Le renouveau

Il se met à courir. Dans ces moments-là, où il ne se sent pas en sécurité, Junid a pour habitude de se rendre dans son village, à quelques minutes de chez lui. Il arrive au hameau après ce qui lui parut être une éternité. Ici, c’est la même désolation. Pas un bruit, pas le moindre souffle de vent, rire d’enfant, cri d’animaux. Rien. Junid ne comprend pas. Où est passé le vent, la mer, les habitants ? Alors que le jeune homme allait s’abandonner aux larmes et au désespoir, il sent une présence. Intrigué, il relève la tête. Le regard rivé devant lui, il plisse les yeux et distingue une silhouette debout en plein milieu de l’allée centrale. Il fronce les sourcils et ferme les yeux. Il veut être sûr de ne pas avoir rêvé. Lorsqu’il les rouvre de nouveau, il eut un brusque mouvement de recul. Un vieil homme se tient devant lui, son visage a quelques centimètres du sien. Le souffle court, l’adolescent dévisage l’homme qui lui fait face. La peau de son visage est marquée par le temps, comme en attestent ses longs cheveux blancs. Il a le regard las et vide dans lequel on pouvait déceler une once de vivacité, certainement ternie avec les années. C’était l’Ancien du village. Après quelques secondes à le scruter, l’Ancien articule lentement
« _Alors c’est toi qui as été choisi… »
Junid ouvre grand les yeux et ouvre à son tour la bouche dans l’espoir d’émettre le moindre son mais après être passé par toutes les grimaces inimaginables le jeune homme stoppe sa vaine tentative, se rendant à l’évidence. Il est incapable de produire un seul bruit. Le vieil homme, qui ne l’avait pas lâché du regard dit, le visage placide,
« _Cesses de faire le singe. Tu ne parviendras à rien. Je sais ce que je dis. »
Sur ces mots il lui tourne le dos et commence à marcher en direction de la plus grande hutte du village. Junid s’empresse de le suivre, plus intrigué que jamais. Il est perdu, ne comprend plus rien. Tout en marchant l’Ancien explique d’une voix éraillée
« _ Tu as été choisi pour me succéder. L’ile a besoin d’un nouveau protecteur. Elle se tarie et n’a plus de forces. Il est de notre devoir de raviver son cœur. »
L’adolescent grimace, dans l’incompréhension totale. Après mure réflexion, il se dit que l’Ancien mérite bien sa réputation : complétement fou à lier. Arrivés devant l’imposante hutte, ils entrent et le vieil homme commence à expliquer de sa voix fatiguée
« _ L’ile a en son centre un cœur. Il faut à tout prix l’alimenter, le nourrir, pour pouvoir continuer à vivre. Mais où est ce que j’ai mis ma canne… » marmonne t’il en tournant sur lui-même « Le rituel a lieu chaque millénaire. Dorénavant, c’est à mon tour. A notre tour. » se reprit -il
Un rituel ? Pour alimenter un cœur ? Tous les milles ans ? Mais que cela voulait-il dire à la fin ? Junid passe devant l’Ancien et tente d’articuler la moindre interrogation mais le vieillard l’écarte de son passage avec sa canne et nonchalance. Il ressort de la cabane et l’adolescent le suit, gardant ses questions pour lui. Le vieil homme commence à marcher vers la forêt d’une démarche sûre et lâche simplement à l’attention du Junid
« _ Ne trainons pas ; la route est longue »
Le jeune homme reste planté quelques instants sur place, complétement abasourdit. Une route ? Pour aller où ? Et pour quoi faire ? L’Ancien se retourne un court instant et, devant la mine déconfite de l’adolescent, laisse échapper un petit rire moqueur. Il s’arrête et souffla
« _ J’étais exactement pareil à ton âge. J’étais totalement perdu mais on m’a tout expliqué et j’ai fini par comprendre. Maintenant à ton tour. Viens. »
Junid, un peu plus confiant, rattrape le vieillard et se place à son niveau. Et c’est ainsi, côte à côte, qu’ils entreprirent de gravir la montagne qui leur faisait face. Ils traversèrent la dense foret qui bordait la côte pendant de longues heures et ce ne fut qu’au coucher du soleil qui firent halte dans un petit abri de fortune. Là, l’Ancien fit asseoir le jeune homme à côté de lui et entreprit de lui conter son histoire.
