Sous le varech

Avec un mélange d’appréhension et de curiosité, Lise marcha vers cette troublante épave. En s’approchant, elle s’aperçut qu’il y avait quelque chose à l’intérieur. Voyant qu’elle n’arriverait jamais à démêler tout le va-rech à la main, Lise partit chercher un silex qu’elle avait aperçu en arrivant près d’une grotte où les habitants de l’époque avaient dû vivre. Lise retourna devant le tas de varech et commença à ouvrir cet étrange paquet. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle exhuma une statue de pierre, assez grossière, représentant de toute évi-dence un homme ! Elle s’aperçut de quelque chose d’anormal : la statue avait trois bras ! Le troisième bras lui sortait du ventre. A ce moment là, un vacarme assourdissant retentit. Lise prit conscience que la tempête avait regagné en puissance. Elle se souvint alors de la petite grotte qu’elle avait trouvée plus tôt plus loin sur la côte. Elle décida de s’y abriter avec la statue pour pouvoir l’examiner de plus près. Lise mit la statue sur le dos, at-trapa le troisième bras et commença à la tirer. Il lui fallut cinq bonnes minutes pour trainer la statue jusqu’à la grotte.

Lorsqu’elle fut enfin à l’abri, elle redressa la statue et s’assit pour se reposer. Elle reprit son souffle, se re-dressa et entreprit d’étudier la statue. Bien que grossiers, les traits du visage comportaient certains détails, no-tamment un petit creux au niveau du front. En se rapprochant, Lise comprit ce que c’était. En plus d’avoir trois bras, la statue avait trois yeux ! Surprise, Lise recula. En réexaminant le reste de la statue, elle découvrit une autre anomalie, la statue avait quatre doigts à chaque main et quatre orteils à chaque pied. Perturbée par cette découverte, Lise tourna le dos à la statue pour remettre ses idées en ordre. C’est alors qu’elle remarqua que la grotte était plus grande que ce qu’elle s’était imaginée. Curieuse et soucieuse de détourner ses pensées de la mystérieuse statue, Lise décida de s’enfoncer un peu plus loin dans la grotte. Comme il faisait sombre, elle dé-cida de se faire une torche à l’aide des bouts de bois secs qu’elle avait trouvés à l’intérieur de la grotte et qu’elle enflamma avec le briquet qu’elle avait dans la poche. L’exploratrice amateure traversa d’abord un cou-loir de pierre de deux ou trois mètres de long, ensuite, elle déboucha dans une salle ronde d’environ cinq mètres de diamètre. Au sol, elle repéra un tas de bois, dernier vestige d’un feu. En éclairant les murs avec sa torche elle découvrit des peintures rupestres qui devaient dater de la même époque que la statue, les silex et les bouts de bois. Les premières peintures montraient des scènes de chasse, de cueillette mais aussi de la vie quo-tidienne des anciens habitants de ce lieu. Lise remarqua très rapidement que ces peintures mettaient en scène des gens avec trois bras et les quelques empreintes de mains qu’elle apercevait sur les murs avaient bien quatre doigts.

Alors qu’elle s’apprêtait à découvrir les peintures suivantes, Lise entendit son ventre gargouiller et elle s’aperçut qu’elle n’avait rien mangé depuis le matin. Se rappelant qu’elle avait de la nourriture dans sa voiture, elle décida d’y faire un aller-retour. Elle boutonna sa veste et sortit de la grotte sous le vent et les trombes d’eau qui faisaient rage dehors. Elle courut jusqu’à sa voiture. À l’intérieur, Lise prit deux sandwichs et un journal pour alimenter ses torches.

