Russel Banks, par Lyonel Trouillot

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D’aucuns lui trouvent un faux air d’Hemingway. Mais ce n’est qu’un faux air. Il man­que à son visage cette lumière lasse au fond des yeux, qu’on peut voir sur les derniers portraits d’Hemingway. Il est des gens dont les voyages aboutissent à des retours tristes, comme s’ils avaient trop vu. Russell, qu’il s’agisse de la ville voisine de celle où il réside, du Kilimandjaro ou d’un congrès d’écrivains, revient rajeuni de ses sorties. Sa lumière est plus vive. L’expérience est précieuse, énergisante. Et on sait qu’à un quelconque moment de la conversation, on va entendre : « I have this project… » Qu’est-ce donc que cet homme qui a toujours des projets ?

Et cette force tranquille. Lors de la première édition du festival Étonnants Voyageurs Haïti, le seul que nous avons raté à l’aéroport, c’était lui. Il nous avait privés du cent pour cent d’efficacité dans un pays caricaturé comme un désastre organisationnel. Nous ne l’avions pas raté : Il avait trouvé seul le chemin de l’hôtel et faisait déjà au bar le travail de sociologue amateur qui est parfois celui du romancier. Banks, c’est aussi cette sérénité, ce matter of fact dans la façon d’être, de faire. Et ce travail incessant de captation des choses autour de lui. On soupçonne, chez cet esprit qui donne l’impression de ne jamais s’arrêter de travailler, une grande discipline dans l’organisation et le classement internes des données.

Et puis enfin ces deux traits qui ne vont pas toujours ensemble : le radicalisme et l’humour. Les défenseurs des grandes causes ne savent pas toujours rire ou faire rire. Or, on peut s’opposer de façon agissante et d’une voix forte aux dérives ultranationalistes et aux injustices sociales et être un foyer d’anecdotes et de bons mots. Quand sont finies les séances plénières et les tables rondes et que l’on a besoin de se détendre, Russell c’est aussi ce La Bruyère du soir à l’expertise souriante, l’air de rien, qui sait faire surgir dans la conversation tout un cortège de caractères.

Je connaissais l’œuvre. Puissante. Méticuleuse. Lucide sans sécheresse. L’homme est devenu une rencontre précieuse, enrichissante, un « what you see is what you get », ce qui permet de faire beaucoup d’économies. Ni fanfares ni balivernes. Souvent je me demande : où cache-t-il ses faiblesses ?