Mona Ozouf, sur la scène des Etonnants Voyageurs 2015, à Saint-Malo.

Mona Ozouf, sur la scène des Etonnants Voyageurs 2015, à Saint-Malo.

Etonnants Voyageurs

Samedi 23 mai

9h08, gare Montparnasse, quai N°1: Le train spécial Etonnants Voyageurs s'ébranle, direction Saint-Malo. A son bord, des wagons d'écrivains et d'éditeurs venus fêter les 25 ans du Festival créé par le Breton Michel Le Bris. Français, Haïtiens (une importante délégation), Américains, Sud-Américains, Espagnols, Anglais... une véritable tour de Babel s'est dispatchée dans les travées seconde classe du TGV - seuls quelques privilégiés ont le droit à la première, non parce qu'ils ont plus vendu que d'autres, mais essentiellement parce que leurs attachées de presse averties et matinales (on ne donnera pas de nom) sont venues réserver les précieux fauteuils dès potron-minet.

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9h30: ça gronde au wagon-restaurant. La file d'attente s'allonge, le préposé aligne les cafés sans discontinuer, à croire qu'il n'y a que des Balzac dans le train. En attendant les effets du divin breuvage, l'heure est plutôt au recueillement - pensées profondes les yeux fermés, lectures assoupies, etc. Seul, ou presque, un petit homme semble avoir tous ses esprits et n'hésite pas à donner de la voix. Petit homme, mais grand écrivain, le doyen du TGV, Boris Pahor, affiche 101 ans et demi et une santé de fer. L'auteur slovène du Pèlerin parmi les ombres, récit de sa déportation dans un camp nazi en France, fera l'admiration de tous, trois jours durant.

12h02: arrivée dans la cité malouine, le ciel s'éclaircit. Accompagnés par la musique de deux cornemuses, les invités du "cocktail de bienvenue" s'installent dans la cour de la mairie, où d'immenses chapiteaux ont été dressés. L'occasion, en attendant les discours du maire Claude Renoult et de Michel Le Bris, de faire quelques apartés. Avec l'Egyptien Alaa El Aswany, très inquiet par la situation politique de son pays et blacklisté dans la presse cairote, ou avec l'étonnant et fort spirituel Irving Finkel et son look de druide malicieux, conservateur du British Museum, grand spécialiste de la Mésopotamie et auteur de L'Arche avant Noé (JC Lattès).

Les discours achevés, place aux huitres de Cancale. Désormais bien réveillés, les écrivains fusent sur les assiettes. On aperçoit, fourchette à la main, Michel Serres, Mona Ozouf, Atik Rahimi, Lieve Joris, Gilles Lapouge, Denise Bombardier, Kamel Daoud, Isabelle Autissier, Teresa Cremisi... Le monde est à Saint-Malo, on vous dit.

14 heures: les plus sérieux se rendent aux diverses conférences (il y en aura 300 en tout, dispersés sur 28 lieux) et sous l'immense chapiteau dressé face au Palais du Grand large, où libraires et lecteurs attendent de pied ferme les premières signatures. D'autres, encore affamés, vont s'attabler au Chateaubriand (l'un des points de rencontre favori de tout festivalier digne de ce nom), avant de s'apercevoir que la mer n'est pas loin et que la plage infinie, par la grâce de la marée basse, s'offre comme une invitation aux balades enchanteresses.

14 h 15: Le magazine Lire fête ses 40 ans; François Busnel, le directeur de la rédaction, a fait le déplacement, bien sûr. A ses côtés, Tayle Selasi, Russel Banks, Jonathan Coe, Lyonel Trouillot conversent sur le rôle de la presse littéraire.

