Un serpent doré dans le désert

Nouvelle de Elisa HEULARD, incipit 1, en 2nde au lycée Saint John Perse, Pau (64)

« Que veux-tu en échange ? » demanda-t-elle dans sa langue rude.

Kosmas la dévisagea longuement cherchant à se plonger dans son regard perçant. Ses yeux étaient d’un noir profond, comme si la nuit, elle-même s’était glissée à l’intérieur et n’en était jamais ressortie. De grands cils en ourlaient les contours, pareils à de la fine dentelle. Il fixa un point dans le vide et réfléchit à la réponse qu’il allait donner. Son regard passait du visage de l’amazone au collier qu’elle faisait rouler entre ses doigts. C’était un bijou de pacotille qu’il avait troqué contre un peu d’eau à un vieux marchand ambulant. La chaîne scintillait au soleil, projetant de brillants reflets sur la terre battue.

« Il vaut au moins quatre peaux de loup », déclara-t il d’une voix parfaitement assurée.
Quatre peaux de loup, il n’en valait même pas une ! Un rictus se dessina sur le visage de la jeune femme. Elle reposa l’objet et retourna sous le baobab. La chaleur était accablante. Sous les épaisses feuilles de l’arbre, la petite foule fourmillait, chacun s’affairant à sa tache. Kosmas remarqua alors que l’amazone murmurait de nouveau à l’oreille de sa camarade. Elle revint avec les peaux de loup qu’elle tenait par les pattes et qui traînaient dans la poussière, traçant un petit sillon derrière elle.

« Voilà », souffla-t elle.
Et, les yeux emplis d’une étrange lueur, elle ajouta :
« J’espère que nos chemins se recroiseront un jour... »
Elle prit le pendentif pour le mettre délicatement à son cou et s’en alla.
Les peaux gisaient au sol devant Kosmas qui regardait l’amazone partir. Son doux parfum flotta encore un instant dans l’air et finit par s’évaporer. Le vacarme typique des petits marchés de l’Asie profonde, qui semblait s’être arrêté, reprit de plus belle.
Soudain, un long sifflement strident retentit. Devant le regard ahuri des pieds poudreux, les Amazones replièrent leurs étals en toute hâte et partirent au galop sur leurs chevaux. En l’espace de quelques secondes, elles avaient déserté le grand baobab. La tribu filait au loin, ne formant désormais plus qu’un minuscule point dans l’étendue du désert. Un étrange silence régnait sur la place. Les Hairglons, ces majestueux oiseaux qui servaient de compagnons de route aux petits marchands du désert, s’agitaient dans la poussière. Ils semblaient pressentir que quelque chose d’anormal se préparait. Toutes les personnes présentes ce jour là, sentirent l’air se charger d’incertitudes.

Kosmas, le regard vide et perdu dans ses pensées décida de reprendre le long chemin qu’il avait entrepris. Il souhaitait rejoindre son vieil oncle qui était en ce moment dans la petite ville de Tétray, au sud du pays. Kosmas avait décidé de suivre ses pas et était parti, comme cela, un beau matin. Plus rien ne le retenait dans son village natal. Une guerre avait été annoncée deux jours avant son départ. Il fuyait la peur. Cette peur qui l’avait fait tant souffrir dans sa jeunesse. Quand il était âgé d’à peine sept ans, une guerre avait été déclarée entre le clan du Sud et celui du Nord. Chacun savait, dans le pays, que ces deux armées clamaient le pouvoir absolu. Il y avait eu tant de blessés et de morts lors du dernier combat que chacun redoutait un nouveau massacre… D’autant plus, que cette année, une rumeur courrait : on disait que les alliés du clan du Sud étaient de véritables guerriers, prêts à tout pour assouvir leurs désirs.

