Rêveurs à gages

Session de clôture des Étonnants Voyageurs de Saint Malo 2012
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© Francesco Gattoni

Nous en rêvions depuis Port-au-Prince. L’idée était de rassembler dans une session de clôture cette bande de romanciers, poètes, slameurs et musiciens qui s’était naturellement assemblée dans l’euphorie des quelques jours passés en Haïti, en février dernier. C’était sans compter le pouvoir fédérateur de Saint-Malo : rencontrés la veille, le musicien Jacques Schwartz-Bart et son complice Erol Josué se sont enrôlés d’instinct dans l’aventure.

Menés par James Noël notre maître de cérémonie, et emportés par les accords improvisés de Nicolas Repac, ils nous livrèrent, dans le chapiteau de L’Escale, des extraits de leurs œuvres, de celles de leurs amis. Pris par la musique et les mots, nous ne savions plus trop si nous étions encore à Saint-Malo, ou déjà envolés vers quelqu’île rêvée.

Un beau cadeau que nous livre James Noël, et ses rêveurs à gages, Emmelie Prophète, Arthur H, Dany Laferrière, Nicolas Repac, Julien Delmaire, Rouda, Makenzy Orcel, Yahia Belaskri, Jacques Schwarz-Bart, Erol Josué et Paul Wamo, pour clore le festival en beauté ! Encore merci à eux tous.


Voici le texte de James Noël, que chacun avait reçu, quelques jours avant le festival :

"Rêveurs à gages"

Il ne s’agit pas d’une rencontre entre des simples syndiqués du sommeil pour définir, dans une perspective économique, des royalties pour nos rêves divers. Ce qui pourrait d’ailleurs faire l’objet d’un beau compte à dormir debout.

James Noël © Clara Giboin / Étonnants Voyageurs

La démarche de ces rêveurs se traduit ici par leurs engagements à réveiller, à secouer, avec le pouvoir des mots, la conscience d’un monde en passe d’être décapité de tous ses rêves. À travers des mots gueulés, chuchotés, des mots clamés, proclamés, des mots slamés, psalmodiés, dix rêveurs puissants répondront présents pour entrer en vibration avec le public de l’escale le 28 mai à l’occasion de la clôture du festival. Sous la houlette du poète James Noël, un rêveur confirmé, s’engageront les voix d’Arthur H, Dany Laferrièfre, Nicolas Repac, Julien Delmaire...

James Noël

Puis James d’écrire, une semaine après le festival :

Comment allez-vous depuis ce festival chauffé à blanc sous le soleil rieur de Saint-Malo ?
Je reviens vers vous, d’abord pour vous remercier de la propagation de mondes
éblouissants, dont vous avez fait montre, au-delà des tics tac des minutes et de la tactique
conditionnée en nous pour le train à prendre, le train du livre rebaptisé train du vivre

je reviens vers vous, pour vous demander d’écrire en un seul geste, une phrase, ou un paragraphe,
pour garder trace de cette clôture feu d’artifices dans le ciel du chapiteau. Si cela vous dit, vous pouvez exploser le cadre
en parlant d’un fait divers dans le cadre du festival. L’idée me prend ce matin, après avoir lu le texte du dieu Wamo.
J’ai recu aussi une belle photo de Francesco, rassemblant l’essaim qui a bourdonné de ma manière féconde...
James Noël


Julien Delmaire nous livre ces quelques vers, incandescents comme toujours :

Wanted

Julien Delmaire © Francesco Gattoni

Le rapport est accablant
Douze rêveurs à gage ont fait mains basses sur le silence
Ont fait les poches à la pudeur
Douze voix pour un hold-up sans faille
Douze voix ont dévalé les sierras verticales
Les bayous sonores, les marigots d’ombres vives
Le shérif est à bout de nerf
Il n’a rien vu venir
Il ne peut que constater


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Répondant à l’appel de James Noël, le romancier algérien Yahia Belaskri, nous a lu La Fenêtre Bleue accompagné à la guitare par Nicolas Repac.

Une fenêtre. Bleue, elle est bleue. Ses volets sont bleus. Elle surplombe la falaise qui s’échoue dans la mer. Bleue aussi. La fenêtre est aussi bleue que la mer. Et la mer se jette à ses pieds. Aux pieds de la falaise. Une falaise abrupte. Il n’y a personne à la fenêtre. Les volets bleus sont fermés.