« _ J’avais environ ton âge quand la dernière disparition a eu lieu. J’étais peureux à un point tu ne peux même pas imaginer… » Junid esquisse un sourire et le vieillard reprend « J’ai été recueilli, comme toi, par l’Ancien. C’est là qu’il m’a expliqué. » Il prend une grande inspiration et se lance, le regard rivé au loin sur l’étendue de sable qui s’offrait à eux « Il y a, au centre de l’île, une pierre qui fait office de cœur. Ce cœur est autonome pour une durée de milles ans tout au plus. Ce délai passé, il faut l’alimenter car il n’a plus la puissance ni la force de faire vivre l’île. C’est le cœur qui fait tout vivre, c’est l’essence même de cette île ! Et lorsqu’il n’a plus d’énergie, tout disparait. Constate par toi-même…plus d’eau, plus de vent, plus d’animaux ; plus rien. Il est de notre devoir de réanimer l’île. » il se tait et rajoute dans un murmure « Quel qu’en soit le prix. » puis reprend sur un ton normal « C’est la pierre qui procure la vitalité nécessaire à l’Elu pour accueillir son prochain. Dans notre cas, c’est toi qui as été choisi. Tu devras veiller sur l’île comme je l’ai fait jusqu’à présent, et trouver le prochain Elu pour qu’il t’accompagne dans ta quête. Je te préviens mon garçon, ce ne sera pas chose aisée. Mais ainsi va la vie et il est de notre devoir, à tous les deux, de la préserver. » il marque une pause puis déclare « Reposes toi. Demain est un jour important qui marquera le Renouveau. »
Sur ces mots il se lève et se couche sur le flan, signifiant que la discussion, si l’on puit dire, était close et qu’il était temps de se reposer.
Le lendemain matin, dès l’aube, ils reprirent la longue route sinueuse qui menait au sommet de l’île. L’Ancien ne parla pas beaucoup si ce n’était pour donner quelques indications sur leur itinéraire, mais rien de plus. Quelques heures plus tard, ils arrivèrent sur un plateau vide de toute végétation comme si celle-ci avait été repoussée dans un cercle parfaitement tracé. Il y avait en son centre un cratère d’un diamètre de moins de trois mètres. Junid, interloqué, regarde l’Ancien avec une grimace d’incompréhension collée sur le visage. Le vieil homme le regarde, à son tour, mais ne dit rien, un sourire las sur les lèvres. Il s’approche lentement du bord de la falaise qui borde le plateau et reste face à l’horizon de longues minutes, privé du vent frais qui le ravivait autre fois. C’est déterminé que le vieil homme s’en retourne vers Junid, légèrement penché au-dessus du cratère. En le voyant ainsi, l’Ancien s’avance vers l’adolescent et dit d’un ton calme
« _ Prends gare mon garçon. Il ne faudrait pas que les rôles s’inversent. »
Junid se recule et mime une interrogation avec ses mains, ne comprenant pas où l’Ancien voulait en venir. Ce dernier, interprétant facilement le questionnement du jeune homme, soupire et s’approche lui aussi du cratère. Il met sa main dans le dos de l’adolescent et dit
« _ Regarde. Penche-toi, doucement. »

Junid s’exécute et finit par apercevoir, au fond du cratère, une faible lueur vert émeraude. Mais ce n’était pas une simple lumière. En y portant plus attention, l’adolescent put y déceler une sorte de variation dans l’éclat de la pierre. La lumière variait, allant de faible à forte, sur un rythme régulier. C’était une pulsion ; un battement, comme aurait fait un cœur. C’était bien là le cœur de l’île, l’essence même de toute vie. Junid se relève et regarde l’Ancien, les yeux emplis d’émerveillement.
« _C’est ici le point de départ de toute vie, qu’est généré chaque parcelle d’énergie, chaque souffle de vent, chaque goutte d’eau. Mais cette force se tarie et il est de notre devoir de l’aider. Comme je te l’ai expliqué auparavant, un Elu est désigné chaque millénaire. Il y a mille ans il s’agissait de moi. J’ai reçu la force vitale de la pierre pour pouvoir vivre jusqu’à maintenant, mais un nouvel Elu est arrivé. Toi. C’est donc à ton tour de ne faire qu’un avec la pierre. Quant à moi, mon heure est arrivée. Je vais rendre son énergie au cœur et elle te sera par la suite transmise. Une fois cela fait, tu prendras ma place au sein du village en tant qu’Ancien et tu veilleras sur l’île comme je l’ai fait et comme les anciens Elus l’ont fait avant nous. »
Sur ces mots il se met dos au cratère, les bras en croix, et ferme les yeux pendant quelques instants. Lorsqu’il les rouvre, il regarde Junid avec un sourire encourageant et souffla
« _ Force à toi mon garçon et longue vie au nouvel Elu. »
Puis, sans esquisser le moindre mouvement pour résister à l’attraction terrestre, l’Ancien se laisse tombé en arrière, les bras en croix, accueillant la mort avec un sentiment de délivrance. Junid écarquille les yeux. Il veut crier mais aucun son ne sort de sa bouche. Il tend la main pour tenter de rattraper le vieil homme mais ses doigts ne rencontrent que le vide. Le visage peint d’effroi il ne peut que regarder avec horreur le corps du vieillard aller s’écraser au fond du cratère, à une cinquantaine de mètres de lui, formant des angles tout sauf naturels. Allongé au bord du trou béant, il laisse mon bras pendre, la main tendue. La seule personne qu’il lui restait venait de se sacrifier devant ses yeux. Mais, alors qu’il croyait que tout était perdu, il perçoit une seconde lueur verte apparaitre à côté du cœur à l’agonie. C’est l’Ancien. De son corps irradiait une faible lumière qui devint de plus en plus forte, prenant l’avantage sur la pierre. Alors que des rayons de lumière verte irradiaient du défunt, la pierre centrale se mit à briller de plus de plus fortement. Mais, alors que l’adolescent pensait que les deux entités brillaient a force égale, il fut vite décontenancé. Plus le cœur gagnait en luminosité, plus la lueur du corps de l’Ancien se ternissait, jusqu’à s’éteindre un bonne fois pour toute.
