LINS Paulo

Brésil

La Cité de Dieu (Gallimard, 2003)

Paulo Lins
© J Sassier / Gallimard

Formidable électrochoc au Brésil au moment de sa sortie en 1997, le premier roman de Paulo Lins, parfois qualifié de « roman ethnographique » tant il est documenté, offre une formidable plongée dans l’enfer d’une favela de Rio, gangrénée par les trafics de drogues et la guerre des gangs. En effet, une œuvre sur l’exclusion sociale, écrite selon le point de vue interne d’un ex-habitant de la favela, noir et fils d’un peintre en bâtiment, avait en effet de quoi déchaîner les controverses, à la fois de la critique littéraire et de la sphère politique tout entière ! Fruit d’un important travail de recherche, l’ouvrage met en lumière l’isolement de cette population pauvre et livrée à elle-même, l’explosion de la délinquance, la corruption de la police et… le silence du gouvernement. Mais si P. Lins se fait le photographe très précis d’un monde à part, il en est aussi son poète et compose une tragédie urbaine d’une exceptionnelle puissance.
Précurseur, ce roman de « la banlieue » ou des marges avant la lettre — qui parle pour toutes les mégapoles mondiales à l’heure où la population des villes a surpassée celle des campagnes, connut un second rebondissement médiatique avec son adaptation cinématographique en 2002 par le publicitaire converti en réalisateur, Fernando Meirelles. La Cité de Dieu, fort de ses trois millions d’entrées au Brésil lors de son lancement, a été finaliste à l’Oscar du meilleur film étranger, sans toutefois remporter le prix, malgré une stratégie de marketing bien huilée. Présenté au Festival de Cannes en mai 2002, il fut aussi nommé aux Golden Globes et le livre, parfois coupé de quelques chapitres, bientôt traduit en plusieurs langues. Paulo Lins, qui n’a pas participé à l’écriture du scénario du film, a par contre écrit ceux de plusieurs épisodes de l’excellente série adaptée du livre, intitulée La Cité des hommes, diffusée entre 2002 et 2005 sur le réseau Globo TV.

La « Cité de Dieu » ne se situe pas au-delà de la voûte céleste mais au Brésil, quelque part dans l’inconscient de Rio de Janeiro ; loin du Christ rédempteur, des plages de Copacabana et du Carnaval. À travers les destinées éphémères, intenses, violentes de Dam, de Zé Rikiki, du Canard, de P’tite Mangue, de Beau-José et de bien d’autres adolescents, Lins raconte l’évolution, sur trois décennies, de la création de cette ville dans la ville au début des années 1960 à la fin des année 1980 : sous des pseudo qui prêtent parfois à sourire se cachent de vrais durs qui n’hésiteront pas une seule seconde à appuyer sur la gâchette si le besoin s’en faisait ressentir. Ne croyez surtout pas que les flics vous aideront si cela tourne au vinaigre pour vous, à moins que vous n’y mettiez le prix bien sûr. Et surtout, surtout, n’ayez pas la faiblesse de croire que les enfants sont dénués de violence : ici, le respect se gagne au nombre de cadavres qui jalonnent son parcours alors, même à dix ans, on est capable de tirer sur son pote d’hier pour montrer sa bravoure et son allégeance au caïd du moment !

Le roman en question est le résultat d’une enquête ethnographique : Paulo Lins, littéraire de formation, a en effet été pendant presque dix ans l’assistant de l’anthropologue Alba Zaluar, qui menait dans les années 80 une enquête sur « le crime et la criminalité dans les classes populaires à Rio de Janeiro ». Le livre, écrit à partir de notes et d’interviews menées par P. Lins ainsi que par d’autres collaborateurs durant cette enquête (à qui il attribue la coécriture du roman), retrace l’histoire de cette cité, construite dans les années 1960, dans la zone ouest de Rio pour abriter les survivants d’autres favelas et quartiers populaires, victimes d’inondations. Cette histoire, divisée en trois parties (correspondant aux années 1960, 1970 et 1980), raconte ainsi le passage, au fil du temps, de la favela à la « néofavela », à savoir la transformation d’un espace où le bucolisme avait encore une place, jusqu’à devenir une cité gouvernée par la guerre du narcotrafic. La construction narrative mêle le matériel de l’enquête et la construction fictionnelle, poétique, pour former en réalité une œuvre composite, fracturée où l’auteur restitue toute la violence du quartier, avec un réalisme cru, jusqu’au phrasé mâché des gangs.

Quinze ans après La Cité de Dieu, Paulo Lins revient en 2012 avec un nouveau roman intitulé Desde que o samba é samba (« Depuis que la samba est samba ») qui paraîtra aux éditions Asphalte en septembre 2014. Grand passionné de musique, il y raconte l’émergence de la samba à travers un triangle amoureux. À suivre…


Bibliographie :

  • La Cité de Dieu (Gallimard, 2003)

La bande-annonce de La Cité de Dieu :


Critique Télérama du film

La Cité de Dieu

La Cité de Dieu

Gallimard - 2003

Paulo Lins a passé son enfance dans une favela de Rio de Janeiro. Pour écrire La Cité de Dieu, il a mené pendant plusieurs années des recherches sur le crime organisé dans les bidonvilles brésiliens.

« Les nouveaux occupants apportèrent les ordures, les boîtes de conserve, les chiens bâtards, les Échous et les Pombagiras sur des colliers sacrés, les jours de rixes, les vieux comptes à régler, les lambeaux de rage de coups de feu, les nuits pour veiller les cadavres, les marques des crues, les troquets, les marchés du jeudi et du dimanche, les vers rouges dans le ventre des enfants, les revolvers, les représentations d’Orichas entortillées autour du cou, les poulets pour les offrandes, les sambas chantées et syncopées, les jeux clandestins, la faim, la trahison, les morts, les christs sur des chaînettes fatiguées, les forrós chauds pour danser, les lampes à huile pour éclairer le saint, les petits fourneaux à charbon, la pauvreté pour vouloir s’enrichir, les yeux pour ne jamais voir, ne jamais dire, jamais, les yeux et le cran pour faire face à la vie, déjouer la mort, rafraîchir la rage, ensanglanter des destins, faire la guerre et être tatoué. »

Traduit du portugais (Brésil) par Henri Raillard

Musiques du Brésil

Saint-Malo 2014

Planète football ? Planète musique, aussi : prodigieusement vivante, rythmée, colorée, fruit de multiples métissages, la musique accompagne chaque instant de la vie. Plus qu’une musique : une conception du monde, une manière de vivre, par le rythme. Ne dit-on pas de l’art du dribble qu’il s’inspire de la samba ? De la musique, donc, comme l’âme du Brésil : une rencontre immanquable à 15h30 avec Jean-Paul Delfino (Saudade) et Paulo Lins, auteur d’un livre sur la samba, à paraître en France...
Avec : Jean-Paul Delfino, Paulo Lins
Animé par : Patrice Blanc-Francard


Dans le cratère furieux des villes prodigieuses

Saint-Malo 2014

Avec Mohamed Al-Fakharany, Paulo Lins, Murong Xuecun et Cédric Fabre.
Animé par Willy Persello.


Retour sur l’aventure de la Cité de Dieu

Saint-Malo 2014

Avec : Paulo Lins