De retour à l’entrée de la grotte, la scientifique d’un jour mangea en examinant les quelques outils qu’il y avait là. Ces outils étaient rudimentaires. Lise voyait que les couteaux étaient de simples silex taillés grossiè-rement. Une fois qu’elle fut repue, elle retourna dans la pièce ornée de peintures au fond de la grotte. Lise dé-cida de regarder les peintures qu’elle n’avait pas encore observées afin de comprendre pourquoi les gens d’aujourd’hui n’avaient pas les mêmes caractéristiques que les anciens habitants de ce lieu. Selon elle, un évé-nement avait dû se produire et avait provoqué l’extinction de cette autre espèce humaine. Les peintures sui-vantes représentaient encore des scènes de la vie quotidienne. Lorsque Lise commença à regarder les dernières peintures, elle fut surprise de voir des gens tout à fait normaux ! Une des scènes montrait la rencontre entre les gens identiques à Lise et ceux à trois bras. Sur les trois dernières scènes, les deux peuples se battaient. C’est à ce moment là que Lise comprit ce qui s’était passé : pour une raison inconnue les deux peuples s’étaient battus et ceux avec trois bras avaient été décimés jusqu’au dernier.

Choquée par cette découverte, Lise retourna à l’entrée de la grotte pour remettre de l’ordre dans ses idées. Lorsqu’elle avait imaginé l’évènement qui avait fait s’éteindre cette autre espèce humaine, elle avait pensé qu’ils étaient morts de suffocation, ensevelis en même temps que leur lieu de vie ; elle ne pensait pas qu’ils avaient été tués ! Lise réfléchit pendant des heures aux raisons qui avaient poussé ses congénères à exterminer les membres d’une autre espèce humaine, mais en vain. Exaspérée de ne pas trouver la clé de ce mystère, elle décida de se détendre en lisant le journal qu’elle avait pris dans sa voiture. La une du journal racontait une his-toire d’homicide dans la région. Lise décida de lire l’article pour savoir ce qui avait poussé le tueur à com-mettre cet acte abjecte. Ce meurtre avait été commis pour des raisons racistes et en lisant ceci Lise comprit. Les gens de son espèce avaient tué les personnes à trois bras simplement car ils étaient différents d’eux ! Elle repensa à sa surprise lorsque qu’elle avait vu la statue et à sa réaction : elle avait tout de suite pensé que cette espèce lui était inférieure. Elle se posa alors une question : quelle serait la réaction de la société actuelle lors-qu’elle découvrirait ce qu’avaient fait leurs ancêtres ? Est-ce que le gouvernement ébruiterait ce massacre ou le tairait-il ? Elle comprit que les gens de son époque ne s’en émouvraient pas car ils diraient qu’ils n’étaient pas responsables de cette histoire passée. Elle se mit à la place des gens à trois bras, elle s’imagina traquée, tuée, exterminée, juste à cause d’une différence qu’elle n’avait pas choisie. Elle fut écœurée par les raisons qui avaient conduit à ce bain de sang. Elle réalisa que le racisme avait commencé bien plus tôt qu’elle se l’imaginait.

Lise regarda dehors et vit qu’il y avait un grand ciel bleu, la tempête était enfin passée. Il était temps pour elle de rentrer. Elle s’imagina que d’ici quelques heures des centaines de scientifiques se rueraient ici, tels des chercheurs d’or lancés à l’assaut d’un filon. Que diraient-ils au grand public sur ce peuple et sur les événe-ments qui ont conduit à sa disparition ? Mais, le sort de cet endroit ne dépendait pas d’elle. Elle sortit de la grotte et marcha lentement en direction de sa voiture. Ce faisant, elle regardait une dernière fois tout autour d’elle les outils qui jonchaient le sol depuis plusieurs milliers d’années. Rien ne pouvait laisser deviner com-ment les habitants de ce lieu avaient disparu. Ce qui était sûr, c’est que le calme qui régnait actuellement dans cette grotte devait contraster avec les évènements qui s’étaient passés ici même au moment de la disparition de cet ancien peuple.

En s’installant au volant de sa voiture, elle repensa à ce qu’elle venait de vivre aujourd’hui et se dit qu’elle se souviendrait toujours de ce mystérieux peuple. Si personne n’en entendait jamais parler, il continuerait au moins de vivre dans sa mémoire. En tournant la clé dans le contact, elle se sentit triste à l’idée de quitter cet endroit. Mais bon, il était temps de rentrer chez elle, de reprendre le cours de sa vie. Elle allait retrouver les gens de son époque qui avaient tous quatre bras, un oeil, six doigts à chaque main et 3 orteils à chaque pied.