DAĞTEKIN Şeyhmus

Kurde de Turquie

De la bête et de la nuit (Le Castor Astral, 2021)

© E. Tatlipinar

Poète et romancier, il a grandi à Harun, village kurde au sud-est de la Turquie, et vit aujourd’hui en France. Auteur prolifique, publié dans de nombreuses revues, il écrit en turc, en kurde et en français. Célébré pour ses recueils de poèmes, il a notamment reçu le Prix international de poésie francophone Yvan-Goll en 2000, le Prix de l’Académie française Théophile Gautier en 2008, tandis que son premier roman paru en 2004 a reçu la mention spéciale du Prix des cinq continents de la francophonie. En 2021, il a publié son dixième recueil aux éditions Le Castor astral, dans lequel le poète tisse des liens entre les langues qui sont les siennes, mais aussi entre l’homme, l’animal et le végétal ; une transversalité qui lui est chère, vue comme essentielle à nos vies.

Şeyhmus Dağtekin, poète et romancier est né et élevé à Harun, village kurde au sud-est de la Turquie. Il a grandi dans une bourgade de montagne au mode de vie quasi autarcique, sans voiture, ni télévision, ni radio.
Les hommes de son village vivaient, pour beaucoup, de contrebande. Au village, l’écrit n’existe pas, sauf sur les emballages d’aliments ou sur les paquets de cigarettes arrivés en contrebande des pays arabes voisins. Le kurde, unique langue des villageois, est interdit par l’État turc.
Pendant la petite enfance de l’auteur, seuls deux hommes, dont son père, parlent le turc et lisent l’alphabet latin. Dans les années 1970, L’État turc construit une école et nomme un instituteur, l’auteur appartiendra à la première génération scolarisée du village.
Puis ce fût l’université à Ankara et les études de journalisme et d’audiovisuel.
En 1974, l’un des frères de l’auteur part travailler en France comme ouvrier dans l’industrie lorraine. En 1987, Şeyhmus Dağtekin le rejoint pour compléter ses études universitaires. Il « naît alors au français ». Après Nancy suivent des études de cinéma à Paris.
Quatre ans à peine après son arrivée en France, il commence à écrire en français et choisit la poésie et son exigence d’appropriation de la langue. Puis, en 2004, Şeyhmus Dağtekin publie chez Robert Laffont son premier roman, À la source, la nuit, dans lequel il nous offre un voyage poétique aux sources des émotions de son enfance. Un texte qu’il définit comme le roman d’un monde d’avant le livre.
Mais Şeyhmus Dağtekin est avant tout poète, ses textes ont été publiés en revues et dans les anthologies Poèmes à dire la francophonie (Le Castor astral, 2002) et Une salve d’avenir (Gallimard, 2004). Il a publié plusieurs recueils au Castor Astral. Il participe régulièrement à des lectures et rencontres en France et à l’étranger. Ses lectures publiques, spectaculaires, lui valent une réputation croissante. Aujourd’hui, l’écrivain est ancré dans la vie littéraire française.
Il n’est plus retourné en Turquie depuis 1992, où il reste en délicatesse avec les autorités. Şeyhmus Dağtekin aime à rappeler qu’il n’a pas de drapeau qu’il soit turque, kurde ou français.


« Si on ne veut pas rester seuls, il faut s’ouvrir à l’autre. Et si la vieille Europe ne veut pas rester seule à sa table, il faut aussi cette générosité. (…) La France a eu la générosité de m’accueillir, je le lui ai rendu en adoptant sa langue. » (France Ô)


Bibliographie

Poésie

  • De la bête et de la nuit (Le Castor astral, 2021)
  • Sortir de l’abîme, manifeste (Le Castor astral, 2018)
  • À l’ouest des ombres (Le Castor astral, 2016)
  • Élégies pour ma mère (Le Castor astral, 2013)
  • Ma maison de guerre (Le Castor astral, 2011)
  • Juste un pont sans feu (Le Castor astral, 2007)
  • La Langue mordue (Le Castor astral, 2005)
  • Couleurs démêlées du ciel (Le Castor astral, 2003)
  • Le Verbe temps (Le Castor astral, 2001)
  • Les Chemins du nocturne (Le Castor astral, 2000, Prix international de poésie francophone Yvan Goll)
  • Artères-solaires (L’Harmattan, 1997)

Roman

  • À la source, la nuit (Le Castor astral, 2018, mention spéciale du Prix des Cinq continents de la Francophonie)
De la bête et de la nuit

De la bête et de la nuit

Le Castor Astral - 2021

Pour Şeyhmus Dağtekin, écrire, c’est tenter d’être juste envers soi-même et envers l’autre qu’il soit humain, animal, végétal, minéral. De la bête et de la nuit est issu de cette attention, de ce regard qui voudrait serrer, cerner l’autre au plus près de son être et de sa nuit.

De la bête et de la nuit marque à nouveau le lien profond que Şeyhmus Dağtekin entretient entre sa langue maternelle, le kurde, et sa langue d’adoption, le français. L’auteur renoue ainsi avec le Kurdistan à travers la langue française et les sonorités du kurde. Il impose une musique unique qui défie le temps et l’espace pour défier les agresseurs et les commandeurs éternels. Ces poèmes marquent une étape capitale dans sa quête d’identité qui dépasse les frontières.

