Où êtes-vous donc Etonnants Voyageurs ? Yahia Belaskri

Yahia Belaskri nous écrit de Tipaza en Algérie.
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L’idée fut lancée par Dany Laferrière au lendemain du festival en Haïti en 2007, il nous écrivait alors :
"J’ai eu cette idée à Port-au-Prince, en déjeunant dans la somptueuse résidence de l’ambassadeur de France, ce qui m’a rappelé un peu certains romans anglais. Au loin, la rumeur de Port-au-Prince. Et plus tard dans la voiture qui nous conduisait à l’aéroport, je l’ai proposée à un Michel Lebris enthousiaste. La voilà. Pour avoir des nouvelles des uns et des autres éparpillés sur la planète, il suffirait de répondre à une simple question : Où êtes-vous ? "

Je suis à Tipaza, là où se célèbrent les noces du soleil et de la mer, à l’ombre du mont Chenoua (Albert Camus). Là où fouler les traces des ancêtres donne le vertige. Trouble de pas écrasés par le soleil, exaltation de pierres millénaires. Me submerge une sensation de plénitude car ici rien ne peut m’arriver.

Pourtant, depuis deux mille ans, j’erre sur des plaies purulentes, harcelé, maltraité, vaincu, à la recherche des miens, hier cavaliers intrépides et fiers, se déplaçant entre vallées et montagnes, le verbe haut, le geste ample, renversant les frontières. Ici, j’exhume leurs traces et les compte une à une, les invente quand elles se perdent et les déchire lorsqu’elles s’alourdissent.

Sur les pierres, je ramasse, une à une les graines laissées sur la terre blessée, de mes doigts je les brule avant de creuser les tombes et déterrer les morts pour les assigner à demeure. Peut-être me faudra-t-il fouiller les ventres creux et les gouffres interdits pour y déceler la part maudite et celle à venir ! Alors, je remonterai le cours creux des cuisses de ma mère pour saisir le désarroi des générations interrompues.

Au milieu des pierres, je sens le souffle des poitrines enserrées entre les rives en furie. De mes pieds j’efface les empreintes qui ont subsisté aux automnes infernaux. De mes larmes, j’adjure les héros de revenir chasser les fantômes qui peuplent mes nuits.

Ici, à Tipaza, je répudie les Dieux pour m’adosser à la gloire unique, celle d’aimer (Albert Camus).

Yahia Belaskri