Slam, sauvage !

Souvenirs de Rouda à Bamako

Février 2005. C’est sûr. Normalement, je ne suis pas bon pour situer un événement dans le temps. J’ai toujours eu des problèmes avec les frises chronologiques. Mais ces cinq jours de février restent gravés. Indélébiles. L’avion s’arrache. Le fleuve Niger s’éloigne. De la poussière rouge sur les pompes. Je ramène tout avec moi. Et je ferme les yeux pour que les étoiles ne s’en échappent pas. Depuis, je vis avec Étonnants Voyageurs une succession de premières fois. Elles se racontent avec des flashs.

Mélani m’appelle. Sa voix est douce. On parle de « slam ». À l’époque, ce mot ne veut pas dire grand-chose. Elle a l’air cool. Étonnants Voyageurs ? Non, je ne connais pas. Elle me dit qu’elle m’a vu sur scène. Moi, je ne me sens pas poète. J’écris pas super bien, je mets trop de mots. Je débute. Et puis là, je suis dans une période de ma vie un peu étrange, tu vois. Elle me dit qu’elle voudrait m’inviter au festival. C’est où ? À Bamako. Je dis oui. Direct.

En cinq jours, j’en ai vécu dix. Je ne voulais pas dormir. Pour avoir l’impression que le temps passe moins vite. Stop. J’arrive… Sans filtre. Jogging. Casquette. Tongs. On se présente. Michel, Yvon, Maëtte, Alain, Abdourahman, Helon. Je ne connais personne. Mais tout le monde m’ouvre les bras. Je ne sais pas qui fait quoi. Mais ce soir ça ne compte pas. On se tutoie. Première bière. Première bouffée d’air.

Première scène. Je suis assis au jardin. Le micro est de l’autre côté. Alain Mabanckou parle. C’est du sérieux. Puis, c’est au tour d’Yvon Le Men. Il dit un poème. Je prends une claque. Le micro passe de main en main. Plus il se rapproche, plus je m’affaisse dans la chaise en plastique. C’est à mon tour. Je suis pétrifié. Je ne peux plus m’enfuir. Alors je me lève. Je m’avance un peu. « Slam ? » On me répond : « Sauvage ! » Et je jette un poème. Presque dans un seul souffle. Je suis là et ailleurs. À Paris et Bamako en même temps.

Deuxième couplet. On m’écoute, ça a l’air de marcher. Je reste dans le texte. Debout. Dans l’instant. Dernier quatrain. J’articule. Je fixe un point à l’horizon. Je parle avec des silences. Je m’arrête sur un merci. Puis me rassoit. Ils ne le savent pas, qu’ils viennent de me sauver.
Et combien d’autres premières fois ?