Yahia Belaskri © Clara Giboin / Étonnants Voyageurs

Pourtant de la fenêtre, on pourrait voir l’immensité de la mer, une mer blanche au milieu, bleue sur ses rives. Une mer à l’intérieur. A l’intérieur de la terre bien sûr. Une mer de terre envahie par les eaux ; des eaux chaudes, douces qui caressent les deux rives. Des rives proches, très proches. D’un côté, les numéros pairs, de l’autre les numéros impairs. Comme une avenue. Oui, une avenue, une seule. Le bleu de la mer serait la chaussée commune : pour y circuler, se voir, se rencontrer, s’y arrêter.

Là, au milieu des flots, il y aurait des arbres - un peu - des fleurs - quelques-unes. Des voix se mêleraient, d’autres voies se croiseraient. Là, au milieu du gué, on se reconnaîtrait, se hélerait, s’apostropherait. Oui, une grande et belle avenue, blanche bien sûr, et bleue aussi. Couleurs de mer chauffée par le soleil. De part et d’autre, des guirlandes et des calicots. De partout, des chants et des rires.
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Yahia Belaskri


Quelques jours après le festival, Dany Laferrière revient sur cette édition d’Étonnants Voyageurs, sur ses émotions et sur le spectacle de l’Escale.

Dany Laferrière © Clara Giboin / Étonnants Voyageurs

Cela fait un moment que je viens à ce festival qui finit par coïncider avec mon parcours intellectuel en France, et j’ai toujours le coeur serré vers la fin.

Dernière heure triste malgré tout le déploiement de couleurs des idées,
de saveurs des gens croisés ici et là, et même cette forte odeur de l’esprit en activité.

Cette fois, grâce à ce spectacle à l’Escale, j’ai eu l’impression de mourir de bonheur,
et comme on le sait les morts ne souffrent pas de nostalgie.

Dany Laferrière


Bouleversé par ses rencontres pendant le festival, et incapable de se défaire de l’euphorie malouine, le très spontané Paul Wamo nous livrait plusieurs poèmes.

Ma nuit ne me suffit plus
ma nuit ne me suffit plus

Aux vagues malouines qui me firent pleurer de claires vérités
A tout mes frères et mes sœurs d’encre de souffle et de corps
A toute ma tribu de fous cymbales et tambours

je vous ai retrouvé... ENFIN

je vous ai retrouvé là où je devais être
je vous ai retrouvé comme un souffle qui renaissait au monde sur le sable

Paul Wamo © Clara Giboin / Étonnants Voyageurs

Bande de Fous !
Vous m’avez touché comme une grâce revenue de l’amnésie
Vous m’avez rassasié

Mes frères et mes sœurs, vous mes ainés, mes bâtisseurs

Je vous ai reconnu et vous m’avez retrouvé
Depuis l’oubli de mes nuits loin de vous
Je vous ai retrouvé
armés de rires et de songes enflammés

Étonnants voyageurs !
C’est ainsi que vous vous êtes présentés et que vous m’avez accueillis
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Paul Wamo


Rencontre inattendue : le saxophoniste Jacques Schwarz-Bart et son acolyte, le chanteur et prêtre vaudou Erol Josué, se mêlent tout naturellement, en musique et en chanson, aux mots des nos rêveurs à gages. Quelques mots envoyés par Jacques :

La rencontre avec James Noël m’a tout de suite fait oublier pourquoi j’étais venu à étonnants voyageurs. Je nourrissais déjà une réelle admiration pour son travail, et après s’être parlé sur la terrasse du Chateaubriand le soir de mon arrivée, je savais que j’avais rencontré un frère d’âme.

Jacques Schwarz-Bart © Clara Giboin / Étonnants Voyageurs

Ce que je ne savais pas, c’est que cette fraternité engloberait tous les participants de sa Jam Session poétique. On était assis au bord des planches de la scène à se soutenir les uns les autres, à partager nos univers les uns avec les autres, à voyager de volcans Kanaks, à la Tibonite, de l’échine nue d’une parisienne aux sens exacerbés, aux ébats sonores d’une prostituée dominicaine qui a perdu toute sensation, du souffle lumineux de Legba, aux résonances lunaires d’une mélopée Ganoua : c’était vraiment un magnifique bordel, comme on ne peut en faire qu’avec des frères d’âme !

En tant que musicien, je suis souvent seul, face à la musique, à mon instrument, aux files de gens dans les aéroports, ou même au public. Mais chaque fois que je repense à cette expérience à Étonnants Voyageurs, ce sentiment de solitude disparaît immédiatement !

Un grand merci à tous !

Jacques Schwarz-Bart

© Francesco Gattoni