"Au pays des mangas avec mon fils"

Collection Etonnants voyageurs

14 septembre 2010.
 
Au pays des mangas avec mon fils

Skateboard, Xboxes, GameCubes, Playstations, mangas... Sorti de sa bulle, Charley, douze ans, timide et réservé, manifeste comme beaucoup de gamins de son âge une parfaite indifférence à ce qu’un père exaspéré s’obstine à considérer, lui, comme le monde réel. Mais quand le père en question s’appelle Peter Carey, auteur mondialement connu, le taureau se trouve vite pris par les cornes. Puisque le gamin ne semble jurer que par les mangas, eh bien, ils s’envoleront tous deux au pays des mangas, histoire d’en savoir plus de cet univers virtuel et de découvrir l’envers du décor. Et de confronter cet univers au Japon réel, à sa culture millénaire : rira bien qui rira le dernier... Visite des studios, rencontre avec les ’0stars’ du manga et du cinéma, dont bien sûr Miyazaki, mais aussi les anonymes des studios, visualistes et otakud. Mais Peter Carey, tout à son obsession de faire découvrir à son fils le ’Japon rée’, et sa culture, des samouraïs au théâtre kabuki, perd presque aussitôt pied, tandis que Charley, lui, se sent de toute évidence à l’aise - et bientôt c’est le fils, patiemment, qui essaie de réorienter son égaré de père.


Le romancier australien, deux fois lauréat du Booker Prize, fait entrer la bande dessinée japonaise dans la littérature. « MANGA » ? « Quès aco ? » comme dirait un légionnaire d’Astérix. Même les plus rétifs à la culture japonaise ne pourront pas se poser la question plus longtemps : Peter Carey, le romancier australien adulé, deux fois lauréat du Booker Prize, maintenant installé à New York, leur donne droit de cité dans la littérature. Les « mangas », ce sont les bandes dessinées japonaises, épaisses comme un annuaire, qui, si on les feuillette rapidement s’animent comme un dessin animé. Le fils aîné de l’écrivain a douze ans au moment où Bush attaque l’Irak. Il a les cheveux en brosse, mesure 1,75 m et ne parle que si on le sollicite vivement. C’est un timide un peu renfermé, qui lit des « vrais livres » une demi-heure (montre en main) chaque soir et passe le reste du temps plongé sur le clavier de son téléphone portable, sur l’écran de son ordinateur... ou dans des « mangas ». Il n’en faut pas plus pour que son père - qui prétextera un reportage auprès des artistes japonais de la bande dessinée et du dessin animé -, désireux de comprendre son rejeton, lui propose de l’accompagner au pays du Soleil-Levant... On sourit souvent. Peter Carey, qui reste romancier, croque magnifiquement un personnage d’adolescent timide, buté et attachant, et fait comprendre au lecteur les richesses (intérieures) de la génération « texto », arpentant les rues l’oeil collé sur son portable. Son bref récit prouve une fois de plus que, quel que soit son sujet, un écrivain reste un écrivain et que rien n’est mineur dans une oeuvre de premier plan. Après les 170 pages de ce récit, on a envie de découvrir les mangas.
Christophe Mercier - Le Figaro du 9 juin 2006