Je suis un ange

George invite machinalement le vieillard à entrer, et c’est précisément au moment où il referme la porte derrière lui qu’il remarque qu’aucune trace de pas n’imprime la neige.

George trouve ça bizarre mais ne se pose pas tellement de questions, il propose à l’homme un café pour qu’il se réchauffe, l’homme accepte, il a froid.

Après avoir préparé le café, George et l’homme s’installent devant le feu qui crépite dans la cheminée.

  • Vous avez dit me connaître, je vous avoue que je suis plutôt mal à l’aise de ne pas vous reconnaitre, qui êtes-vous ?
  • Ma question était assez bête, bien sûr que tu ne me reconnais pas, ce que je vais te dire va te paraitre étrange mais promets-moi de garder ton calme.
  • Vous commencez à me faire peur, qui êtes-vous ?
  • Ton grand père…

George lui coupe la parole.

  • Impossible, mon grand-père ne vous ressemble absolument pas !
  • Tu ne m’as pas laissé finir, je disais donc je suis ton grand-père, décédé lorsque tu avais 3 ans.
  • N’essayez pas de m’embrouiller je sais très bien que c’est impossible.
  • Je t’avais bien dit que ça te paraitrait étrange, mais bon, ce n’est pas important, tu n’es pas obligé de me croire. Si je suis ici, c’est pour t’aider à finir ton roman.
  • Un homme que je ne connais pas frappe à ma porte, prétend qu’il est mon grand-père mort lorsque j’avais 3 ans, et souhaite m’aider à finir mon roman… Comment voulez-vous que je vous croie ? C’est plus qu’étrange, c’est impossible, et comment pourrais-je vous voir si c’était vrai ?
  • Oui, en effet, je comprends, mais il m’est difficile d’être plus clair. Es-tu certain de vouloir savoir comment tu peux me voir ?
  • Oui, après tout, je n’en suis plus à ça près.
  • Hum, tu es entre la vie et la mort.
  • Comment ça ?
  • Tu vas bientôt mourir, c’est pour ça que je n’ai plus beaucoup de temps pour t’aider à finir ton roman.
  • D’accord, et la seule chose qui vous importe est que j’arrive à terminer mon roman ? Vous feriez mieux de partir.
  • Je suis là pour te guider dans l’écriture de la fin de ton livre pour qu’avant de mourir, tu puisses laisser une part de toi sur Terre. J’avais moi-même une œuvre en cours mais je ne pensais pas mourir si vite, tout est arrivé d’un coup, je n’ai donc pas eu la chance de la terminer. J’aurais vraiment aimé que les gens me gardent dans leur mémoire, qu’ils parlent de moi. J’ai donc envie que toi, tu aies cette chance, tu comprends ? Que risques-tu, laisse-moi essayer, après tout, je ne suis qu’un vieillard sans défense.

George regarde par la fenêtre, cherche des traces de pas, en vain.

  • C’est d’accord, après tout, je manquais de compagnie et votre histoire me plait, il me semble que ça fait une éternité que je peine à finir ce roman…
  • Je sais ce que tu dois faire, inspire-toi de ta vie, un jeune homme qui vit isolé du monde, seul. Un jour, un vieil homme qu’il croit ne pas connaître toque à sa porte. C’est son grand-père qu’il n’avait pas vu depuis des années, il ne le reconnait pas, il est là pour le guider afin de finir une œuvre en peu de temps, je suis sûr que tu peux déjà t’imaginer une suite.

George se prit au jeu au point qu’il se mit à écrire comme il ne l’avait plus fait depuis longtemps. Il ne voulait pas croire à l’histoire du vieillard mais il ne savait pas comment expliquer cette neige sans traces de pas et son inspiration soudainement retrouvée.

Quelques jours plus tard, George avait presque terminé son roman. Le vieil homme n’avait qu’à hocher la tête aux questionnements de George pour qu’il retrouve l’inspiration, c’était magique.

  • Vraiment merci, je ne vous remercierai jamais assez.
  • Ça me fait plaisir, et comme je te l’ai déjà dit, tu peux me tutoyer.
  • Oui, désolé, il faut que je m’habitue au fait que vous, enfin je veux dire, tu sois mon grand-père.
  • Tu vas t’y habituer, ça me fait plaisir de pouvoir découvrir l’adulte que tu es devenu.
  • Moi aussi, mais j’ai une question, ou plutôt, plusieurs questions. On n’a pas vraiment parlé du fait que je vais bientôt mourir, peux-tu m’en dire plus ? Je reconnais que ça me fait peur.
  • Il ne faut pas avoir peur. Que veux-tu savoir ?
  • Est-ce que tu sais comment je vais mourir et surtout quand ? Vais-je souffrir ?
  • Tu ne vas pas souffrir et tu mourras sans t’en rendre compte.
  • C’est plutôt flippant comme situation. Savoir qu’on va mourir et ne pas savoir comment… Je pensais avoir encore tant de choses à vivre.
  • Ne te pose pas trop de questions, tu verras, tout se passera très bien, en douceur.
  • Difficile de ne pas s’interroger…

Il ne fallut que quelques jours de plus à George pour terminer son roman.

  • On a terminé ! Merci de m’avoir aidé, je suis tellement content !
  • Moi aussi, je suis très heureux pour toi mon petit !
  • J’imagine que ma mort ne va plus tarder.
  • Tu as raison George, mais comme ma présence te le prouve, c’est un passage dans une autre vie qui t’attend et je serai là pour toi.
  • C’est étrange, je vais mourir, et je suis heureux. J’ai fini mon œuvre et je suis apaisé de savoir qu’il existe un autre monde après la mort. Plus rien ne me fait peur. Sans toi, jamais je n’aurais pu terminer, ce roman, je te le dois.
  • George, veux-tu que je nous serve un scotch pour fêter ça ?
  • Oui, avec plaisir, nous le méritons !
  • Il est bon ce whisky grand-père, il a le goût de la victoire !

Le bonheur se lisait dans les yeux des deux hommes, puis, George, s’assoupit lentement dans son fauteuil, un sourire aux lèvres.

Le vieil homme semblait presque attristé quand il prononça ces mots :

  • Je suis navré mon petit, mais je n’avais pas le choix. Je t’ai menti, il fallait bien que je le fasse puisqu’il fallait que tu écrives. Je t’ai choisi le plus doux des poisons, tu es libéré maintenant, plus jamais tu ne souffriras des pages blanches qui causent tant de tourments. Ma nuit de sommeil sur ton toit était rude, j’ai eu froid tu sais, en attendant que le blizzard efface mes traces de pas et puis, j’en ai passé des jours à lire les interviews dans lesquelles tu évoquais ta vie. Mais j’ai réussi. Je t’ai fait rêver non ? Qui sait de quelle façon tu aurais pu mourir un jour si je n’avais pas été là. Je suis fier de moi, vous mourez tous en paix, fiers de votre accomplissement. Je peux prétendre que je suis un ange, un ange qui vous apporte une belle mort. Et comme tu l’as dit, ce roman, tu me le dois. Vous dîtes tous ça, et c’est vrai, sans moi, qu’auriez-vous fait ? C’est donc légitimement que je signe vos œuvres de mon nom.