René Philoctète, "Poèmes des îles qui marchent" (2003)

Anthologie de l’œuvre poétique de René Philoctète intitulée
Poèmes des îles qui marchent (préface de Lyonel Trouillot) parue chez Actes Sud (2003)

Réunir en une anthologie les textes poétiques écrits par René Philoctète est une excellente initiative. Les éditions Actes Sud font une fois encore un travail remarquable dans un domaine pourtant très malmené. La poésie, même si elle ne représente qu’une activité mineure du monde de l’édition, même si son lectorat semble infime, demeure - comme le disait Chateaubriand - « le plus beau et le plus intense des actes de la pensée, […] le chant intérieur ». C’est Lyonel Trouillot, lui-même romancier et poète haïtien, qui s’est glissé dans la peau du chef-d’orchestre pour cette interprétation de l’œuvre de Philoctète. Il reconnaît que les choix n’ont pas été faciles. D’aucuns regretteront en effet de ne pas trouver d’extrait de Caraïbe, recueil posthume paru aux éditions Mémoire de Port-au-Prince, en 1995. Mais il est vrai que ce long poème forme un ensemble très structuré et n’est pas représentatif à lui seul de l’univers imaginaire de Philoctète.

En fait, René Philoctète achève un cycle poétique tant du point de vue de l’esthétique que de celui de la réalité historique. Avant lui, on a connu les épopées d’un patriotisme cocardier, mais aussi les éclats puissants d’un Magloire Saint-Aude, poète de l’ellipse, ou l’étincelle fulgurante d’un Davertige dans les années soixante. Philoctète, très marqué par ses lectures d’Éluard et d’Aragon a voulu être le metteur en scène des « lendemains qui chantent ». Sa marque, si elle est d’abord celle d’une poésie engagée, se veut surtout celle d’une extrême sensibilité :

Porter les yeux sur les malheurs du monde et crier qu’on arrête le concert de la mort… savoir que dans un chant général votre voix roule son registre et qu’en vous gronde l’humaine colère d’apprendre
qu’entre les hommes il y a une tache de sang.

(in Poésie urgente).

Et pourtant, René Philoctète n’a guère connu de reconnaissance pour son œuvre poétique : il s’agit là d’une véritable création solitaire. Le critique Rodney Saint-Éloi discerne pourtant en lui une fraternité avec Saint-John Perse et Aimé Césaire « dans l’amplitude et la modulation cette parole caraïbe ». Max Dominique, de son côté salue l’« éblouissant charivari de mots » et la jubilation de son écriture. L’artisanat se perçoit jusque dans l’édition des textes de Philoctète, ainsi celle du long poème en quatre chants (paru en 1966), Ces îles qui marchent, montre des pages sagement dactylographiées avec une ornementation de dessins-collages. À l’image du poète : d’une lumineuse simplicité.

J’aurais pu vous parler des splendeurs des matins
arraisonner le ciel mettre l’aube en bouteille
agencer à ma guise un nuage en château fort
créer un temps de fête où flamboient des baisers […]
Si j’appelle mes mots à vous rouer de vertiges
Ils viendront par brassées…

Ouvrir ce livre et lire à cœur ouvert l’âme d’Haïti. Écouter la voix du poète.

Philippe BERNARD