HUGUES Alain

France

Directeur de la Compagnie des Pêches, membre de l’Académie de Marine

Après un court passage place Sainte-Anne à Rennes, je suis arrivé à Saint-Servan à l’âge de 3 mois.
Pendant très longtemps, la mer, c’est ce que je voyais depuis la plage et j’étais bon nageur.

Déclic en 1971 : job d’été comme guide au musée des Cap horniers dans la tour Solidor. C’était l’année de son ouverture (du musée, pas de la tour ) et j’ai rencontré les survivants de l’épopée.
Devenu gardien de l’albatros et d’un petit fond d’ouvrages maritimes encore dans des caisses où se cotoyaient Louis Lacroix et Moitessier, j’assistais en plus, du haut de mon donjon, à l’appareillage des vieux gréements pour le Branle Bas de régates.
Quelques mois plus tard, j’achetais mon premier voilier, le "Je crois en Dieu", un cotre aurique de 6m50, à l’inventaire frugal : un compas dans le cockpit et un crucifix dans l’étrave. Ce maquerautier qui n’avait jamais passé le cap Fréhel a élargi notre horizon, fait découvrir la Manche jusqu’aux Scillys et suggéré qu’il y avait sans doute, sur la mer, une autre vie à mener.

Bateau, maison escargot, "Le grand départ et la vie sur l’eau", un peu de charter pour la caisse de bord, la société post-industrielle et la civilisation des loisirs permettraient peut être de conjuguer mode de vie et ressources nécéssaires, mais pour cela il fallait un outil plus adapté : un an et demi à la petite pêche autorisèrent ce saut qualitatif et me donnèrent l’illusion, entre Roches Douvres et Minquiers, d’approcher le peuple des "Travailleurs de la mer".

De cotre en cotre, de convoyage en école de croisière, de transmed en transat, s’ensuivirent quelques dizaines de milliers de milles et quelques centaines d’équipiers, l’été à Rhodes, l’hiver à St Barth, sans avoir blessé personne ni subi aucune avarie.
Autodidacte intégral, mes maîtres sont dans leurs livres : Moitessier m’a conseillé quelques attitudes dans "La longue route", j’ai appris l’art de "naviguer en haute mer" dans le Stern-Veyrin en essayant d’être "au bon endroit, au bon moment". J’ai pu ainsi lire ou relire Kazantzakis en Crète, Chamoiseau aux Antilles ou Björn Larsson près de Lagavullin.

Séduit par les jolis catamarans légers de Peter Spronk, je me suis lancé dans la construction d’un 64 pieds en bois-époxy. Paradoxalement, pas tant pour naviguer que pour me poser, retrouver le rythme des saisons et fabriquer quelque chose de plus tangible qu’un sillage qui se referme.
J’ai donc passé des heures à traduire le "West System boat building" des frères Gougeon et l’ensemble de cette expérience concluante m’a amené à créer le chantier naval "Estuaire Marine" sur les bords de Rance. Une vingtaine de voiliers en bois-composite y ont été construits sur plan Lerouge, Auzépy-Brenneur ou Marc lombard, mais surtout c’est le seul chantier agréé par l’association des "amis des moteurs pop pop" pour la manutention, les réparations et le carénage.

On a pu me voir dans tous les ports, tout simplement parce que j’étais sous traitant des fabricants de ponton rayon montage, exercant cet art de la clef à cliquet jusque dans les sables d’Arabie, du Koweit, ou du Qatar où je ne souhaite à personne de faire escale.

Aujourd’hui, c’est une sorte de pré-retraite, mais vous comprendrez qu’un plan de carrière aussi ambitieux me contraigne à mettre encore en oeuvre tous ces petits savoir-faire.

Cette présentation succinte et déjà trop longue, forcément égocentrique, fausse le portrait et masque l’essentiel : la rencontre avec les autres.
Je n’ai pas fait grand chose seul : chacun de mes bateaux fut en copropriété, mon entreprise menée avec des associés, chacune de mes étapes fut partagée, j’adore naviguer en équipage.

Merci, à travers le jury du prix littéraire des "Gens de mer", de m’en donner l’occasion .