Kosmas tira la cordelette qui était accrochée au cou de son Hairglon. Celui-ci eut un mouvement de surprise et émit un petit son rauque. Kosmas l’encourageait à avancer :
« Allez mon petit ! Nous partons pour un long voyage… »
Il fit une pause puis reprit :
« Nous avons encore beaucoup de route à faire. » Et accompagnant sa parole d’un geste, il désigna vaguement l’horizon qui s’étendait à perte de vue. Comme s’il avait compris les mots de son maître, l’animal se décida enfin à partir. Ils quittèrent ensemble le petit marché coloré et s’aventurèrent pour leur trajet, direction Tétray…

La nuit déclinait sur le désert du Khéman. Un tableau incroyable se dessinait sous les yeux de Kosmas. Les couleurs rougeâtres de la pénombre tombante fusionnaient avec celles du sable gris. La chaleur de la journée commençait à peine à diminuer et le jeune homme baignait dans une étrange sensation de bien être. Allongé contre le flanc de l’Hairglon, il repensait à sa rencontre avec l’amazone. Quelles étranges créatures que ces femmes guerrières belles comme des déesses…Il entendit des voix et des chants s’élever au loin. Un camp devait sûrement avoir été installé à proximité. Se rappelant qu’une guerre se préparait, il préféra changer d’endroit pour ne pas être remarqué. Derrière une dune, quelques épineux avaient réussi à pousser et Kosmas s’y cacha. Epuisé par sa longue journée, il se laissa plonger dans un demi sommeil.

L’amazone dansait, tournoyait, ondulait au rythme effréné de la musique de l’Asie profonde. Le reste de la tribu claquait des mains et poussait des hurlements sauvages. Encerclant leur chef, les jeunes femmes entamèrent des chants inconnus de tous. Un feu crépitait au centre et projetait de longues ombres sur le sol. Une lueur dansante valsait sur les visages. Soudain l’amazone s’immobilisa et fixa un point. Elle s’avança droit vers Kosmas pour lui tendre la main. Tous deux se serrèrent l’un contre l’autre. Il sentait son souffle tiède l’effleurer à chaque respiration. Ils restèrent ainsi un moment puis entamèrent une longue danse enflammée. Lentement, Kosmas se sentit emporter par une sensation inconnue…

Il se réveilla en sueur au milieu de la nuit. Essoufflé et tremblant, il regarda autour de lui : le désert était froid et endormi. Aucun bruit. Seule la lune semblait vivre, luisante, haute dans le ciel : elle observait le monde. Quelques étoiles parsemaient le firmament. Sous les pieds de Kosmas, le sable glissait, doux et frais. Quel rêve ! Voilà bien longtemps qu’une femme ne l’avait pas obnubilé ainsi. Il avait l’impression de la sentir, là, tout près. Il savait pertinemment que les songes étaient éphémères.

Tout à coup, un bruissement se fit entendre. Kosmas crut percevoir quelqu’un bouger. Il s’immobilisa, le cœur battant. Un espion du clan Sud serait-il venu le surprendre ? Un souffle d’air passa, balayant le sable fin. Il entendit un bourdonnement qui s’amplifiait de plus en plus. Et soudain, dans un incroyable tumulte, une horde de cavaliers passa. Armés de toutes parts, ils chevauchaient leur monture en brandissant des sabres. Kosmas ferma les yeux et attendit que la tempête fût passée. Tout redevint silencieux. Cependant, il avait toujours la désagréable impression qu’une personne l’épiait. Il se retourna et vit deux yeux luirent. Pris de panique, il empoigna le poignard qu’il gardait toujours avec lui et attendit le moment propice. L’individu se rapprochait doucement, à pas lents. N’y tenant plus, Kosmas se jeta dessus. Il y eut un cri sourd, la personne essaya de se débattre mais Kosmas leva le poignard. Dans la nuit sombre, un éclair brilla ; pendu au cou de l’agresseur un pendentif doré en forme de serpent scintilla. Mais il était trop tard, le poignard s’abattit.

Tombant de la main inerte de la victime, un papier de soie vola pour se poser plus loin, sur le sol :
« Demain, à la première heure du matin, je t’attendrai près du Grand Rocher. Je t’aime. ».