Étonnants Voyageurs par

Frankétienne

6 mars 2020.

Frankétienne "Mais qui sont-ils, ces Étonnants Voyageurs ? Ils représentent un amalgame d’âmes et de sensibilités spécifiques en mouvement centripète vers un Lieu de déblosailles pluridimensionnelles…"

 

Un Lieu de coudjaille spirituelle et de métissage culturel.
Un Endroit survolté d’exaltation collective, littéraire et artistique, éthique et esthétique.
Une Ville en effervescence musicale de paroles, de gestuelles et de créativité globale.
Un drôle de Polygone Urbain où résonne un magma d’idéologies disparates accompagnées de sonorités inattendues et de cris jubilatoires.
Une Ville transformée, modelée, modulée, métamorphosée en la circonstance pour un mélange hétéroclite d’idées paradoxales et de pensées conflictuelles.
Une Architecture conçue, improvisée et aménagée pour accueillir le continuum chaotique de la raison et du non-sens, de la vérité et du mensonge, du rêve et de la folie.
Un Cirque fabuleux où s’agitent, durant trois jours et fort tard dans la nuit, d’Étonnants Voyageurs qui n’ont rien à envier aux jongleurs, aux clowns, aux acrobates, aux saltimbanques, aux gladiateurs, aux toréadors, à tous ces matadors mythomanes et mystificateurs qui croyaient quelque part amuser la foule pour pouvoir changer le monde et se changer eux-mêmes.
Bref, une Agora Multiple d’où émerge la transcendance du Verbe en mouvement perpétuel ou en voyage immobile.

Qui donc sont-ils, ces Étonnants Voyageurs acharnés à renouer la spirale de midi aux spires des étoiles, en myriannant voluptueusement le vin du crépuscule au lait de l’aube ?
Ils sont de tous les continents, de tous les archipels, de toutes les parties de la « Mater Dolorosa », notre effraïque et pathétique Terre en panne, en souffrance et en pénitence.

Ces Étonnants Voyageurs, durant 25 années, venaient de près, de tout près, de loin, de très loin et de partout. Ils paraissaient étranges, insolites, mélancoliques, joyeux, sereins, excités,
contradictoires.
À côté de quelques timides au visage hermétique, supposément ceux-là qui allaient recevoir leur baptême de feu littéraire, beaucoup d’autres s’agitaient, visiblement dérangeants, apparemment extravagants, ouvertement inclassables.

Mais tous étaient là pour l’événement majeur. La bamboche annuelle de Saint-Malo sous la baguette orchestrale de Michel Le Bris, l’exceptionnel explorateur des mondes en mutation où l’on retrouve des savanes, des vallées, des montagnes, des récifs, des grottes et des labyrinthes à travers l’humaine géographie des mutants de la Culture.

C’est vrai qu’il y avait d’autres personnages importants dans l’équipage. Mais, le gouvernail vibrait d’abord entre les mains expertes de Michel Le Bris, commandant et chef d’orchestre incomparable.

Tous les Étonnants Voyageurs, les nouveaux autant que les anciens, communiaient, sourdement, muettement, intelligemment. Et même leur silence impliquait le partage des paroles imprononçables. Avec, au fond de leurs yeux, parfois inquiets et curieux, des rêves de livres, ivres et libres.
Des livres édités, invisibles, secrets ou déjà connus, avec des centaines et des milliers de pages tapageusement folles et belles.

On aurait parié sur les doigts du diable que tous ces Étonnants Voyageurs trimbalaient des baluchons, des sacs, des colis, des mallettes et des valises contenant ouvrages et bagages variés. Avec des souvenirs d’avions turbulents, d’autobus aux mille couleurs et de TGV gourmands.

Ces Étonnants Voyageurs se rendaient tous en un lieu commun où se tiendrait le Festival des feux imaginaires, celui de Saint-Malo, rendez-vous annuel des dieux brasseurs de mythes, de signes et de symboles dans une prodigieuse boulinerie de soleil doré, de pluie éphémère, de planètes vertigineuses et d’étoiles en soûlaison de magie. Une vraie boulangerie de fictions, de contes, de poèmes et d’anecdotes inoubliables.

Étonnants Voyageurs ! Une immense galaxie de pensées, de fantasmes, d’illusions et d’images dans un tournoiement époustouflant. Une irrésistible tourbillonnerie de corps surchauffés intellectuellement à l’intérieur d’un vortex de chants, de paroles, de gestes en partage, de métaphores brûlantes et de cris lumineux.

Saint-Malo, par son Festival, chante, danse, va, revient, voyage, ralentit, piaffe, repart, accélère sa vitesse et nous propulse dans l’INFINI IMAGINAIRE en expansion !

Moi, Jean Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d’Argent, devenu, par ma folie en absolue liberté, Frankétienne d’un seul tenant. Je n’ai plus besoin d’avouer après avoir participé à cinq éditions, combien le Festival des Étonnants Voyageurs a contribué à nourrir ma « géniale mégalomanie créative » qui me permet de résister à l’agressivité des prédateurs arrogants, débiles et stériles.

À travers Saint-Malo, Port-au-Prince et Bamako, je sais, comme tant d’autres créateurs, que ce Festival est un « Must » incontournable et une « Messe » culturelle solennelle.
J’ai participé, ai-je dit, à cinq éditions de cet irremplaçable événement qui a marqué mes méninges, mes entrailles et toute ma vie.
Dans l’intervalle, la Crise Acerbe a remplacé la Saison des Cerises. Et tout menace de s’effondrer. De disparaître.
De sombrer.
Que la Divine Énergie Universelle nous protège de la déconstombrance et de la mort !