- ©Patrice Normand
Shumona Sinha a été l’une des révélations majeures de la rentrée 2011 avec un second roman, Assommons les pauvres !, sélectionné pour le prix Renaudot. À l’opposé d’une vision uniforme du migrant et loin de tout angélisme, Shumona Sinha fait défiler, dans le huis-clos d’un bureau où l’on examine les demandes d’asile, les visages multiples de l’immigration contemporaine. La force de ce texte tient dans son souci de transmettre de façon poétique certaines des interrogations existentielles propres au monde mobile, globalisé dans lequel nous vivons. Le roman questionne la notion d’identité et les multiples manières d’appartenir à un territoire, montre la fragilité des destins individuels confrontés à la mécanique sociale et administrative.
D’origine indienne, la romancière, née en 1973 à Calcutta, obtient à l’âge de 17 ans le prix du meilleur jeune poète du Bengale. Fascinée par la France et la langue de Molière, elle arrive à Paris en 2001 et obtient un DEA en lettres modernes à la Sorbonne. À peine dix ans après, son style est déjà affirmé, parsemé de métaphores et d’images frappantes de justesse. On retrouve dans ses trois romans la même prose poétique aux accents autobiographiques : menés par des narratrices ayant comme elle quitté l’Inde pour la France, ils racontent le déracinement, l’expérience combinée de la liberté et de la perte, le deuil des fantasmes entourant le pays d’accueil comme la patrie d’origine.
Plongée politiquement incorrecte dans l’univers des réfugiés, Assommons les pauvres ! s’inspire de l’expérience de l’auteur comme interprète auprès de l’Ofpra, l’établissement public français chargé de la gestion des demandes d’asile politique. Dans le théâtre d’un bureau exigu, des demandeurs d’asile, dont la plupart sont en vérité de simples migrants économiques, endossent maladroitement le rôle de militants politiques dont personne n’est dupe, débitent des récits de sévices appris par coeur... L’interprète, pressée d’enjoliver, de parfaire les fictions de ses compatriotes , voit peu à peu l’idée même de vérité se dissoudre, et avec elle l’empathie, remplacée par une défiance systématique à l’égard de la parole des candidats à l’exil. Ayant choisi d’immigrer par goût pour la langue et la culture française, la narratrice en vient à haïr ces frères miséreux, ignares, menteurs, souvent misogynes, prêts à tout pour obtenir le droit de rester dans l’Hexagone. Mise à nu accablante des rouages du système de demande d’asile, des mensonges auxquels contraint le désir d’une vie meilleure, ce roman sombre et brillamment écrit a tout de même coûté à Shumona Sinha son poste d’interprète auprès de l’Ofpra.
Retour aux sources, Calcutta, sorti en 2014, sonne comme un requiem aux échos autobiographiques. Une jeune femme, Trisha, retourne en Inde pour assister aux funérailles de son père, ancien marxiste. À travers l’histoire familiale, l’auteur évoque les bouleversements survenus dans l’Inde des années 1970. Par de subtils aller-retour, Shumona Sinha nous montre également la modernité déroutante de son pays natal. Une œuvre intimiste aux senteurs de curcuma et de cannelle.
En 2017, elle signe Apatride, un roman coup de poing sur la condition féminine dans les sociétés indienne et française, deux mondes pas si éloignés si on en croit l’auteure.
Bibliographie :
- Apatride, (L’Olivier, 2017)
- Calcutta (L’Olivier, 2014)
- Assommons les pauvres ! (L’Olivier, 2011)
- Fenêtre sur l’abîme (La Différence, 2008)