À la source, la nuit

À la source, la nuit

Le Castor Astral - 2018

Un petit Kurde raconte son enfance dans un village perdu au milieu des montagnes. Village qui semble s’étrécir à mesure que le narrateur grandit et que sa conscience mûrit, tandis que les mystères et les dangers qui l’entourent (loups, djinns et autres dragons) sont transfigurés en une fantasmagorie éminemment poétique.
Şeyhmus Dağtekin signe un roman où tout le système du monde de son enfance, de ce village perdu dans les montagnes, est reconstitué grâce à une langue qui permet, au-delà de la symbolique fabuleuse et des mythologies relayées par les anciens, d’atteindre à l’universel.
Ici les niveaux de symboles s’interpénètrent et se conjuguent pour chanter la construction d’une identité, les transactions entre la tradition (orale) et la modernité (l’écrit). Un texte inoubliable.


À l'ouest des ombres

À l’ouest des ombres

Le Castor Astral - 2016

Ce recueil se présente comme un appel face à la haine. Nous sommes les enfants de Caïn : de ceux qui ont tué et survécu. Comment éveiller la part d’Abel qui reste en nous ? Comment ne jamais oublier que tout vainqueur est un vaincu potentiel ? Comment se mettre en garde contre les Ombres, qui ont vite fait de nous envahir ? Ici, le poète dénonce le temps perdu par l’individu et le collectif à chercher les paradis perdus : l’entre-soi idéal. Pour lui, il y a surtout un avenir commun, à construire ensemble, la poésie apportant sa pierre à l’édifice.


Élégies pour ma mère

Élégies pour ma mère

Le Castor Astral - 2013

Poète visionnaire, Şeyhmus Dağtekin impressionne les auditeurs dans ses lectures publiques. Il imagine se faire un monde, une maison avec des mots qui ne seraient même pas les siens. Il croit au verbe, à la force instituante de la parole. Il est en quête permanente du lien fondateur entre le mot et les êtres. Élégies pour ma mère marque le lien profond qu’il entretient entre sa langue maternelle, le kurde, et sa langue d’adoption, le français. Il renoue ainsi avec le Kurdistan à travers la langue française et les sonorités du kurde. Il impose une musique unique qui défie le temps et l’espace pour défier les agresseurs et les commandeurs éternels. Ces élégies bouleversantes aux différentes figures de la mère marquent une étape capitale dans sa quête d’identité qui dépasse les frontières.

« Ce recueil est un hommage à la langue de ma mère, une tentative de revisiter les formes élégiaques de mes montagnes du Kurdistan à travers le français, dans un va-et-vient constant entre souvenirs et sonorités du kurde, ma langue d’origine, et formes et empreintes du français, ma langue d’écriture aujourd’hui. Dans ces montagnes, on sait, et maintenant depuis des millénaires, qu’il faut endurer et s’endurcir dans la parole en attendant que l’autre, l’agresseur, se fatigue, ne pouvant malheureusement pas compter sur une conscience retrouvée de l’assaillant, de ceux qui éternellement veulent rester dans la vaine gloire de commander.
En attendant alors l’épuisement des “commandeurs”, Élégies pour ma mère se propose de dire la vanité de tout “commandement” et de donner à entendre quelques couleurs qui peuvent trouver écho au-delà des querelles du présent. »


La Langue mordue

La Langue mordue

Le Castor Astral - 2006

« Je me dis que le monde, que l’être, sont comme un chaudron, et que l’art, l’écriture, en sont la louche. Plus la louche est longue et grande, plus on peut brasser les fonds et les limites du chaudron, plus on parvient à remuer les fonds et les limites de l’être. C’est le pari que je fais, le sens que je cherche à donner à travers la poésie et l’écriture : essayer d’allonger, d’agrandir le plus possible ma louche, mes moyens de remuer l’être, de pousser le plus en avant sa connaissance et de donner à entendre le chant. Pour moi, chaque recueil est l’expérience de ces limites, de mes limites dans ce qui m’entoure. »

Poétique du vivant

Grands débats
Avec : Seyhmus DAGTEKIN, Alexis GLOAGUEN, Romain BERTRAND - Saint-Malo 2021

Animé par : Marie-Madeleine RIGOPOULOS

Réapprendre à écouter la dimension poétique du réel. Redécouvrir cette dimension, pour percevoir ce qui nous relie au vivant. C’est cette dimension qu’explore Romain Bertrand dans le Détail du Monde, à travers une évocation des pionniers du naturalisme, sortir de la démonstration scientifique pour se laisser porter par une rêverie et se laisser émerveiller par la beauté et la diversité des êtres et de la nature. Pour Şeyhmus Dağtekin, écrire, c’est tenter d’être juste envers soi-même et envers l’autre qu’il soit humain, animal, végétal, minéral. De la bête et de la nuit est issu de cette attention, de ce regard qui voudrait serrer, cerner l’autre au plus près de son être et de sa nuit. Dans ses Écrits de Nature, Alexis Gloaguen se met en « état de nature » allant presque jusqu’à se dissoudre pour ne faire plus qu’un avec le sujet qu’il observe.

Le pouvoir des langues

Saint-Malo 2023

Rencontre avec la réalisatrice Nurith Aviv et deux écrivains, le poète d’origine kurde Seyhmus Dagtekin qui écrit en français, en turc et en kurde, et Katerina Poladjan, animée par Christelle Capo-Chichi. Interprète : Arnaud Prêtre.

Suivi de la projection de Des mots qui restent de Nurith Aviv : six personnes évoquent le souvenir des langues qui ont bercé leur enfance, des parlers judéo-espagnols, judéo-arabes ou judéo-persans, qui ont en commun d’être des langues écrites en lettres hébraïques. Des lettres qui, au fil du temps, ont perdu leur usage et leur force et sont en train de s’éteindre. Mais la résonance des mots, les mélodies, les rythmes, les accents, ont laissé des traces qui continuent à œuvrer chez celles et ceux qui, enfants, les ont entendus.