Prix Ouest-France / Etonnants Voyageurs 2006 attribué à Olivier Maulin

"En Attendant le Roi du Monde" (L’Esprit des péninsules, 2006)

6 juillet 2006.
 

Olivier Maulin est né en 1969. Il vit et travaille à Paris.
En attendant le roi du monde est son premier roman.
Il vient d’obtenir le prix Ouest-France Etonnants Voyageurs 2006.


En attendant le roi du monde
" C’est elle qui avait eu cette idée foireuse. Elle était d’origine portugaise et comme les choses n’allaient pas brillamment à Paris, elle avait pensé " rentrer au pays ". Cette corne m’avait transformé en immigré. " Elle, c’est Ana. Ses rêves : faire fortune au Portugal, rentrer dans dix ans. Lui, c’est Romain. Ses défauts : " trop français ", " pas assez citoyen du monde ". L’exil du couple à Lisbonne : un antiroman d’apprentissage où dominent la férocité des observations et l’humour des situations. L’une poursuit ses rêves, l’autre s’acoquine avec une bande d’illuminés - Lucien, grutier funambule ou Pépé, ancien colon d’Angola- qui hante la capitale portugaise de ses cuites mémorables. Il fut une époque où Romain et tous les autres auraient été marxistes révolutionnaires ; ils se contentent aujourd’hui de faire les idiots. Le temps d’une soirée d’excès en tous genres, il leur arrive aussi de voyager en esprit dans un ciel encombré où les anges croisent un hologramme de George Bush. Ce roman de la tradition revisitée sur un mode burlesque, parodique et parfois grinçant n’en questionne pas moins en profondeur notre moderne condition.

Le site de l’Esprit des Péninsules
La page Ouest-France consacrée au prix
La page Maville.com consacrée au prix


REVUE DE PRESSE

LA CHRONIQUE LITTÉRAIRE DE JEAN-CLAUDE LEBRUN
L’Humanité, 26 janvier 2006
Olivier Maulin, un délire acide
Retrouvez l’article sur le site de l’Humanité

« Ces modernes Pieds Nickelés lancés dans une succession d’errances sous le signe de l’alcool et du sexe. » Il passe sur le premier roman d’Olivier Maulin un souffle tonique et revigorant. Peut-être parce qu’on y sent un constant plaisir d’écrire, allié à un vigoureux esprit critique. Si l’on devait transposer à la littérature la dualité qu’Ernst Bloch discernait dans... le marxisme, on pourrait avancer qu’Olivier Maulin s’inscrit dans le « courant chaud », celui de l’exubérance de la vie et du refus des raideurs, de l’imagination et de l’échange. La référence au marxisme n’est pas ici tout à fait aléatoire : si l’on retrouve dans ce texte la vivacité et l’irrespect du roman picaresque, son art de la contradiction, l’on y voit aussi le travail sourd de l’idéologie. Cela commence par une manière de retournement dialectique. Romain et Ana, un couple franco-portugais de la banlieue parisienne, prennent un jour le car pour Lisbonne, où ils vont désormais vivre. Leur situation ici n’est pas reluisante, alors que le Portugal connaît une forte croissance et un faible taux de chômage. De bonnes raisons pour que Romain se retrouve « transformé en immigré » dans le pays d’Ana, devenu un inattendu Eldorado. À peine amorcé dans ce registre, le récit s’emballe. Romain et Ana ont en effet échoué dans une pension de famille miteuse d’un quartier perché au-dessus du Tage. Ils y ont rejoint un quarteron de figures hautes en couleur, mais passablement marginales. Parmi celles-ci Dulce, qui paraît s’être réfugiée dans l’érotomanie, et Pépé, un ancien colon d’Angola cloué sur son fauteuil roulant. Ils ont ensuite fait la rencontre de deux expatriés, Lucien, un grutier qui se prend pour un prophète, et Cécile, incarnation du cadre commercial dynamique et convaincu. Leur cascade d’aventures délirantes au pays de Camoes et du fado peut démarrer. Le burlesque le dispute alors à l’absurde, la poésie à la trivialité. Car Olivier Maulin brasse allégrement les registres, au rythme endiablé de ses modernes Pieds Nickelés lancés dans une succession d’errances sous le signe de l’alcool et du sexe. À quoi d’autre se consacrer, quand le monde alentour ne semble pouvoir rien offrir d’exaltant ? Alors on ose sortir le vieux Pépé, on court en panique derrière son fauteuil lancé dans une rue en pente, on l’entend, déjà passablement éméché, dans un café vanter les charmes perdus du colonialisme, puis soudain commencer de déclamer les 848 vers du premier chant des Lusiades, de Camoes, pour les Portugais quelque chose comme les stances de Corneille ou les poésies de Victor Hugo. Dans la salle au bord des larmes court un air d’irrépressible nostalgie. Mais l’on reprend déjà la route. Nouvelle rue en pente, le fauteuil de Pépé va trop vite. Vol plané dans le Tage. On repêche le vieillard. De retour à la pension, vapeurs éthyliques dissipées, un vague souvenir d’humidité lui fait croire à un mauvais rêve. Le grave et le futile, ici, se mélangent. Des idées cheminent, entre le pire passéisme et le besoin d’une conscience historique commune. Et puis, il y a le chantier, sur lequel Lucien travaille, rejoint un jour par Romain, qui apprend de son ami l’art de commander aux grues. Sur ce lieu titanesque, Lucien, à l’égal d’un pape, est appelé le « Pontifex ». Il fait au demeurant de curieuses prophéties, appelle la venue d’un « nouveau Gengis Khan, un peu plus féroce que le précédent, si possible », semble commercer avec des forces occultes dans sa cabine entre terre et ciel. En fait exprime le désir d’un sens et en même temps incarne les plus grands errements. Là encore, on voit poindre la matière profonde que brasse ce roman. Le regard aigu de Lucien et de Romain, qui en d’autres temps aurait peut-être débouché sur une révolte, aboutit à toutes les dérives et pitreries, qui sont peut-être la forme contemporaine du vieux nihilisme. Olivier Maulin donne ainsi au roman picaresque une nouvelle actualité. Il en reprend au pied de la lettre les principes fondateurs, par ses personnages d’errants et de marginaux dans la ville, par l’apparence de dérision de leurs aventures, comme par la tonalité loufoque, en réalité subversive, de son récit. Voici donc encore un premier roman digne d’attention, dans cette seconde rentrée littéraire qui offre un espace à des nouveautés ambitieuses. À se demander si tout éditeur sage ne devrait pas maintenant éviter à ses auteurs débutants la bousculade insensée de l’automne.


