Le combat

Il se mit à courir. Il ne dit même pas au revoir à ses parents. Tout en courant, il essaya de voir et d’identifier les traces de pas des animaux qui désertaient l’île. Il ne pensa qu’à une chose : quelle était la cause de ce massacre. À force de courir, Junid se fatigua et au bout d’une heure d’effort, il s’écroula et s’endormit.
À son réveil, il voulut repartir mais impossible de faire le moindre mouvement tant la douleur à son ventre était forte. Il comprit aussitôt qu’il avait faim et ramassa les quelques fruits qui étaient au sol. Rassasié, il put repartir. Il continua de suivre les traces des animaux. Soudain, il s’arrêta net. Il resta immobile pendant plusieurs longues minutes. Il contempla, impuissant, ce qui causait l’assèchement de l’océan.
A moins de quatre kilomètres de leur village se mettait en place un immense chantier. Il y avait des grandes grues, des camions et toutes sortes d’autres machines. Il se rapprocha discrètement d’un gigantesque panneau où il y avait marqué : « Bientôt, ici, votre résidence de rêve ‘’. Junid, intrigué, se rapprocha encore et comprit pourquoi l’océan s’était volatilisé.
Cette immense étendue d’eau n’était pas un océan, mais un immense lac. Les hommes étaient en train d’assécher le lac en creusant un énorme trou sur les extrémités du lac. Puisque le lac était en hauteur, l’eau s’écoulait et le lac se vidait. Junid remarqua aussi que les hommes du chantier étaient en train d’abattre la forêt. Sûrement pour construire par-dessus. Pas étonnant que les animaux désertent, se disait-il.
Il fallait agir -et vite- car le lac se vidait. Junid avait encore une lueur d’espoir car le lac n’était pas encore vide. Il pensait que vu la grandeur du lac, il faudrait au moins trois mois pour qu’il se vide en entier. D’ici-là, il fallait trouver une solution et vite. Mais, il était impuissant face à ce gigantesque chantier. Soudain il eut une idée. Il faudrait pouvoir reboucher la brèche et s’introduire dans le chantier pour le retarder en sabotant les machines. Mais voilà le problème : Junid était tout seul et donc impuissant face à ce chantier. Il commençait à désespérer. Mais il ne pouvait renoncer, car cette île, ce beau paysage, sa musique qui le berçait depuis son enfance, cette île était sa seule maison, son refuge. Epuisé de sa journée, il s’endormit.
À son réveil, le lendemain, il eut une idée : s’il arrivait à convaincre son village, ils seraient assez nombreux pour saboter le chantier. Il repartit donc vers son village. Tous en courant il songea que si lui et son village arrivaient à retarder le chantier, il pourrait partir avec ses parents pour prévenir une association de protection de la nature et faire cesser le chantier illégal. Junid est sûr qu’il est illégal car l’île est tellement coupée du monde qu’il n’y a pas de contrôle de police.
Quand il arriva enfin au village, ce n’est pas ses parents qui l’accueillirent mais tout le village entier. Ses parents furent soulagés de voir leur fils enfin retrouvé.

  • Mais où étais-tu pendant tout ce temps ? j’étais si inquiète de ne pas te voir : ton père et moi t’avons cherché toute la nuit. Je croyais t’avoir perdu.
  • Je sais, je sais, mais ils construisent un énorme chantier, c’est pour ça que le lac s’est asséché.
  • Mais de quel lac parles-tu ?
  • Cette grande étendue d’eau, ce n’est pas un océan, c’est un lac.
  • Tu en es sûr ?
  • Oui, je l’ai vu de mes propres yeux, et ils sont en train de le vider !
  • Mais alors qu’est-ce qu’on peut faire ?
  • Il faut reboucher la brèche du lac pour que l’eau arrête de s’écouler, ensuite il faut retarder le chantier au maximum, comme ça on pourra partir et dénoncer ce chantier. Si on n’arrive pas à faire cesser ce chantier c’est toute l’économie du village qui s’écroulera, on ne pourra plus chasser, ni pêcher.
    Tout n’était peut-être pas perdu et Junid voyait bien dans les yeux des villageois qu’eux aussi étaient déterminés à faire cesser ce chantier. Maintenant il fallait élaborer une stratégie. L’idée était de s’infiltrer la nuit dans le chantier pour ne pas se faire repérer, et de pouvoir le saboter. Mais le problème était qu’il y avait des caméras de surveillance et de grandes grilles tout autour du chantier. Vu la surveillance du site, l’opération était délicate. Junid n’avait pas le droit à l’erreur car tout le village reposait sur lui.
