Une rencontre inattendue

Avec un mélange d’appréhension et de curiosité, Lise se dirigea vers cette troublante épave.

Elle longea la plage avec difficulté, car de nombreuses souches laissées par la mer déchainée et quelques ammophilas arenaria fixant les dunes, bloquaient le passage. Après plusieurs détours, elle arriva devant un immense tronc d’arbre, il lui était impossible de le contourner. Guidée par la curiosité, elle choisit alors de l’enjamber. Mais tandis qu’elle continuait d’avancer vers sa trouvaille, une camionnette arriva et s’arrêta à quelques mètres de Lise. Un homme robuste sortit, il ressemblait vaguement à l’employé municipal qu’elle avait vu quelques minutes plus tôt, lorsqu’il tronçonnait l’arbre couché. Dès qu’il l’aperçut, il s’avança vers elle.

« Bonjour, madame, en raison des conditions météorologiques, cet endroit est devenu dangereux. Il serait donc plus judicieux de vous en éloigner », dit-il d’une voie calme mais ferme.

Lise observa un instant le corps échoué puis se retourna vers l’homme, hocha la tête et le remercia. A regret, elle rebroussa chemin et se dirigea vers sa voiture pendant que l’employé redémarrait sa camionnette. Mais lorsque ce dernier n’était plus visible, elle fit demi-tour et s’avança à nouveau, discrètement vers l’endroit qui l’avait intriguée. Car la jeune femme ne voulait, pour rien au monde, abandonner sa trouvaille.

Après quelques minutes, elle arriva enfin sur le lieu. Elle dégagea les algues et sa surprise fut grande, lorsqu’elle découvrit une partie d’un squelette, composé d’un crâne et de plusieurs os. Elle l’observa attentivement et en tant que scientifique, elle reconnut rapidement les différents membres du squelette. Les os étaient fins, mais cela ne signifiait pas qu’il s’agissait forcément d’une femme, car l’acidité du sol pouvait avoir rongé les os. Pour en savoir plus, elle fouilla le sable à la recherche du bassin afin de l’aider à déterminer le sexe du squelette. Mais à la place, elle trouva une parure de canine de sanglier. Cela signifiait qu’il s’agissait bien de la parure d’une femme. Lise s’en rappela, car lors d’un voyage en Colombie, elle en avait vu une, datant de 1 200 avant J.C.

En Bretagne, la marée monte très vite. Lise s’en aperçut lorsque quelques mètres plus loin, le sentier jonché de débris était recouvert d’eau. Grisée par sa découverte, elle réussit toutefois à garder la tête froide. Que devait-elle faire ? La jeune femme réfléchit en quelques secondes. Elle pensait appeler ses collègues pour qu’ils viennent récupérer le squelette et la canine de sanglier. Mais vu la progression de l’eau, ils n’auraient pas le temps d’intervenir. Lise sortit alors de son sac à dos, son téléphone et photographia à de nombreuses reprises le squelette. Ensuite, elle prit un sac plastique, regroupa les os, les mit dedans et partit. Lorsqu’elle arriva à sa voiture, l’eau avait déjà recouvert le site qu’elle avait découvert, triste de ne pas avoir pu continuer ses recherches. Lise reprit la route et se dirigea vers le laboratoire de recherche.

Elle franchit les portes coulissantes en verre de l’immeuble, abritant le laboratoire de la police scientifique, pour laquelle, elle travaillait en tant qu’anthropologue depuis déjà 6 ans. Lise était très contente de sa découverte, mais ses pensées ne pouvaient cesser de tourbillonner dans sa tête : quelle était l’histoire de ces ossements ? D’où pouvaient-ils venir ? Elle sentait que ce n’était pas par hasard si ce squelette s’était trouvé devant elle. Les pensées qui occupaient son esprit, se faisaient toujours plus insistantes.

Elle entra dans la salle de laboratoire. Elle déposa alors les os sur l’une des tables d’analyse en se félicitant d’avoir eu le réflexe de les prendre en photo. Grâce à ces prises, elle arriva à reconstituer le squelette. L’autopsie permit d’identifier comment pouvait vivre cette femme à l’Age de bronze. Mais plus que tout, Lise identifia les causes de son décès. Nul doute possible, sa mort n’avait rien de naturel. En effet, elle observa une fracture à l’arrière du crâne, qui aurait été commise avec une extrême violence. Cette déformation aurait été causée par un outil métallique. La scientifique se souvint avoir vu des pointes de silex et des haches verdies sur la plage. Émue par cette découverte, Lise chassa immédiatement ses émotions et resta concentrée sur son travail.

Elle prit la parure dans sa main pour l’analyser. Stupeur : la canine vira au rouge et éblouit la salle en un éclair. Après que la lumière se soit atténuée, Lise constata qu’elle ne se trouvait plus dans son laboratoire, mais dans une rue. Eblouie par cet étrange phénomène, Lise perdit toute conscience du danger qui pouvait survenir à tout instant. Les maisons qui se situaient toutes autour d’elle, étaient construites en bois et en torchis. Lise analysa la situation, incrédule. Elle n’en revenait pas. La parure l’avait renvoyée à l’Age de bronze.

