- © Frédéric Stucin
Chez Dimitri Bortnikov, il est toujours question de vie et de mort. L’auteur russe de langue française se dit « ouvreur de tombes » : il se confronte à ce qui échappe au langage et fait parler les muets, les fous, les morts.
On sait peu de choses de Dimitri Bortnikov. Dans la vie comme dans ses romans, il aime conserver une part de mystère, de mystique même. Il naît en URSS sur les bords de la Volga, à Samara en 1968. Son enfance est marquée par son arrière grand-mère, puissante figure maternelle qui l’accompagne telle une ombre dans son existence comme dans ses romans, elle plane, toujours présente. « Je n’ai jamais voulu être écrivain » confie-t-il volontiers. Son rêve ? Devenir médecin, mais en vain. Il commence à écrire après son arrivée à Paris en 2000 (où il réside toujours). D’abord en russe, sa langue maternelle. Son premier roman, Le syndrome de Fritz reçoit le Booker Prize l’année de sa publication, en 2002, ainsi que le Prix du best-seller national. Son deuxième roman, Svinobourg (Le Seuil, 2005), a été salué par la critique.
Il passe définitivement au français en signant Furioso en 2008, puis le roman Repas de morts en 2011. Changer de langue dans l’écriture, c’est comme mourir dans sa langue maternelle et renaître dans sa langue d’adoption, raconte-t-il. La langue justement, est révoltée, provocante, pleine de néologismes, de ponctuations étranges et de métaphores loufoques. Emprunter une langue lui offre une liberté de mouvement, une licence poétique qui n’a pas de fin.
En 2017, Dimitri Bortnikov revient avec un roman-fleuve, Face au Styx, dans lequel on suit Dimitri, un exilé russe qui s’installe à Paris et traîne dans les rues de la capitale, y rencontre des âmes perdues comme lui et tombe amoureux. Dans le même temps, il se souvient de son passé en Russie et de toutes les vies qu’il y a laissées : un père, une grand-mère aveugle, des frères d’arme. Dans une langue qu’il tors, fléchit et malmène, le narrateur partage son histoire, ses passions et son incroyable solitude. C’est la vie toute entière que capture Face au Styx, telle qu’elle est vécue mais ne peut jamais être dite. Elle échappe aux mots. Derrière l’horreur, le souffle et l’errance, l’écrivain nous inocule sa passion contagieuse pour l’existence. Dimitri le personnage – comme Dimitri l’auteur- se tient debout sur les rives du Styx et fait des aller-retours entre le passé et le présent, entre Paris et la Russie. Un roman fou, coloré et plein d’humour.
Bibliographie
- Le Syndrome de Fritz Booker Prize russe en 2002 (Noir sur Blanc, traduction Julie Bouvard, 2010, rééd Libretto, 2012.)
- Svinobourg, traduction Bernard Kreise (Le Seuil, 2005).
- Furioso (éditions Musica Falsa, 2008)
- Repas de morts (éditions Allia, 2011)
- Face au Styx (Rivages, 2017)