et son complice Erol Josué se sont enrôlés d’instinct dans l’aventure.

Menés par James Noël et emportés par les accords improvisés du génial Nicolas Repac, ils nous livrèrent des extraits de leurs œuvres, de celles de leurs amis. Pris par la musique et les mots, nous ne savions plus trop si nous étions encore à Saint-Malo ou déjà envolés vers quelqu’île rêvée. Une clôture comme on les aime en compagnie d’Emmelie Prophète, Arthur H, Dany Laferrière, Nicolas Repac, Julien Delmaire, Rouda, Makenzy Orcel, Yahia Belaskri, Jacques Schwarz-Bart, Erol Josué et Paul Wamo.