MAGRIS Claudio

Italie

Alphabets (L’Arpenteur, 2012)

Biographie

Claudio Magris © D.R.

Trieste, le Danube... Qui mieux que Claudio Magris a su décrire ces zones frontières où les cultures se touchent, communiquent et s’affirment dans leurs particularités ? Ces lieux dont la toponymie - tout à la fois italienne, allemande, française, slave - dit toute la richesse, dit le poids de l’Histoire. Professeur, conférencier, traducteur de Kleist, Ibsen, Schnitzler, Büchner, et romancier Claudio Magris est un écrivain dont l’œuvre n’a de cesse de dresser des ponts entre les frontières européennes. Très affecté dans son âme et son oeuvre par la perte tragique de son épouse, il témoigne d’un besoin impératif d’entretenir des liens profonds avec la société. « Je ne peux pas travailler chez moi, je n’arrive pas à me concentrer. Au café, je suis seul, mais en compagnie. Je vis une sorte d’anonymat tout en étant entouré par les autres. Et cela me fait du bien car cela me permet de garder contact avec la réalité ».

L’œuvre de Claudio Magris est ainsi entièrement marquée par les rencontres à la fois dans le processus d’écriture, mais aussi de traduction d’un roman. Il déclare ainsi : "Il y a deux catégories de livres : ceux que j’ai écrits, et ceux qu’on a écrits le traducteur et moi"

Auteur contemplatif, il se plait à observer les "petits riens" de la nature, qui en font toute la beauté. Son roman Microcosmes, où le lecteur commence par s’attarder dans un café de Trieste, gravit ensuite les montagnes du Frioul, replonge vers les lagunes de Grado, s’enfonce dans les forêts de Slovénie, peuplées d’ours et de fantômes, passe par le Piémont, flâne dans les îles de Croatie, s’enfonce dans une vallée perdue du Tyrol italien pour finir près de là où tout avait commencé : parce que " tout voyage est surtout un retour ".

Ce voyage au cœur de la Mitteleuropa est aussi un moyen d’affirmer son amour pour l’Europe centrale, et d’affirmer son désir de voir un jour ses peuples unis en un État. Son roman le plus célèbre, le Danube, entrevoit ce fleuve non pas comme la frontière, mais plutôt comme une route, pivot de l’Europe centrale. Sous un angle très mélancolique - il vient alors de perdre son épouse - il choisit de descendre ce fleuve en invoquant de grandes références politiques, dont la dynastie des Habsbourg, mais aussi culturelles, comme Schubert, Céline ou encore Heidegger, qui marquèrent l’histoire commune des pays Européens.

Ces personnages, figures littéraires et artistiques, il les retrouve avec Alphabets, son dernier roman. Dans cette compilation de dizaines d’articles, courts ou longs, Claudio Magris revient sur ses grandes préoccupations littéraires, qui formèrent son esprit : une autobiographie dans l’ombre de grands écrivains.


Bibliographie :

  • Alphabets (L’Arpenteur, 2012)
  • Loin d’où ? Joseph Roth et la tradition juive-orientale (Le Seuil, 2009)
  • Vous comprendrez donc (L’Arpenteur, 2008)
  • À l’aveugle (L’Arpenteur, 2006)
  • Trois Orients. Récits de voyages (Rivages poche / Petite bibliothèque, 2006)
  • Déplacements (La Quinzaine Litteraire, 2003)
  • L’Exposition (Gallimard, 2003)
  • L’anneau de Clarisse (L’Esprit des Péninsules, 2003)
  • L’Anneau de Clarisse. Grand style et nihilisme dans la littérature moderne (L’Esprit des péninsules, 2003)
  • Les Voix (Descartes & Cie, 2002)
  • Utopie et désenchantement (Gallimard, 2001)
  • Microcosmes (Gallimard, 1998 - Prix Strega 1999)
  • Une autre mer (Gallimard, 1993)
  • Stadelmann (Scandéditions, 1993)
  • Trieste : une identité de frontière (Le Seuil, 1991)
  • Danube (Gallimard, 1988 - Prix Bagutta 1987)
  • Enquête sur un sabre (Desjonquères, 1987)

Présentation d’Alphabets

Traduit de l’italien par Jean et Marie-Noëlle Pastureau

spip_logoJorge Luis Borges se plaisait à dire qu’il laissait à d’autres le soin de se glorifier des livres qu’ils avaient écrits, car il préférait pour sa part tirer gloire des livres qu’il avait lus… Cette anecdote donne le ton d’Alphabets, ouvrage dans lequel Claudio Magris nous convie à un long voyage à travers des livres qui ont laissé en lui une durable empreinte. La littérature est à ses yeux une expérience de vie. Elle soutient ou attise l’intensité de notre existence et en dilate infiniment les confins. Il évoque dans Alphabets des livres qui nous forment, mais aussi des livres qui ont à la fois le pouvoir de nous blesser et d’apaiser la blessure. Des livres qui nous permettent de connaître et d’ordonner le monde, et d’autres qui en révèlent le chaos destructeur, l’enchantement et l’horreur. Des livres qui s’entrelacent à la vie, se confrontent à l’Histoire et nous marquent parfois de leur « signe absolu ». Des livres qui transcendent leur propre perfection esthétique pour dire la douleur non moins que la beauté, l’amour non moins que la tragédie ou l’abjection. Des livres traversés par des lueurs salvatrices et d’autres qui se penchent au bord du néant.

Au terme d’un vaste et passionnant périple qui nous emmène à la rencontre de nombreux écrivains et qui explore des thèmes aussi divers que la colère, le courage, la mélancolie ou la guerre, Alphabets se conclut par réflexion lucide et nuancée sur les rapports entre littérature, éthique et politique. On s’aperçoit alors que dans ce nouveau livre, le grand écrivain triestin a dessiné en filigrane une sorte d’autobiographie littéraire, comme dans le célèbre apologue borgésien dans lequel un artiste peint des paysages, des montagnes, des îles et s’aperçoit au soir de sa vie qu’il a en réalité composé son autoportrait.

Revue de presse :

"Alfabeti est un livre impeccable, provoquant un plaisir de lecture rare, à lire d’une traite ou à picorer lentement et surtout sur lequel il est loisible de revenir régulièrement, ce que j’ai fait toute cette dernière année, m’essayant à ces courts essais de littératures (je veux bien confesser ne pas les avoir tous explorés), et qui m’a permis d’approcher un très grand écrivain (incessamment nobélisable depuis plusieurs années) dont je repoussais les autres ouvrages par intimidation, très certainement, et à l’évidence aujourd’hui, par bêtise et paresse." Antonio Werli pour Fric Frac Club.