Membre du Prix Ouest-France et ami du festival Étonnants Voyageurs depuis longtemps, Jean Rouaud obtient le Goncourt en 1990 pour son roman Les Champs d’honneur. Il a alors 38 ans.
Après avoir été technicien de comptage automobile aux carrefours embouteillés, monteur et démonteur de décors de théâtre, arpenteur de plages et vendeur de glaces (l’été) et de beignets (l’hiver), courbé sur la plonge (été comme hiver), il se lance définitivement en littérature. Pratiquer mille-et-un métiers c’est n’avoir à en choisir aucun, c’est s’accorder le droit à la paresse et il y a déjà dans cet inventaire à la Prévert un peu de « la vie poétique ».
Le Goncourt et la notoriété le surprennent alors qu’il tient le kiosque à journaux de la rue de Flandre, dans le 19e arrondissement de Paris. Il écrit ensuite les quatre romans qui, avec Les Champs d’honneur, forment un cycle romanesque fondé sur l’histoire de sa famille et certains aspects de sa propre vie : Des hommes illustres, Le Monde à peu près, Pour vos cadeaux, Sur la scène comme au ciel.
Dans ses trois derniers romans, Comment gagner sa vie honnêtement, qui emprunte son titre à Thoreau, Une façon de chanter et Un peu la guerre, Jean Rouaud revient sur sa jeunesse dans les années 1970 et raconte avec humour et mélancolie comment l’époque l’a fait. Entre refus du travail et vie de bohème à Paris, le premier tome de cette trilogie nommée La Vie Poétique, retrace les débuts d’une existence guidée par la poésie. Le deuxième tome, paru en 2012, place la musique en son cœur, du folk protestataire de Bob Dylan au rock garage des Kinks.
Dans Un peu la guerre (2014), Jean Rouaud revient sur sa vocation d’écrivain, survenu au moment même où l’on annonçait la mort du roman. Récit d’une persévérance, il retrace le parcours du romancier jusqu’à la publication de Les Champs d’honneur, dans un contexte intellectuel où la figure de l’auteur était fustigée.
Il publie aussi quelques essais comme Les Corps infinis ou Souvenirs de mon oncle, une revisite du film de Jacques Tati, ainsi que de nombreux romans parmi lesquels La Désincarnation, L’Imitation du bonheur, La Fiancée juive, ou La Femme promise. Dans son livre L’invention de l’auteur paru en 2004, il raconte comment la mort de son père en 1963 a été à l’origine de sa vocation d’écrivain.
En 2007, il signe avec Michel Le Bris le manifeste Pour une littérature-Monde, qui efface la distinction entre littérature française et francophone et sort l’imaginaire du confinement dans lequel certains l’enferment. La littérature-monde vise donc, de façon ultime, à libérer la langue « de son pacte exclusif avec la nation » pour ne donner à l’imaginaire d’autres « frontières que celles de l’esprit. »
En 2015, il poursuit sa réflexion sur l’écriture du roman, en publiant deux nouveaux livres, Être un écrivain et Misère du roman, considérations sur ce que l’auteur appelle la « déposition du roman » ou sur la possibilité et la volonté d’écrire en tenant compte des convulsions du monde.
Tout paradis n’est pas perdu, ultime essai de l’écrivain évoquant le traitement de la laïcité depuis 1905 (loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat) jusqu’à nos jours, autour de la question des interprétations et représentations religieuses, terreau de notre société de l’image.
« Quand le ton a monté sur la question du voile et du menu de substitution, il m’a suffi de me retourner pour revoir dans mon enfance ce geste des femmes se couvrant la tête d’un fichu avant de sortir. Nous étions en Loire-Inférieure et la loi de 1905 était suffisamment accommodante pour accorder un jour férié aux fêtes religieuses et servir du poisson le vendredi dans les cantines, et pas seulement celles des écoles libres. Loi de séparation des Églises et de l’État, mais en réalité de l’Eglise catholique et de l’État, les autres faisant de la figuration, et l’Islam n’existant pas puisque les musulmans d’Algérie n’avaient pas le statut de citoyen.