    Le village se mit en route vers le chantier. Arrivé là-bas, il découvrit le chantier. À la tombée de la nuit, le plan commence : le village se divise et se répartit discrètement autour des grilles du chantier. Ensuite quatre personnes font diversion à l’entrée du chantier, pendant ce temps l’autre partie du village commence à désamorcer les caméras de surveillance de l’autre entrée. Comme prévu un agent remarque les quatre hommes devant l’entrée. Il sort pour aller voir ce qu’il se passe et il se fait assommer par les hommes qui lui ôtent son uniforme. Au bout d’une heure de travail, toutes les caméras étaient désamorcées. Maintenant il fallait prendre les pinces et commencer à couper les grilles pour pouvoir entrer. Une fois que tout le village fut entré, Junid ordonna de couper les câbles du générateur électrique du chantier et de voler les bidons d’essence pour que le chantier soit privé d’électricité et en pénurie d’essence. Une fois que le chantier est privé d’électricité et de carburant, le village construit avec des tôles et des bouts de ferraille un barrage provisoire pour ralentir l’eau et qu’elle arrête de s’écouler. Une fois le plan accompli, tout le village sortit et établit un campement loin du chantier.
    Le lendemain Junid observa avec joie que le chantier était à l’arrêt. Une petite fête s’improvisa pour fête cette première victoire. Mais la bataille était loin d’être terminée et il restait encore beaucoup à faire. Sous les applaudissements du village, Junid et ses parents prirent le large en direction de Mia Coco, la plus grande île du coin et aussi la plus développée et moderne. Le père de Junid connaissait bien cette île, car il y avait travaillé pendant plus de trente ans avant de venir ici.
    Maintenant le village était de nouveau sous la direction de son chef, il avait pour mission de continuer à retarder le chantier. Le village resta plusieurs jours dans son camp pour préparer le prochain sabotage. Cette fois il fallait frapper fort, et le chef avait une idée. Au lieu de priver le chantier d’électricité pendant quatre jours, cette fois il allait être définitivement privé d’électricité. Pour cela il fallait faire exploser le générateur en provoquant un court-circuit. L’objectif était que le chantier cesse au plus vite. Et si le chantier était assez retardé, les délais ne seraient pas tenus et il serait contraint de perdre de l’argent et peut-être d’abandonner le chantier.
    Quant à Junid et ses parents, ils avançaient bien car les conditions étaient favorables en mer. Comme si la nature avait compris le combat que menait Junid et voulait l’aider.
    Du côté du chantier, le chef expliqua ce qu’il allait faire au village. Il allait se déguiser en employé pour pouvoir entrer dans le chantier, et ensuite accéder au générateur électrique. Lors de la dernière intrusion, la sécurité avait été renforcée et il avait été impossible de s’en approcher. Mais pour pouvoir se déguiser et entrer incognito, il fallait l’uniforme et la carte d’accès du chantier. Heureusement lors de la dernière expédition, il avait assommé un garde et lui avait retiré son uniforme et volé sa carte.
    Dès que le plan fût expliqué, le chef se déguisa et se mit en route vers le chantier. Il se joignit discrètement aux autres employés qui attendaient l’ouverture des grilles à neuf heures. Une fois qu’il fut entré, il se dirigea comme prévu vers le générateur électrique et commença à le court-circuiter. Quand il eut fini, une alarme retentit et le chef courut pour sortir de la zone et éviter les nombreuses patrouilles qui se dirigeaient vers le générateur. L’opération dura deux heures. Maintenant, il fallait sortir sans se faire repérer. Par chance c’était la pause du midi, et beaucoup d’employés sortaient du chantier pour aller au seul restaurant du site qui se situait à l’extérieur du chantier. Le chef put donc se joindre aux employés et sortir en toute discrétion.
    L’opération fut un succès et une fois revenu au camp, le chef fut acclamé pour son courage. En même temps Junid et ses parents arrivèrent sur la plage à côté du camp, suivis d’un bateau avec des représentants de l’association, des journalistes et des policiers. Junid expliqua la situation à la police et le chantier fut arrêté. Le promoteur eut l’obligation de financer les travaux pour démolir les constructions et reboucher la brèche du lac. Ensuite tous les employés furent réquisitionnés pour planter des arbres et de la verdure que le chantier avait fait disparaitre. Le chef du chantier et le promoteur durent payer une amande de 20 000 euros chacun pour travaux illégaux. L’affaire fit la une de plusieurs journaux dans le monde. Une fois la presse et la police partis, Junid et ses compagnons purent regagner leur village qu’ils n’avaient pas vu pendant un mois. Junid fut acclamé comme un héros et il fut nommé chef du village. Junid fêta aussi ses dix-sept ans avec toute sa famille.
    Ce chantier était enfin fini, et le point positif est que l’affaire avait fait connaître l’île. La population du village doubla, de plus le tourisme se développa. Un mois plus tard, Junid devint guide touristique et il fit visiter l’ile aux touristes, en rappelant bien qu’il est interdit de sortir des chemins balisés. Car il veut protéger cette nature fragile.