Tandis qu’elle arpentait la rue, elle croisa quelques habitants habillés avec des vêtements en laine qui se dirigeaient vers le marché, au centre du village. La scientifique du XXIe siècle se retrouvait au milieu de pêcheurs préhistoriques. Le souffle coupé, elle remarqua une maison beaucoup plus grande que toutes les autres. Lise se doutait qu’il s’agissait de la maison de leur chef. Elle s’approcha de la demeure. Une femme d’une trentaine d’années se tenait à l’intérieur, assise sur un grand tabouret en bois. L’attention de Lise fut attirée par un éclat brillant. Incroyable ! La canine de sanglier qu’elle avait retrouvée sur la plage se tenait à présent sur la ceinture de cette femme. Surprise, elle resta là, à l’observer. La femme avait l’air soucieuse. Elle n’avait même pas remarqué que Lise se tenait à côté de ce qui pouvait ressembler à une fenêtre.

Peu de temps après, un groupe d’hommes arriva. Ils devaient appartenir à un autre clan car ils arboraient tous le même symbole en forme de V à l’envers, sur leur bouclier. Le plus petit s’adressa à la femme assise sur son tabouret. Lise ne put entendre leur conversation, mais longue fut-elle. La cheffe finit par accepter d’un signe de la tête et le groupe repartit. Soudain un homme sortit du fond de la pièce. Il avait l’air furieux. Il s’adressa à sa cheffe en faisant des grands gestes. La femme jeta un regard sévère, dédaigneux puis finit par lui montrer la sortie. Il se dirigea vers la porte, mais s’arrêta net. Il prit sa hache de sa ceinture. Et retourna vers la femme pour la frapper par derrière.

Lise voyant arriver le danger, sortit de sa cachette et rentra dans la maison. Elle prit une poterie, avança vers l’homme et la brisa sur sa tête. Surpris, il n’avait pas eu le temps de réagir, il s’écroula sur le sol. La commandante qui s’était levée, regarda Lise. Elle prit conscience du danger auquel elle venait d’échapper. La cheffe aida Lise en prenant des cordes faites en chanvre et ensembles elles ligotèrent le criminel. Elle remercia Lise de l’avoir sauvée.

« Pourquoi voulait-il vous tuer ? demanda Lise.
— Le groupe d’hommes que tu as vu, appartient au peuple voisin, dit-elle calmement. Ce peuple veut faire une alliance avec le mien. Mais cet homme qui a voulu me tuer, avait espionné la conversation. Il était contre cette idée car cela lui aurait enlevé tous pouvoirs. Il avait voulu me tuer pour prendre définitivement ma place.
— Mais toi, qui es-tu ?
— Moi ? demanda Lise, je suis une scientifique plus précisément une anthropologue judiciaire. J’analyse les corps et je cherche les causes de leur décès.
— Je ne comprends pas à ce que tu me racontes ! Que fais-tu ici ? Je ne t’ai jamais vue ! A quelle tribu tu appartiens ? Tu es habillée si étrangement ?
— C’est une histoire incroyable, car après une tempête, lorsque je me promenais aux bords de la mer. J’ai trouvé des ossements et une parure de canine de sanglier. Je les aie analysés et j’ai découvert que le crane avait été fracturé par un objet métallique, ce qui a conduit à la mort. Peu après, j’ai analysé votre parure et celle-ci m’a amené à votre époque. Je ne sais pas comment c’est arrivé. Mais lorsque j’ai aperçu la parure à votre ceinture, j’ai compris que vous étiez la personne retrouvée sur la plage et j’ai voulu empêcher ce meurtre. »

Comme Lise avait sauvé sa vie, elle voulait l’aider à son tour. La cheffe lui confia la parure afin qu’elle puisse retourner dans son monde. Elles se firent leurs adieux et lorsque Lise prit dans sa main la canine, elle fut absorbée par cette dernière et se retrouva à nouveau dans son laboratoire. Elle mit quelques secondes pour retrouver ses esprits.

Elle s’approcha de la table ou était posé le squelette et l’observa. La fracture au niveau du crâne avait disparu. Lise comprit donc que son amie était morte naturellement. Elle regarda la parure qui était dans sa main et elle constata qu’elle avait retrouvé sa teinte blanche opaque et qu’elle ne s’illuminait plus. Lise se sentait soulagée d’avoir évité le meurtre de la cheffe et surtout d’avoir maintenu la paix entre les deux clans.

Elle contacta le « musée de Préhistoire de Carnac » afin qu’ils viennent récupérer le lendemain matin, le squelette et la parure. Elle prit son sac à dos, quitta le laboratoire pour aller se recueillir, avec une certaine tristesse, sur le lieu où elle avait trouvé le squelette.

Le calme était revenu sur la plage, comme si les choses étaient revenues à leur juste place grâce à l’intervention de Lise. Apaisée, la scientifique contemplait le paysage empreint de douceur. Pour elle, ce site restera toujours celui d’un enchantement.