Plus loin, Mona Ozouf, Pascal Blanchard, Benjamin Stora et Abdennour Bidar débattent de "République, laïcité et culture(s)", tandis que Paolo Rumiz reçoit le prix Bouvier pour Le Phare: voyage immobile (Hoëbeke). Six autres prix seront remis durant le festival, récompensant la Guadeloupéenne Simone Schwartz-Bart (L'Ancêtre en solitude, Seuil), l'Américain Philipp Meyer, (Le Fils, Albin Michel), Eric Vuillard, (Tristesse de la terre, Actes Sud), l'Italien (de Trieste) Paolo Rumiz ( Le Phare: voyage immobile, Hoëbeke), Sylvain Coher, (Nord-nord-ouest, Actes Sud), la poète de La Table ronde Valérie Rouzeau, Nicolas Cavaillès (Pourquoi le saut des baleines?, Le Sonneur) et Christophe Lambert, (Aucun homme n'est une île, J'ai lu). L'Américain Anthony Doerr, lui, a déjà reçu le sien, et pas des moindres, le Pulitzer, pour son roman, Toute la lumière que nous ne pouvons voir (Albin Michel). Un roman déroulant le destin d'une jeune Française et d'un jeune Allemand durant la Deuxième Guerre mondiale réunis in fine dans la cité malouine assiégée et qui fait de l'auteur de l'Idaho le héros de la ville fortifiée de cette 25e édition - il signera quelque 1000 exemplaires dudit roman!

17 h 30: ça chauffe au Théâtre de Chateaubriand autour du thème "Langue: alors, tout fiche le camp?" entre l'écrivain rimbaldien Alain Borer, auteur de De quel amour blessé (Gallimard), et le fameux linguiste des éditions du Robert Alain Rey. Ils ne sont pas du tout d'accord, mais alors pas du tout, et n'ont pas la langue dans leur poche...

20 heures: on retrouve les stars d'Albin Michel, Anthony Doerr et Philipp Meyer, épaulés par leur éditeur - aux anges - Francis Geffard et une bonne trentaine de convives à la crêperie Le Corps de garde. Pas de chants en cette soirée cosmopolite, mais de bonnes galettes complètes qui ravirent nos Yankees. A quelques encablures, au restaurant de La Porte Saint-Pierre, sus aux poissons et fruits de mer pour les tablées d'Actes Sud, de Grasset ou encore de Payot/Rivages, plus loin, à la Duchesse de Bretagne, Vera Michalski, la patronne de Phébus, reçoit ses auteurs auxquels se joindra en fin de repas, Jonathan Coe, un ami...

Dimanche 24 mai

9 heures: shooting matinal sous le focus de Francesco Gattoni devant le front de mer pour les deux journalistes italiens Andrea Di Nicola et Giampaolo Musumeci. Leur enquête sur le business de l'immigration clandestine (Trafiquants d'hommes, Liana Levi) a fortement impressionné... Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, présent, à titre privé, à Saint-Malo (il était la veille à Rennes).

Le gouvernement était particulièrement bien représenté en cette date anniversaire avec Annick Girardin, secrétaire d'Etat à la Francophonie (et native de Saint-Servan, un quartier de Saint-Malo), Christiane Taubira, la Garde des Sceaux et Bernard Cazeneuve, donc. Une aubaine pour Michel Le Bris qui avait déjà profité du voyage présidentiel à Cuba et à Haïti pour expliquer aux ministres combien les éditions étrangères (à Bamako, à Port-au-Prince) du Festival Etonnants Voyageurs sont précieuses. Des petites pierres pour boucler les budgets futurs. Pour l'heure, cet afflux ministériel, tout comme la présence de quelques auteurs dans le collimateur des intégristes (Kamel Daoud, Philippe Val...), a indéniablement accru le nombre de festivaliers tout de noir vêtus, colt à la ceinture.

12 h 30: ce sont les aléas des emplois du temps, à peine avait-il commencé à prendre la parole dans une table ronde - avec Jean-Marie Blas de Roblès, Eleanor Catton et le dessinateur Riff Reb's - consacrée à l'aventure, que Sylvain Coher se vit soudain arrêté dans son élan. Et pour cause: on venait de lui attribuer le Prix Ouest-France / Etonnants voyageurs pour son roman Nord Nord Ouest et il devait immédiatement venir le chercher...

14 heures: Lors d'une rencontre sur le thème du choix de la langue française, le Marocain Fouad Laroui poussa un coup de gueule inattendu - et non sans ironie - contre... Stromae. "L'un de mes mots préférés de la langue française, c'est certainement le verbe 'empapaouter'. Je le trouve beau. Et voilà qu'à cause de la chanson "Papaoutai", le voilà qui perd tout son sens..."