Le marcheur dans sa tête
par Alexandre Fillon
Lire, juin 2006
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Une flânerie menée par un chômeur qui rêve de Paris.
Olivier Maulin a la dent dure, le regard mauvais. En attendant le roi du monde, son caustique premier roman, évite les images d’Epinal même si ses héros prêtent à sourire. Originaire du Portugal, Ana a expliqué à Romain qu’elle venait d’un pays riche, à la forte croissance et au faible chômage. Comme les choses n’allaient pas « brillamment » pour eux à Paris, elle l’a convaincu d’embarquer avec elle dans un car à destination de Lisbonne. Le couple pose ses bagages dans une pension familiale située sur les pentes du haut quartier de la ville, dans le Chiado. Leur chambre donne sur le Tage.
Monsieur, un sacré râleur doté d’une faible curiosité, en a vite assez de regarder par la fenêtre, d’attendre l’apparition des chauves-souris à la tombée de la nuit. Il tente bien de faire quelques promenades, découvre le tramway électrique, la ville basse, celle qui a été complètement reconstruite après le tremblement de terre de 1755. Romain marche sur les gros pavés irréguliers, les chaussées déformées, sillonne les rues pentues. Devant le château Saint-Georges, il se demande s’il s’agit de la demeure du roi - il n’est pas encore passé devant la Rotonde autour de laquelle les troupes de l’amiral Machado Campos campèrent en octobre 1910 pour renverser la monarchie.
Découvrant que de roi il n’y a point au Portugal, Romain déclare tout de go : « C’est moche un pays sans roi. » L’aventure doit pourtant continuer. S’il veut trouver du travail, ce trentenaire ayant déjà tâté du télémarketing, vendu des pizzas et des chaussures, a besoin d’apprendre la langue. Sur les bancs de l’école, il rencontre une Française œuvrant dans le secteur des produits cosmétiques pour animaux, ainsi qu’un lot de crétins capables de débiter toutes les banalités possibles. La plantureuse Dulce, autochtone croisée à la pension, lui apprend qu’elle n’aime pas les Français parce qu’ils mangent les grenouilles vivantes. Pour Romain, elle va cependant faire une exception... Plus adepte des longues étapes au bistrot que du bachotage, le fainéant dépeint par Olivier Maulin rêve de Paris, du temps où il fumait des joints et pointait aux Assédics ! On s’amusera à suivre ses tribulations, ses errements dans une ville qu’il n’arrive pourtant pas à faire détester.