Sherman Alexie, par Francis Geffard

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Sherman Alexie
Francis Geffard

Né en 1966 à Wellpinit sur la réserve des Indiens Spokanes, où « il n’y a que le silence à écouter », Sherman Alexie est devenu l’un des plus grands écrivains américains contemporains, auteur, déjà, d’une vingtaine de livres, romans, nouvelles, poésie et ouvrages pour la jeunesse. Distingué par la revue Granta en 1996 parmi les vingt meilleurs jeunes auteurs américains et par le New York Times comme l’un des écrivains appelés à compter au XXIe siècle, Sherman Alexie a remporté quatre fois d’affilée (record à battre) le titre de champion du monde poids lourd de poésie, joutes verbales proches du slam. Touche-à-tout, il fait aussi du stand up et sort un album de blues avec le musicien Jim Boyd (Reservation Blues, inspiré de son roman), écrit le scénario du film Phœnix, Arizona tiré de son premier recueil de nouvelles, réalisé par Chris Eyre, prix spécial du jury au festival de Sundance. Il a reçu le Pen Malamud Award (2001) pour Dix petits Indiens, le National Book Award (2007) pour Le premier qui pleure a perdu et le prix Pen Faulkner (2010) pour Danses de guerre. Une dizaine de ses livres ont été publiés en France, mais Sherman Alexie voyage peu, et ses visites en France sont rares : 1998, 2004 et 2008, où il vient pour la première fois à Étonnants Voyageurs, un événement pour ses lecteurs français.

Drôle, irrévérencieux, sardonique, rebelle, inclassable, Sherman Alexie possède une voix à part, la voix d’un irréductible, et d’un magicien de la langue. D’où viennent cette puissance, cette singularité ? Hydrocéphale à sa naissance, opéré à l’âge de six mois, les médecins lui donnent très peu de chances de survivre. Pourtant le petit Sherman s’en tire. À l’âge de trois ans, il apprend à lire, et à cinq il dévore Les Raisins de la colère de Steinbeck. Les livres, dès lors, seront son refuge. Soutenu par ses parents, il s’inscrit au lycée voisin, où il est, dit-il, « le seul Indien… si l’on excepte la mascotte de l’école ». Peu importe. Doué, Sherman s’accroche, devient même la vedette de l’équipe de basket… Un conte de fées tendance Le Vilain Petit Canard ? Ce serait ne rien dire de la difficulté à grandir sur une réserve indienne, de la pauvreté, du chômage, des problèmes d’alcoolisme et, plus encore, d’un sentiment d’isolement face à l’incompréhension de cette Amérique mainstream qui commence aux frontières de la réserve.

Sherman Alexie rejoint en 1987 la Washington State University de Pullman, et sur les conseils de son professeur de littérature, le poète Alex Kuo, se lance dans l’écriture et trouve là, non seulement sa voie, mais aussi le moyen de rendre une voix aux Indiens. Des siens, il a une vision bien à lui. Sans complaisance et avec un humour dévastateur, loin des stéréotypes, il entend inscrire son peuple dans notre époque. Sous sa plume, l’Indien n’est ni une victime opprimée ni un héros porteur de valeurs positives, ni plus sage ni moins rusé que l’Américain moyen. Mais un peu tout cela à la fois. Chacun de ses personnages contribue à dessiner les contours d’une communauté polymorphe, vivante et en mouvement. À travers la question indienne, c’est une part de l’humanité qui est en chacun de nous que Sherman Alexie questionne.

Francis Geffard