France culture : La Grande table

Paolo Rumiz et Teresa Cremisi

10 juin 2015.
 

Avec Paolo Rumiz et Teresa Cremisi

 

DERNIER OUVRAGE

 

Le phare : Voyage immobile

Hoëbeke - 2015

Paolo Rumiz pour son nouveau livre a fait un voyage auquel même lui sans doute ne s’attendait pas. Lui qui a longé les 6 000 kilomètres des frontières de l’Europe du nord au sud, traversé les Balkans, franchi les montages à la recherche d’Hannibal, ramé tout au long du fleuve le Pô, lui, le grand voyageur italien, décide de vivre et de nous faire vivre son premier voyage immobile dans un phare perdu au milieu de la Méditerranée, loin de tout et de tous, hormis les gardiens.
Soudain libéré de tout contact avec le monde extérieur – il n’a ni radio, ni télé, ni internet, ni même un téléphone – il se consacre, quand le temps le permet, à l’exploration de son environnement plutôt réduit puisque le phare est perché sur un récif où il n’y a aucune autre habitation. Il nous présente donc tour à tour la nature, la faune domestique (il y a quand même un âne et une poule) et la faune sauvage (dominée par les innombrables oiseaux), les poissons, le bâtiment où il loge, ceux qui l’habitent ou qui l’ont habité jadis, sans oublier d’autres occupants de phares qu’il a connus dans son enfance, il nous parle du temps qu’il fait, des vents, des bateaux qui passent, de ses pensées, de ce qu’il mange et de bien d’autres choses encore. Bref, il nous dit tout, sauf le nom de cet archipel mystérieux, qu’il tient à cacher, de peur d’y voir déferler des hordes béotiennes. Il livre certes quelques indices, mais ceux-ci amènent le lecteur à se demander si la vérité ne serait pas plus compliquée qu’il n’y paraît et à conclure que le phare du récit pourrait bien être, en réalité, un savant amalgame d’expériences diverses. En tout cas, le récit est prenant, et inoubliable. C’est avec une indéniable volupté que ceux qui rêvent d’une tour d’ivoire se laisseront entraîner jusqu’à ce lieu austère, à l’écart du monde, même s’il faut en repartir.

 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

La triomphante

Editions des Equateurs - 2015

La Triomphante. Il faut voir dans ce titre l’ironie de la narratrice qui raconte sa vie d’exilée entre l’Egypte, l’Italie et la France. Une femme qui aurait rêvé d’un destin d’homme – Achille, Hector, Bonaparte ou Lawrence d’Arabie – mais qui devra se contenter de l’Occident et de ses carrières en château de sable. Peut-on rencontrer la gloire, ce privilège trop masculin quand on est une femme née dans les années 1940 à Alexandrie et qu’on a rêvé devant la baie d’Aboukir des batailles navales napoléoniennes ?
Une famille composée d’une mère au passeport britannique et d’un père au passeport italien. La mère, remarquable crawleuse, artiste, sculptrice, légère comme un tanagra, plus à l’aise au volant d’une ambulance militaire que dans une cuisine. Le père, ex-gérant d’une société d’import-export, champion de régates et de golf. La fille, lectrice omnivore qui se passionne pour l’Iliade d’Homère mais qui restera toujours une étrangère. Les trois parlent le grec, l’arabe, le français, l’anglais, l’italien. Une famille cosmopolite qui a le sentiment qu’une civilisation finissante porte en soi quelque chose de désordonné, d’incohérent, d’élégant et que tout est provisoire pour elle et pour les autres. Surviennent les évènements du canal de Suez et la menace de la guerre.
Début de l’exil d’abord à Antibes avec ses étoiles de mer puis en Italie avec ses campari et Fellini, Rome, Milan. C’est le passage d’une ligne, d’une « ligne d’ombre » aurait dit Conrad. L’horizon se rétrécit. Il faut apprivoiser les effondrements. Extension du domaine du désastre. On se montre souple, on s’adapte. On apprend l’art de la dissimulation. Qu’est ce que l’amour quand on se rêvait général de brigade ? Un arrangement petit bourgeois avec la mort. L’exilée à perpétuité grandit, devient journaliste, directrice d’imprimerie, patronne d’un groupe industriel : des aventures plutôt que la nostalgie, ce poison. Heureusement, il y a les bains de mer, les cheveux mouillés et la fantaisie. La narratrice finit par débarquer à Paris et se confronte à sa langue maternelle : le français. Dans ses valises, son amoureux, Giacomo. Et si on se mariait ? Mais il faut un acte de naissance ! Le fameux état-civil ! Mais qui est le père ? Et la mère avant de mourir a brûlé tous les papiers. Tout se réveille. Tout se révèle. La quête d’une nationalité, d’une identité devient aussi éprouvante que la quête du Graal pour les chevaliers surtout quand on se confronte au fantôme de la honte.
Ce premier roman c’est d’abord un univers d’écrivain, une imagination portuaire, des rêves de bateaux. Et ce terrible sentiment d’exil que rien n’apaise, ni baiser, ni caresse. C’est une saga familiale et méditerranéenne, le portrait d’une femme plus que rebelle ou frondeuse qui pensait que la vie est un art de la guerre. La Triomphante c’est le portrait d’une étrangère dont la seule patrie est la littérature et l’humour. La rencontre de l’esprit anglais et de l’élégance italienne. Et une déclaration d’amour à la langue française.