De même, il a fallu la tragédie de Charlie pour nous rappeler qu’on avait longtemps débattu avant d’autoriser la représentation des figures sacrées. Ce qui n’allait pas de soi tant le monothéisme se méfiait de l’idolâtrie en souvenir du veau d’or. Les conciliaires réunis à Nicée tranchèrent en faveur de la représentation. C’était en 843. Notre monde envahi d’images vient de là. Ce qui n’en fait pas un modèle universel. »
En 2017, il publie Stances, un recueil composé de six textes et six chansons, regroupés sous six rubriques telles qu’on les trouve à l’intérieur d’un quotidien : art, communications, sciences, culture, politique, littérature. La splendeur escamotée de frère Cheval ou le secret des grottes ornées, paru en 2018, produit une reflexion vertigineuse sur son thème de prédilection, l’Histoire, en interrogeant le sens des fresques préhistoriques des grottes de Chauvet, Lascaux, ou Font-de-Gaume.
En 2019, l’auteur revient avec Kiosque, roman autobiographique d’une douceur et d’une tolérance incroyables, qui revient sur son expérience de vendeur de journaux rue de Flandres à Paris, de 1983 à 1990. Par un récit bien huilé, l’écrivain nous baigne dans le quotidien d’un Paris qui n’est plus, peuplé d’une galerie de personnages tous plus éclopés et attachants les uns que les autres. Il nous offre avec une douceur infinie le monde pour ce qu’il est, avec l’approche profondément humaine d’un portraitiste de génie.
L’année suivante, il signe un essai politique musclé prônant la pensée libre contre une société dépossédée de son savoir-faire au profit des multinationales, et dépendante d’une agriculture qui glorifie l’élevage intensif au détriment des sols et des plantes. Sa plume jubilatoire et terriblement humaniste dénonce un mode de pensée globalisé - autant qu’elle encourage, avec humour, les initiatives individuelles.
© Omrita Nandi / Etonnants Voyageurs / Haïti 2016
Bibliographie :
- L’avenir des simples (Grasset, 2020)
- Kiosque (Grasset, 2019)
- Osons la Fraternité, collectif (Philippe Rey, 2018)
- La splendeur escamotée de frère Cheval ou le secret des grottes ornées (Grasset, 2018)
- Stances (Éditions des Bousclats, 2017)
- Tout paradis n’est pas perdu (Grasset, 2016)
- Être un écrivain (Grasset, 2015)
- Misère du roman (Grasset, 2015)
- Éclats de 14 (Dialogues, 2014)
- Un peu la guerre (Grasset, 2014)
- Manifestation de notre désintérêt (Flammarion, 2013)
- Une façon de chanter (Gallimard 2012)
- Comment gagner sa vie honnêtement (Gallimard, 2011)
- Je est un autre, collectif (Gallimard, 2010)
- La femme promise (Gallimard, 2009)
- Souvenirs de mon oncle (Naïve, 2009)
- La fiancée juive (Gallimard, 2008)
- Pour vos cadeaux (Editions de Minuit, 2008)
- Moby Dick (bande dessinée, Casterman, 2007) dessins de Denis Deprez
- Ernest Pignon-Ernest (Bartschi Salomon, 2007 – avec André Velter et Marie -José Mondzain)
- Préhistoires (Gallimard, 2007)
- La fuite en Chine (Les Impressions nouvelles, 2006)
- L’imitation du bonheur (Gallimard, 2006)
- L’invention de l’auteur (Gallimard, 2004)
- Pierre Marie Brisson : les jeux séculaires (Somogy, 2003)
- La désincarnation (Gallimard, 2001)
- Les corps infinis (Acte Sud, 2001)
- La Belle au lézard dans un cadre doré (Albin Michel jeunesse, 2001)
- Régional et drôle (Editions Joca seria, 2002)
- Cadou, Loire intérieure (Editions Joca seria, 1999, articles de presse)
- Carnac ou le Prince des lignes (Editions du Seuil, 1999, articles de presse)
- Sur la scène comme au ciel (Minuit, 1999)
- Le Paleo Circus (Editions Flohic, 1998, articles de presse)
- Pour vos cadeaux (Minuit, 1998)
- Promenade à la Vilette (Minuit, 1997, articles de presse)
- Les très riches heures (Minuit, 1997, articles de presse)
- Le Monde à peu près (Minuit, 1996)
- Des Hommes illustres (Minuit, 1993)
- Les Champs d’honneur (Minuit, 1990 - prix Goncourt 1990)