La pierre au centre du cratère se mit alors à briller d’une telle force que Junid dut plisser les yeux pour ne pas être aveuglé. Soudain, le cœur en contrebas s’éteint. Il n’y a plus la moindre once de lumière. Puis en une fraction de seconde un puissant rayon lumineux jaillit du cratère, créant une onde de choc sur tout le plateau. Junid est violement projeté loin du cratère, comme happé par une main invisible. Il se heurte brutalement à un arbre derrière lui mais ne fait pas attention à la douleur, accaparé par une toute autre chose. La rai de lumière est à présent sortit du cratère. Il touche le ciel et disparait derrière les épais nuages. Là, un fulgurant coup de tonnerre retentit et tous les nuages furent chassés en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Un vent apparait et fouette tout ce qui l’entoure avec hargne. Au début, Junid essaie de se protéger le visage mais il baisse rapidement les bras, se rendant compte de ce qui était en train de se passer. Du vent. Le vent était de retour. Le jeune homme ne sut pas ce qui le prit mais il se lève, un sourire sur les lèvres, et s’approcha de la falaise. Il fut aussitôt subjugué par le spectacle qui s’offrait à lui. A l’horizon un trait bleu fit son apparition, se rapprochant dangereusement des cotes de l’île. Au début intrigué, Junid n’a à présent plus de doute. C’est la mer qui fait son retour. Quelques instants plus tard l’étendue d’eau a déjà repris sa place initiale, bordant les grandes plages de sable fin. Le jeune homme, ébahi, baissa la tête pour reprendre ses esprits mais esquisse aussitôt un mouvement de recul.
Un trait vert est au sol, sous terre, entourant ses pieds, tel un serpent qui cherche à l’atteindre par tous les moyens possibles. La lumière se met à briller de plus en fortement, inondant le sol d’une lueur verte. Junid n’ose pas bouger. Le cercle de lumière sous ses pieds ne fait que grandir, tout comme sa peur et son appréhension. Puis, soudain, le halo vert disparait et l’adolescent fut foudroyé par une force invisible, passant par la plante de ses pieds et se dispersant dans tout son corps, allant jusqu’au bout de ses doigts. Après quelques instants à ressentir une vitalité intense, la lumière disparut complétement, se retirant dans le cratère en des dizaines de petits filaments lumineux. Le calme était de retour. Pas le calme dystopique auquel il avait été confronté la veille, mais un de ces calme paisible et naturel auquel il avait toujours été habitué depuis sa plus tendre enfance. Plongé dans ses pensées, Junid en fut tiré par des éclats de voix en contrebas. Son cœur se mit à battre à la chamade et le sang battre à ses tempes. Haletant, le jeune homme s’élance hors du plateau où se trouve le cratère et dévale le long chemin sinueux qui mène au village. Il court aussi vite que ses jambes et sa maladresse le lui permettent, sautant au-dessus de racines, esquivant des touffes de végétation, s’agrippant aux troncs d’arbres pour prendre un virage plus sèchement. Après un moment qui lui parut interminable, Junid se rapproche des bruits de voix de lui parvenaient tout au long de sa descente tumultueuse. Il arrive enfin au village. La vision qu’il a le fige sur place. Il ne peut pas y croire. Pas avec tout ce qui s’est passé. C’est impossible. Et pourtant c’est bien réel.
Junid se tient devant l’entrée de son village. Des enfants jouent en se courant après, des femmes transportent des grosses bassines de linge et des hommes vendent du poisson ou du matériel de pêche. Le jeune homme reste sans voix. La vie a repris son court comme si de rien n’était, comme s’il ne s’était rien passé. Le jeune homme n’en croit pas ses yeux. Alors c’était donc ça, le Renouveau ?