Jeune étudiante belge, Diane Meur débarque en 1987 à Paris avec la ferme intention de devenir écrivain. Mais cette bûcheuse polyglotte se retrouve happée dans l’engrenage des études : deux Khâgnes, puis Normal Sup’, la Sorbonne en lettres modernes et finalement l’EHESS en sociologie de la littérature l’éloignent peu à peu de son rêve.
Adepte de la gymnastique sémantique, elle embrasse avec passion une carrière de traductrice : elle traduit aussi bien des essais de sociologie, avec Erich Auerbach, Hanns Eisler, que les romans de Paul Nizon ou Tariq Ali. Néanmoins, à sa grande surprise, elle reprend son travail d’écriture en 2002 et signe un premier roman, La vie de Mardochée de Löwenfels, écrite par lui-même.
Son savoir-faire de traductrice n’est pas pour rien dans la beauté de sa prose : Diane Meur pèse patiemment ses mots, et affine un style poétique et référencé. "Je pense que la traduction est une merveilleuse école de style, une école d’écriture qui apprend à travailler de très près sur les mots, les phrases, les rythmes, les images. Mon écriture en reste très marquée et, au quotidien, le peaufinage d’une traduction et celui d’un texte à moi ne me paraissent pas des tâches très différentes." Déclare-t-elle dans une interview.
Passionnée par la question du langage, elle interroge notre rapport à la parole au fil des romans. Dans Les Vivants et les Ombres, lauréat du Prix Victor Rossel en 2007, elle confie ainsi la narration à une maison, témoin des déchirements et des amours d’une famille austro-polonaise de 1848 à 1914.
Ancré dans une antiquité fictive, Les Villes de la plaine raconte l’histoire d’un scribe, Asral, qui au contact du peuple décide un jour d’abandonner la langue écrite ancestrale pour une langue vernaculaire, comprise de tous. Pour Diane Meur, l’écriture romanesque est aussi un moyen de questionner le présent à travers l’histoire. Les Villes de la plaine réserve une vertigineuse surprise en entrecoupant les péripéties d’Asral par le récit de la découverte, des siècles plus tard, des ruines de cette civilisation mésopotamienne par des archéologues. Au delà de la soudaine mélancolie provoquée par la disparition promise de cette civilisation, Diane Meur choisit de questionner le lecteur sur la place de l’héritage que nous voulons transmettre et nous donne ainsi une terrible leçon d’humilité.
Avec La Carte des Mendelssohn, publié en 2015, la romancière nous enchante par ses libres variations sur les figures tragiques et excentriques de la lignée des Mendelssohn, tout en nous dévoilant ses sources et sa chronologie, tout en mêlant sa propre vie à la matière de son livre. Tour de force d’un écrivain qui jamais ne perd le nord, La Carte des Mendelssohn finit par mettre à mal toute idée de racines, et par donner une image du monde, comme un riche métissage où nous serions tous un peu cousins.
Elle revient en 2020 pour nous plonger dans le curieux grand-duché d’Eponne, un micro-Etat imaginaire quelque part en Europe. Sous le ciel des hommes tisse progressivement des liens entre plusieurs de ses habitants, un journaliste qui décide d’accueillir un migrant, et un groupe anticapitaliste en pleine écriture d’un essai brûlant. Doublant sa parfaite maîtrise romanesque d’un regard malicieusement critique, Diane Meur excelle à nous interroger : sous ce ciel commun à tous les hommes, l’humanité n’a-t-elle pas, à chaque instant, le choix entre le pire et le meilleur ?
Bibliographie
- Sous le ciel des hommes (Sabine Wespieser, 2020)
- La Carte des Mendelssohn (Sabine Wespieser, 2015)
- Les Villes de la plaine (Sabine Wespieser, 2011)
- Les Vivants et les Ombres (Sabine Wespieser, 2007)
- Raptus (Sabine Wespieser, 2004)
- La Dame blanche de la Bièvre (Labor, 2004)
- Le Prisonnier de Sainte-Pélagie (Labor, 2003)
- La vie de Mardochée de Löwenfels, écrite par lui-même (Sabine Wespieser, 2002)
Traductions de l’Allemand au Français :
- Jan Assmann, La mémoire culturelle : Écriture, souvenir et imaginaire politique dans les civilisations antiques (Éditions Aubier, 2011)
- Tariq Ali, Le Livre de Saladin (Sabine Wespieser, 2008)
- Tariq Ali, Un Sultan à Palerme (Sabine Wespieser, 2007)
- Paul Nizon, La Fourrure de la truite (Actes Sud, 2006)
- Erich Auerbach, Figura (Macula, 2003)
- Heinrich Heine, Nuits florentines, précédé de Le Rabbin de Bacharach et de Extraits des mémoires de Monsieur de Schnabeléwopski (Éditions du Cerf, 2001)
- Harald Weinrich, Léthé. Art et critique de l’oubli (Fayard, 1999)
- Erich Auerbach, Écrits sur Dante (Macula, 1999)
- Erich Auerbach, Le Culte des passions. Essais sur le xviie siècle français (Macula, 1998) - Hanns Eisler, Musique et société (Éditions de la Maison des Sciences de l’homme, 1998)