2010 - Clap de fin à Bamako / L’Afrique au cœur #3

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L’Afrique bougeait à toute vitesse. D’année en année, nous avions pu mesurer la progression de l’Islam, devant laquelle les participants aux rencontres du festival, dans les villes du Nord, et particulièrement les femmes, nous disaient leur inquiétude – qui ne recueillait que haussements d’épaules de la part de l’ambassadeur alors en poste : « Mais qu’allez-vous imaginer ? L’Islam jamais ne parviendra à vaincre le vieux fond animiste des Maliens ! »

Mais nous prenions aussi la mesure d’une autre formidable mutation, à l’échelle du continent, que disait le surgissement de nouveaux artistes, écrivains, chanteurs, cinéastes : l’Afrique s’était mise en marche. À Bamako, nous retrouvions Amkoullel, devenu la star du hip-hop malien, activiste culturel au rare charisme, et autour de lui nombre des ex-lycéens qui nous avaient aidés dans les premières années. Ils avaient pris en main l’édition 2008, avec une belle énergie. Mais nous savions aussi que la liquéfaction du pouvoir malien rendait difficile la poursuite du festival. Pause ou clap de fin ? L’histoire devait répondre à notre place, hélas.

Mopti, Tombouctou, Ségou, Kaye, Koulikouro, Gao, Sikasso, Kita, Kidal, où nous avions tant d’amis, dont nous regardons les images, aujourd’hui, effarés, devenus autant de blessures. Mais dont nous gardons les noms au cœur.
Avec l’espoir têtu d’y revenir un jour.

Dessiner le monde de demain Amkoullel

Je me souviens de la dernière édition qui a eu lieu au Mali, à Bamako. Je me souviens de ce mois de novembre 2010, et du 50e anniversaire de « l’indépendance » du Mali. Je me souviens des allers-retours entre l’hôtel Le Colibri, le palais de la Culture, le Centre culturel français de Bamako et le Blonba. Je me souviens de ces moments pleins d’émotion. Pour beaucoup d’entre nous, jeunes Maliens, Étonnants Voyageurs représentait l’unique occasion de rencontrer et de discuter avec d’illustres auteurs venus des divers coins du monde. Je conserve gravée dans ma mémoire cette rencontre avec Cheikh Hamidou Kane, et les propos qu’il m’a tenus résonnent encore dans ma tête : « Vous, les rappeurs, représentez la relève et vous pérennisez notre combat ! » Au-delà des contacts avec les auteurs, le festival, c’est aussi l’occasion d’avoir accès aux œuvres. Pour qui connaît l’état de délabrement des bibliothèques au Mali, il est facile de comprendre l’urgence de la situation.

Nous avons dansé toute la nuit

En 2010, la salle de spectacle Blonba existait encore. J’ai eu le plaisir d’être invité par le festival à y donner un concert de rap malien. Très vite, le concept de la soirée a évolué : avec la complicité de mon ami Rouda du 129H, nous avons décidé d’organiser, sur scène, une soirée à la manière de nos conteurs traditionnels. Nous sommes allés trouver les écrivains pour les convaincre de venir lire, chanter, dire, sur scène, des extraits de leurs textes, en les accompagnant par les douces mélodies du n’goni (petite guitare traditionnelle).

À 21 heures, ce samedi 27 novembre, la salle de spectacle Blonba, dans le quartier de Faladjè à Bamako, est pleine à craquer ! Un public arc-en-ciel et de tous âges a répondu favorablement à notre invitation. Les écrivains, slameurs et rappeurs sont venus déclamer, slammer, chanter et rapper leurs textes. Les mélodies du n’goni, selon le flot des mots, se font douces et apaisantes, agressives et saccadées. Oxmo Puccino, Souleymane Diamanka, Léonora Miano, Dia Diouf Nafissatou, Yvon Le Men, Felwine Sarr, Mohamed El Amraoui, et beaucoup d’autres étaient de la fête. Et nous avons dansé toute la nuit !

La jeunesse malienne a soif !

Absence criante de justice, corruption généralisée, institutions en panne, chômage des jeunes : une fatalité pour le Mali ? Est-ce là l’héritage de la jeunesse africaine ? La jeunesse malienne et africaine a soif. Soif de s’exprimer, soif de s’affirmer, soif d’exister. Nous ne sommes pas la génération de nos parents. Nous ne sommes pas l’Afrique d’hier. Nous sommes l’Afrique de demain, un mélange de celle d’hier et d’aujourd’hui. Nous sommes l’Afrique de Facebook, des téléphones portables. Nous sommes les Africains chinois, américains, français et j’en passe. Nous sommes l’Afrique pleine de créativité, de vie. Nous avons ce désir ardent et nous ressentons cet intense besoin d’apporter notre contribution d’égal à égal à la marche de l’Humanité vers un devenir meilleur.

Le rêve d’un autre Mali ne mourra jamais, et l’espoir d’une Afrique de demain plus forte que celle d’aujourd’hui existera toujours dans le cri de sa jeunesse. J’attends donc avec impatience le retour du festival Étonnants Voyageurs au Mali, afin que nous puissions continuer ensemble à dessiner le monde de demain.