Peut-on parler de littérature nationale ?

Ouverture par Velibor Colic

1er juillet 2013.
 

Malheureux écrivains, toujours sommés de se mettre au service d’une cause, d’un clan, d’une classe, d’un groupe ! À libération nationale, affirmation identitaire et nécessité, en somme, d’une littérature « nationale ». Mais quelle place encore pour le poète qui affirme comme Rimbaud que « Je est un autre » ? « J’ai été le témoin, en ex- Yougoslavie, de comment une littérature “élitiste“ devient soudainement une “littérature nationale“ », écrit Velibor Colic, « ou comment les écrivains, avec leurs livres et une ‘“langue nationale“ définissent un espace spirituel et national avant qu’arrivent les généraux pour ‘arrondir les frontières’ : le triple crime (génocide, urbicide, mémoricide) n’est jamais que le sous-produit d’une littérature ‘nationale’ »

Ouverture par Velibor Colic
Lire le texte : "Le chant des guerriers – La littérature nationaliste"

Avec la participation au débat de : Murray BAIL, Elliot PERLMAN, Geneviève DAMAS,
Alain MABANCKOU, Sami TCHAK, Velibor COLIC, Lyonel TROUILLOT, Janis OTSIEMI, Insa SANE, Maryse CONDE, Henry KENOL, Yanick LAHENS, Henri LOPES, Julien MABIALA BISSILA, Anne NIVAT, Atiq RAHIMI, Gary VICTOR, Olivier WEBER, Helon HABILA, Kenneth WHITE, Ian MCDONALD, Nick STONE

 

DERNIER OUVRAGE

 
Récit

Guerre et pluie

Gallimard - 2024

Velibor Colic a en n écrit le récit de sa guerre, celle qu’il a vécue en 1992, depuis son enrôlement dans l’armée croato-bosniaque lors de l’invasion de la Bosnie par l’armée fédérale ex-yougoslave tenue par les Serbes, jusqu’à sa désertion, qui a marqué le début de sa vie en exil. Il l’avait évoqué dans son tout premier livre, Les Bosniaques, série de brefs récits de guerre, écrit en serbo-croate. C’est ici un projet d’une toute autre ampleur. La première partie raconte l’apparition, vers 2020, alors que l’auteur vit à Bruxelles, d’une maladie rare, provoquant l’éclosion de cloques douloureuses sur le corps et dans la bouche, qui fait revenir à sa mémoire les images des corps en déchéance. Il comprend aussi que si sa langue est attaquée par des aphtes purulents, c’est qu’il a dû s’arracher à sa langue maternelle pour venir habiter le français : le corps dit toutes ces déchirures. La deuxième partie évoque de façon saisissante la vie du jeune soldat de 28 ans jeté dans un univers d’épouvante : la guerre détruit les hommes, mais aussi les animaux, les arbres, tout ce monde de beauté paisible qui avait été le sien. La troisième partie raconte comment, ayant décidé de déserter, l’auteur a réussi à échapper à la guerre, au prix du deuil de tout ce qui avait fait sa vie jusqu’alors.« La mémoire parle une langue étrangère dont nous ne maîtrisons pas tous les signes », écrit Colic. C’est ce qui donne à ce récit son caractère à la fois halluciné et drolatique. L’horreur des tranchées, la déréliction des soldats, les souffrances, tout cet univers d’e4roi où aucune loi n’existe, est contrebalancé par la douceur merveilleuse des souvenirs d’avant – en particulier des souvenirs amoureux, évoqués avec une délicatesse et une poésie qui subjuguent. L’auteur se décrit avec une autodérision parfois enfiévrée de colère, comme un colosse branlant. C’est un livre de révolte mais aussi, paradoxalement, un livre plein de tendresse et de drôlerie, car l’auteur ne se départit jamais de son penchant pour les aphorismes sarcastiques ou absurdes. Ce grand livre est d’autant plus puissant qu’il résonne terriblement avec ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine.