Une machine de guerre

Écrit par : MEYER Lucile (1ère, Lycée de Marie Curie, Versailles)

28 avril 2018.
 

— Ils arrivent, a dit Jules. Ses yeux brillaient d’une joie féroce.

<< Ils arrivent, ces gens qui veulent notre mort pour des raisons que malgré mon âge je ne comprends pas... Trente-huit ans, ce n’est pas vieux mais ça devrait être assez pour comprendre le monde qui m’entoure et dans lequel mes enfants gravitent. >> Ce n’est pas la première fois que ces pensées tournent dans mon esprit. Le monde est devenu si sombre... Les gens ont commencé par se tuer et tuer pour des dieux, puis contre des dieux... Extrémistes, terroristes : j’ai bien trop entendu ces mots sans jamais réussir à comprendre leur réel sens. Comment pourrais-je les expliquer à mes enfants ? J’ai l’impression d’envoyer mes proches vers la mort sans pouvoir leur expliquer comment toute cette horreur a commencé ni pourquoi ils font ça. Je ne pourrais même pas leur expliquer qui sont ces gens, d’ailleurs. La main de Juliette se glisse dans la mienne et me tire de mes pensées macabres.

<< Dans cette histoire, qui a raison ?, je n’ai plus que cette question en tête depuis des semaines.

— On ne le saura sans doute jamais, mais tu préfères avoir raison ou savoir que tes enfants vivront ?, me demande doucement Juliette.

On a déjà eu cette conversation à maintes reprises et comme elle s’y attend, je lui réponds, les larmes aux yeux :

— Si c’est pour qu’ils vivent dans ce monde-là... >>

Ma voix a disparu à la fin de ma phrase. Chloé, ma petite fille, se tourne vers moi. Juliette a raison, mes enfants ont le droit de vivre mais dans un monde meilleur. Je suis un idéaliste et un cartésien ; c’est un peu paradoxal mais c’est comme ça. Avec plus de recul sur la situation, je saurais sûrement quoi faire, qui croire et comment agir. Tout s’est déroulé trop vite. Nous n’avons pas eu le temps de souffler. Entre mon travail qui me prenait beaucoup de temps à cause de nos recherches et le brouillard social toujours plus dense, je ne savais plus que penser. Mais au fond personne n’a vraiment su que faire. Je voudrais comprendre, choisir avec raison et sagesse les actions auxquelles je vais participer. Mais tout s’est précipité sans que je trouve qui a raison et qui a tort, qui croire. Alors je ne sais pas qui a de bonnes raisons et qui en a de mauvaises, je ne sais pas si les miennes sont bonnes mais ce sont mes enfants qui me décident à me battre.

Chloé se penche par la fenêtre et lance ses deux grenades. Les cris de ceux que je devrais haïr bourdonnent dans mes oreilles. Je ne les hais pas, ils me font peur et me font de la peine. Juliette et Chloé semblent terrorisées, Jules ne l’est pas, lui. Il est empli d’adrénaline et de haine. Il ne ressentira sûrement pas avant plusieurs années l’horreur de cette période. J’espère qu’il ne sera pas trop troublé et hanté par cette triste et sale époque plus tard. Je ne suis plus sûr de rien en ce qui concerne demain mais j’aimerais vraiment être auprès de ma famille pour les aider à surmonter les souvenirs une fois cette guerre finie. Si elle finit un jour...

Les survivants des grenades de Chloé s’en prennent maintenant à la porte. Ils ont brûlé le drapeau français avec lequel nous avions orné l’immeuble. J’entends des cris à la porte du repère qu’est devenu notre appartement.

<< C’est les voisins Papa ! On leur ouvre ? me demande Jules

— J’y vais mon chéri, veille sur ta sœur. >>

J’ai tellement peur pour mes enfants.

Sans un mot, j’ouvre la porte. Mes voisins rentrent et se cachent à leur tour. Je regagne ma cachette en me demandant encore une fois comment un développeur informatique travaillant dans une boite de jeux vidéos peut devenir soudainement soldat, général de guerre même. Ma famille et mes voisins ressemblent à un petit bataillon qui n’attend que mes ordres pour agir mais moi je suis perdu. Je ne veux pas me battre mais je dois défendre la France que j’ai connue et mes proches. Je ne sais même plus ce en quoi je crois, ce que je cherche à défendre de la France d’avant mais je rêve de retrouver son calme et sa douceur. J’aimerais être aussi serein que Jules aujourd’hui mais apparemment l’âge complique les choses. Trop de tracas se succèdent dans mon esprit, m’empêchant de réfléchir efficacement à une stratégie de guerre. En même temps, ce ne sont pas mes sessions de jeu sur certain jeux-vidéos de guerre qui m’aideront à en élaborer une fiable. Je sens sur mes épaules le poids de la vie de mes proches et je ne suis pas sûr d’être à la hauteur, d’être assez fort pour les soutenir et les sauver.

La porte de l’immeuble a cédé sous les coups de nos "ennemis". Ils s’engouffrent dans les escaliers. Chloé sort de sa cachette en courant pour rejoindre sa mère. Jules la suit. Ils sont au centre de la salle quand les soldats arrivent dans notre appartement. L’un des soldats tire une balle dans la tête de mon fils qui s’écroule par terre.

Tout devient soudainement flou. Mes larmes troublent ma vision et mes pensées. Ils ne peuvent pas tuer mon enfant, ils ne peuvent pas tuer un bout d’homme de quatorze ans. Ils n’ont pas le droit de s’attaquer à un enfant, à mon enfant.

<< On y est allé un peu fort je crois, sortez-le de la machine ! >>

La voix de mon supérieur me sort de ma torpeur. Un jeu. Comment ai-je pu l’oublier ? Je laisse mes larmes finir de couler avant de me lever pour retourner dans mon bureau.

<< Alors ?, me demande Marc mon collègue.

— Laissez-le reprendre ses esprits Marc, lui rétorque notre supérieur.

— Résultat, la machine marche. Elle s’immisce naturellement dans notre esprit. Et on arrive facilement à la programmer pour se trouver avec nos proches. Vous avez reçu les infos ?

— Oui, la machine marche parfaitement pour récupérer les infos aussi, sourit mon supérieur, fier de sa réussite.

— Et pour le jeu ?, nous demande alors Marc, encore sceptique.

— Il se vendra. Il est bien conçu et il est prenant. La voix off du début finit par se mélanger aux pensées du joueur et la nouveauté de la technologie utilisée plaira aux amateurs et même peut-être à tous si on rend ce jeu accessible.

— Bon, ben je vais tout de suite appeler nos investisseurs, nous dit mon patron en retournant vers son bureau.

— Mais... Vous êtes sûr que... ; j’hésite à poser ma question, nous en avons souvent parlé mais je ne suis toujours pas sûr, moi.

— Ne vous en faites pas pour ça, faites-moi confiance. Personne ne se rendra compte que ce jeu a pour but de collecter des informations sur les réactions de la population en cas de guerres pour le compte du gouvernement. >>