Le voyage

Il se met à courir, animé par la peur. Le soleil à beau brûler son visage et le sable chaud, ses pieds nus, il est hors de question de s’arrêter. Derrière lui, la hutte de pêcheur a disparu et les arbres tombent un à un, manquant de l’écraser lors de leurs chutes. Au loin, le jeune garçon aperçoit un hameau et des silhouettes lui faisant des signes. Junid croit même reconnaître ses parents qui l’attendent. Mais ce n’est qu’une illusion, plus il court, plus le minuscule village recule.

Lorsqu’un puits apparaît subitement devant lui, ses yeux retrouvent leur éclat. Il redouble d’effort pour avancer mais au lieu d’accélérer, ses jambes ne font que ralentir, jusqu’à ce qu’il tombe sur ses genoux, sans pouvoir faire le moindre déplacement. Démuni, il essaye plusieurs fois de hurler mais sa bouche ne fait que s’ouvrir, aucun son n’en sort.
Les battements de son cœur augmentent pendant que sa cage thoracique se soulève brusquement et que ses yeux se remplissent de larmes. Ses mains agrippent ses cheveux de toutes ses forces, les dents serrés et la respiration bruyante, Junid se retrouve impuissant, par terre, sans pouvoir contrôler la moindre chose ni se défouler. Une profonde panique l’envahit quand il observe ce qui l’entoure, une plateforme déserte et infinie.
Son corps secoué de soubresauts ne peut empêcher ses bras de faire des mouvement brutaux. Il commence alors à creuser lentement, essayant de se calmer. Ce dernier tente de dessiner mais il abandonne vite, ne pouvant pas aller plus loin que la longueur de ses bras. Les poignées de sable volent dans les airs, il enchaîne plus rapidement mais plus il enlève de sable, plus celui-ci se multiplie, lui refaisant immédiatement penser à ses longues journées de travail. Elles ont toujours fonctionnées de la même manière, les corvées augmentent continuellement au cours de son programme. Junid se retrouve maintenant devant une dune de grains jaunes.
Rempli de colère, il détruit la montagne de sable près de lui. Ses poings s’échouent dans le sable pendant que son quotidien refait surface. Il donnerait tout pour voir ses poules ou apercevoir un cocotier. Malgré son quotidien fatiguant, la routine est rassurante et il se surprend à vouloir plus que tout faire ses tâches de la journée.

Suite à ses pensées, le soleil disparaît subitement, plongeant Junid dans le silence absolu. Il espère s’endormir mais ce monde n’est pas de cette avis. Sous lui, le sol commence à trembler et un bruit déchirant le fait sursauter. Lorsqu’il tourne la tête, le sol s’effondre à une vitesse surprenante. Junid ferme les yeux, recroquevillé sur lui même et arrête de respirer en se répétant que tout ira bien. Le vide s’empare de lui jusqu’à ce qu’il atterrisse sur du sable. Une deuxième surface infinie, aussi sombre que la précédente.

Sa respiration se calme petit à petit. Toujours immobile, la colère remonte en même temps qu’un infime espoir de revanche.

Le soleil se lève, dévoilant un puits et une forêt de cocotiers dépourvus de ses fruits. Junid se demande alors si le puits est vide. Dans ce cas là, le mince espoir qu’il possède disparaîtrait.

Ses poings s’abattent une énième fois sur le sol mais des trous se créent dans la terre. En se penchant, ce dernier ne voit que du vide. Pensant que cet endroit lui joue encore un tour, Junid continue mais il s’aperçoit rapidement que c’est à cause de lui. Il se rappelle également de la multiplication du sable et il comprend que tout ce qui s’est passé jusqu’à maintenant dépendait de ces émotions. Son désespoir juste avant le coucher de soleil, le tremblement de terre après sa colère puis le lever du soleil suite à son mince espoir. Des milliards de questions assaillent alors son esprit.

Soudain sa voix s’élève. Je ne tomberai pas dans le piège !

Ses yeux s’illuminent d’un éclat qu’on ne lui a jamais vu et un sourire irradie son visage. Il ne peut s’empêcher de dire n’importe quoi pour vérifier que ce n’est pas un rêve.
Junid essaye par la suite de se lever, malheureusement ses jambes ne fonctionnent toujours pas et l’amertume reprend le dessus.
Un coup de tonnerre retentit et des nuages noirs passent au dessus de lui. S’ensuit un torrent de pluie s’abattant sur le sol et des éclairs envahissant l’immense plateforme, provoquant par la même occasion plusieurs cavités sur le sol. Prenant peur, Junid se met à crier en se bouchant les oreilles et lorsqu’il demande que tout s’arrête, les éclairs et la pluie cessent.

A présent tout son a disparu, le jeune garçon redécouvre son timbre de voix en passant par toutes les formes de langage possibles. Il comprend alors le bonheur des choses simples, ce que sa mère lui répète depuis tout petit. Il aimerait tellement lui dire qu’il l’assimile maintenant.

Lorsque qu’il fait le vœu de retrouver l’usage de ses jambes. Des picotements parcourent le bas de son corps comme par magie, jusqu’à ce qu’il sente ses membres inférieurs. Debout, il ne peut s’empêcher de sourire bêtement et de courir sur le sable.
Junid pense aux personnes handicapées, et il ne peut s’empêcher de continuer pour eux. Hurlant de joie, sautant dans tous les sens, il tente d’éviter les trous de plus en plus nombreux pour rejoindre le puits. Mais ce qu’il découvre le frappe de plein fouet. Son sourire disparaît et l’inquiétude refait surface, il ne voit qu’une cavité sans fin, dénuée d’eau. Et il a beau demander qu’elle revienne, rien ne se passe. Le silence demeure, pourtant Junid ne veut plus de cette vie faite de remords. Accroché au bord de celui-ci, un cri déchirant sort du plus profond de son cœur.

Immédiatement une tempête se déchaîne. Lorsqu’il la voit arriver, il ne peut s’empêcher de craindre le pire, le tremblement de terre et l’orage n’étaient rien comparé à cet ouragan d’émotions. Le bruit qu’il désire d’ordinaire entendre l’envahit et le cloue au sol mais quand elle s’approche dangereusement de lui, Junid s’enfuit en se dirigeant vers la forêt. Oubliant que la tempête ravage tout sur son passage et qu’il vaudrait mieux s’éloigner des arbres. A la dernière minute, il bifurque sur sa gauche sans se rendre compte qu’elle ne le suit plus. C’est quand il entend un bruit sourd qu’il voit les arbres couchés par terre.
Junid s’arrête, appuyé sur ses genoux, le souffle coupé.

Des mouvements inhabituels dans le ciel le ramène à la réalité. Sa tête se relève brusquement quand il voit des nuées d’oiseaux traversant le ciel, certains se posent sur le puits et les autres volent en cercle au dessus de celui-ci.
Ce dernier se dirige vers cet étrange tas de cailloux qui n’a rien à faire dans ce décor. Il n’a pas le temps de se pencher que l’eau l’engloutit, frappant un de ses bras contres les pierres.

Junid se réveille dans sa hutte de pêcheur. Il se lève d’un coup, prend son seau, puis il part heureux de commencer sa journée en allant chercher de l’eau.
Il ne remarque pas tout de suite la cicatrice sur son bras qui l’intriguera bien des jours. Mais une chose est sûre, le voyage effectué dans son esprit torturé ne laissera aucune trace dans sa mémoire.