Dans cette même salle Maupertuis, Miguel Bonnefoy (père chilien, mère vénézuélienne), Teresa Cremisi (élevée en Egypte) et Saïdeh Pakravan (née en Iran) racontaient eux-aussi les relations qui les liaient à la langue française. De l'avis de tous les spectateurs (dont Hélène Fiamma, la patronne de Payot/Rivages, peu encline aux effusions), l'une des rencontres les plus émouvantes du salon...

20 heures: on prend les mêmes, et on alterne. Le restaurant des Embruns, le Restaurant de la Porte Saint-Pierre, le Chateaubriand... font salle pleine.

Lundi 25 mai

10 heures: "Nos 25 ans", c'est sous ce thème que "la grande famille" des Etonnants Voyageurs va défiler, quatre heures durant, à l'Auditorium du Palais. Archives à l'appui, la célébration bat son plein devant un public toujours aussi nombreux.

En face, sous le chapiteau, les lecteurs continuent d'affluer. "Bon, eh bien, aujourd'hui, ça sera les vacances", s'exclame soudain Miguel Bonnefoy. Et pour cause: suite à ses débats, tous les exemplaires présents de son Voyage d'Octavio se sont arrachés et il n'a plus aucun volume à signer. Pénurie oblige, quelques auteurs se sont retrouvés face à des piles vides, les mettant en quelque sorte au chômage technique dans leur stand... Reste, néanmoins, soyons rassurés, les multiples conférences auxquelles tous ces écrivains invités - et légèrement "pressurisés" par les programmateurs - doivent encore participer.

On citera, parmi celles-ci, la jolie rencontre, à la médiathèque flambant neuve de la Grande Passerelle, entre Lyonel Trouillot et l'acteur et réalisateur François Marthouret, ce dernier ayant adapté le roman Bicentenaire de l'écrivain haïtien publié en 2004, film qui sera distribué en juillet prochain sous le titre Port-au-Prince, dimanche 4 janvier

14 heures: on salue Michel Serres, puis on parle jazz avec Arthur H., traduction avec Patrick Deville, du vaste monde avec Lieve Joris, Taiye Selasi et Gilles Lapouge, polar avec Victor Del Arbol et Arnaldur Indridasson, identité avec Breyten Breytenbach et Boris Pahor... On parle, on parle, tout comme Michel Le Bris débarquant à sa conférence de presse, susurrant, la voix presque mourante, un "Je suis sur les rotules", avant de s'embarquer dans l'une de ses revisitations du monde dont il a le secret. Brassant ethnologie, histoire, pensée dans un "grand remue-ménage" salvateur, saluant le "retour de la fiction dans les champs dont elles avait été expulsée par les scientifiques et autres maîtres-penseurs", citant Salman Rushdie, Christiane Taubira ou encore François Pinault (qui, pour la première fois, apporta "une aide modeste et précieuse")... La machine Le Bris, une fois réchauffée, peut vous emmener très loin.

19 h 30: après le cocktail d'adieu, retour vers la case départ. Le wagon-restaurant est de nouveau pris d'assaut, quelques écrivains sommeillent, Boris Pahor, intarissable et infatigable, continue de discourir (avec Paolo Ruiz et Frankétienne, pour le coup), les Haïtiens et Arthur H. "éjectés" de leur compartiment ("Tout le monde n'apprécie pas forcément la musique africaine"), se réfugient au bar. Tandis que certains éditeurs, auteurs et membres de prix pensent déjà à l'avenir et, plus précisément, à la prochaine rentrée littéraire. Entre autres instantanés, on a ainsi entendu "Alors, il y a un nouveau Christine Angot?", "j'ai hâte de lire le nouveau Delphine de Vigan" et autres "je suis sûr que Carole Martinez va récolter un prix, cette année"...

11 h 06: les adieux se font brefs. Prochain rendez-vous: à la mairie de Paris, pour la présentation de l'épée (façonnée en Haïti par le sculpteur Patrick Vilaire) de Dany Laferrière qui sera reçu jeudi 28 mai à l'Académie française. Un beau tap-tap en perspective.

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